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Agroforesterie, législation, politique et usages forestiers
S. Kolade Adeyoju
Division mixte CEA/FAO de l'agriculture, Commission
économique pour l'Afrique, Addis Abeba, Éthiopie
Résumé
L'agroforesterie est une technique d'aménagement des terres qui est en pleine évolution. Deux de ses antécédents, la taungya et l'agrosylviculture, procédaient du désir des forestiers de conserver de larges portions du territoire national pour leurs activités propres. C'est pourquoi ces systèmes ont été longtemps réservés au domaine géré par les services forestiers. La vogue croissante dont ils étaient l'objet auprès des forestiers était due pour une large part à ce que ceux-ci disposaient ainsi d'une main-d'uvre à bon marché pour réaliser leurs reboisements tout en ayant une arme contre les partisans du déclassement des forêts. Cependant, en raison de la prépondérance exclusive accordée dans ces systèmes de taungya et d'agrosylviculture à larégénération de la forêt, et aussi d'un manque de cohérence dans leurs politiques, les services forestiers furent incapables de faire de leurs objectifs et de leurs réglementations des projets de développement attrayants. Changer les facteurs socioéconomiques, et notamment le mode fondamental de mise en valeur, oblige à réexaminer attentivement les incompatibilités existant entre les différents secteurs. L'agroforesterie vise non seulement à réaligner les deux grands secteurs de l'économie rurale, avec des rendements accrus par unité de surface, mais aussi à offrir de nouvelles stratégies de développement pour les zones rurales. Cette entreprise nouvelle ne réussira qu'à la condition que les objectifs soient clairement identifiés, une politique nettement formulée, et une réglementation réaliste mise en uvre. Les services forestiers devront inévitablement améliorer leurs capacités institutionnelles et mettre en jeu des incitations véritables pour être à même d'exploiter toutes les possibilités qu'offre cette nouvelle entreprise.
Introduction
Par nature, les politiques et les législations sont tournées vers l'avenir. On ne prend jamais de décisions sur des actions passées, mais sur ce que l'on doit faire maintenant ou plus tard. De même, les lois sont généralement faites pour restreindre. sinon prévenir, les comportements antisociaux. Par contraste, les coutumes se fondent sur des règles historiques, et fournissent souvent une base valable pour définir une politique et un cadre législatif. Les influences que les politiques, les lois et les coutumes exercent sur l'agroforesterie sont d'ordre à la fois historique et contemporain.
En tant qu'entreprise, la foresterie doit de temps à autre changer ses objectifs. Au départ les forestiers avaient des objectifs limités, qui concernaient essentiellement le classement des forêts, la production ligneuse, et la mise sur pied de services forestiers efficaces. Depuis quelques années il s'est établi une nette distinction entre objectifs, moyens et procédés de la politique forestière, au point que des notions telles que le maintien d'un service forestier efficace, la création d'organismes de recherche forestière, et la prise de conscience par les pouvoirs publics des avantages et de la valeur de la foresterie scientifique, que l'on considérait auparavant comme d'importants objectifs de la politique, sont maintenant à juste titre rangés parmi les moyens qui permettent d'atteindre les objectifs. Pour cela les lois forestières et l'agroforesterie doivent être conçues comme des instruments régulateurs et comme des techniques de gestion des ressources.
Les terres sur lesquelles agriculture et forêt sont inséparables, en même temps que les institutions qui s'y rattachent, ne sont pas seulement importantes pour un pays pour des raisons économiques, mais aussi du point de vue des individus qui les utilisent et qui, en retour, influent sur les institutions politiques existantes. Il n'est pas douteux que sous les tropiques la possession privée des terres par des familles, des clans ou des groupes ethniques a été un bastion et un fléau pour l'agriculture et la forêt. C'est pourquoi l'agroforesterie, qui combine ces deux activités successivement ou simultanément sur une même terre, est sans doute, à court terme, un palliatif mais c'est aussi, si elle est soutenue par une politique et une législation pragmatiques, une technique efficace de mise en valeur des terres.
Régénération de la forêt
La législation forestière est une chose relativement nouvelle dans la plupart des pays tropicaux; dans certains d'entre eux elle est inexistante. Là où elle existe, certaines convictions particulières ont incité à la mettre en place. La première était que dans chaque pays une large portion du territoire doit être réservée et consacrée à la forêt. Bien que cette notion ait pu procéder de l'idée que la forêt est incompatible avec d'autres modes d'utilisation des terres, depuis quelques dizaines d'années elle s'est trouvée justifiée par la démonstration des avantages écologiques et scientifiques de la végétation naturelle. La seconde conviction était que, en raison de la longue gestation qu'exige la formation du produit principal, le bois, il faut un mode d'aménagement exclusif ou un système de monoculture. Cette croyance s'accordait avec l'état d'avancement de la technologie et des connaissances phytologiques. Du fait que l'idée de forêt cultivée et de plantations industrielles prévalait, et que les usines étaient faites pour des grumes de grande taille, les responsables de la politique forestière devaient mettre en place un cadre juridique qui assurât une possession libre et entière de la terre, et fît obstacle aux revendications des autres usagers de cette terre. La foresterie s'est ainsi trouvée isolée, et est devenue pour beaucoup un adversaire. Le fait est que là où elles ont été instaurées, les lois forestières ont été considérées comme ayant valeur définitive; elles étaient imposées à des collectivités traditionnelles qui ne comprenaient pas pleinement que l'on réservât de grandes superficies de terrains à seule fin de produire du bois.
Peu à peu, les forestiers se sont rendu compte que l'ère des mises en réserve totales devait faire place à un aménagement intensif des terres pour justifier la mainmise sur cette ressource essentielle. A cet égard, la régénération de la forêt, la permanence de la ressource, ou la création de nouveaux peuplements, devinrent les nouveaux pôles d'intérêt, qui amenèrent les facteurs économiques à peser sur la législation forestière. Il y a trente ou quarante ans, on se reposait dans la plupart des pays tropicaux sur la régénération naturelle, de sorte que la politique forestière visait à mettre en place une réglementation qui assurât cette régénération. Le « Tropical Shelterwood System », ou mode de régénération par coupes progressives, adopté au Nigeria à partir d'une méthode appliquée en Malaisie, s'est poursuivi avec un ensemble de prescriptions qui se sont presque érigées en dogme.
Le problème était que la politique de régénération naturelle de forêts hétérogènes se fondait sur des motifs économiques, mais que seulement un petit nombre de peuplements forestiers était économiquement viable.
Aussi la grande majorité des essences forestières ne bénéficia-t-elle pas de ces réglementations. Par ailleurs les politiques mises en uvre supposaient une stagnation technologique. Il s'avéra donc nécessaire de passer de la régénération naturelle à la régénération artificielle.
La plupart des pays francophones ont fait de la régénération artificielle une institution à part, nommée « fonds forestier », ayant ses statuts et sa réglementation propres, et employant un personnel spécialisé. Au contraire, les pays anglophones ont plutôt opté pour la constitution de fonds de régénération gérés par leurs services forestiers et dépendant du ministère de tutelle et du Trésor public. Dans ce cas, le manque d'autonomie et la méconnaissance des besoins spécifiques de la régénération forestière ont été aggravés par le déblocage des crédits au coup par coup. Le résultat est que, alors que les pays francophones ont mis sur pied des programmes de reboisement confiés à des organismes paraétatiques capables d'assurer dans une assez large mesure une reconstitution systématique de la forêt, les pays anglophones ont été amenés à se reposer sur des techniques peu coûteuses, mais limitées, sans aucun cadre juridique propre. Il n'est donc pas étonnant que la taungya, I'agrosylviculture et l'agroforesterie, qui ont été plus largement acceptées dans les pays anglophones qu'ailleurs, se soient développées en tant que palliatif socio-économique plutôt que comme un moyen bien pensé et codifié de création de ressources.
A d'autres égards, les points de vue français et britanniques sur la protection et la régénération des forêts étaient, à l'époque coloniale, très proches sinon identiques. Par exemple, les Britanniques introduisirent des lois et règlements pour la protection des forêts et de leurs produits contre les violations, le vol et le feu. Ils obligèrent les exploitants forestiers à mettre en place de jeunes plants pour remplacer les arbres abattus. En outre, les agriculteurs étaient contraints de maintenir, protéger et soigner sur leurs terres les plants de certaines essences classées. Cette obligation particulière non seulement manquait de motivation, mais aussi soulevait la question fondamentale de la propriété du sol et du partage des revenus, qui est capitale pour le concept de l'agroforesterie.
Des réglementations analogues furent introduites dans de nombreux pays francophones. Au Niger, par exemple, quinze essences d'intérêt économique particulier pour l'administration coloniale étaient protégées, même lorsqu'elles poussaient sur les terres des paysans. La conséquence des réglementations quelque peu arbitraires au Niger est que les arbres sont privés de protection efficace malgré les lourdes sanctions pour les dommages qui leur sont causés. Au Nigeria, au Niger et ailleurs, ces lois et les autres qui établissent un contrôle sur l'exercice du droit de propriété privée sans y apporter de compensation sont une négation du développement coopératif. Elles sont antiéconomiques, et ont fait manquer une bonne occasion de propager l'agroforesterie.
Depuis une quinzaine d'années environ, plusieurs pays ont reçu des prêts importants de la Banque mondiale et d'autres institutions financières en vue de plantations forestières. Ces financements s'accompagnent de dispositions qui obligent les bénéficiaires de prêts à garantir un niveau satisfaisant des moyens techniques mis en jeu pour l'installation et l'entretien des peuplements jusqu'à la fin de leur évolution, où ils peuvent être exploités économiquement. En raison des objectifs spécifiques inhérents à ces investissements étrangers, la production de biens et services multiples, qui est la caractéristique de l'agroforesterie, peut difficilement être envisagée. Ainsi, bien qu'un nombre croissant de pays soient maintenant en mesure de régénérer de vastes superficies de forêts dégradées grâce à une aide financière internationale, les perspectives de l'agroforesterie n'ont pas été améliorées. Toutefois, il a été démontré au Kenya, par exemple, que les revenus provenant de la production agricole dans les plantations industrielles de la Banque mondiale n'ont qu'un effet minime sur la rotation financière du peuplement forestier.
Politiques et usages
Les politiques et les usages actuels en manière d'agroforesterie n'ont pas un caractère définitif; ils évoluent peu à peu en réponse à diverses contraintes matérielles et socio-économiques. Il y a dans les politiques des éléments et des tendances qui favorisent l'utilisation multiple des terres forestières, et l'extension de telles pratiques à des systèmes de production que l'on considérait auparavant comme incompatibles avec la forêt. Cependant les rapports entre agriculture et forêt ne sont pas une chose soudaine ni nouvelle. C'est en fait, dans une certaine mesure, une solution ancienne à de nouveaux problèmes.
La culture de montagne, ou taungya, telle qu'on la pratique en Birmanie, est la devancière de l'agroforesterie tropicale. Son développement a eu pour origine le désir d'exploiter le précieux teck dans son habitat naturel avec un minimum de préjudice pour l'économie des paysans. Cela exigeait que l'on reconstitue les forêts pour réduire au minimum l'érosion des sols, et pour cela la coopération des agriculteurs était nécessaire.
L'agrosylviculture telle que pratiquée dans les forêts de plaine en Afrique est une variante de la taungya. L'élément politique, là aussi, procède du désir des services forestiers d'offrir des possibilités rémunératrices aux collectivités locales confrontées à un raccourcissement de la jachère et à une baisse des rendements agricoles. Pour arrêter la destruction des forêts par les cultivateurs et garder leur maîtrise de la terre, les services forestiers ont dû recourir à une politique de concessions mutuelles. En d'autres termes, les forestiers concèdent aux agriculteurs des droits fonciers temporaires sur les terres forestières en échange d'un apport de travail pour l'installation du peuplement forestier. La motivation était pour une large part politique, bien que les avantages économiques qu'apportait aux services forestiers une main-d'uvre peu coûteuse pour la régénération des forêts soient devenus prépondérants.
La taungya et l'agrosylviculture, partant d'une conception intuitive, se révélaient, de ce fait, contingentes à long terme. Bien qu'ayant précédé et inspiré l'agroforesterie, elles étaient bien moins délibérées et réfléchies. Les raisons du récent développement de l'agroforesterie sont multiples (Adeyoju, 1980). L'une de ces raisons est qu'une population rurale croissante s'est trouvée confrontée à une pénurie de terres cultivables s'ajoutant aux problèmes de ressources alimentaires. En raison de la croissance démographique, les pratiques de mise en valeur sont devenues moins rationnelles, et en beaucoup d'endroits la monoculture agricole ou forestière est devenue de plus en plus indéfendable.
Sur la base de l'allocation des ressources, on admet généralement maintenant que la réalisation de profits par un secteur de l'économie peut nuire à un autre secteur. Il y a par exemple des questions pertinentes sur les coûts d'opportunité et sur l'échelle de temps de l'allocation des ressources qui ne peuvent être ignorées. Aussi, dans les pays en développement, la mise en réserve de terres exclusivement pour la forêt ou pour l'agriculture n'est pas toujours justifiable si, dans une période critique à court terme, on peut leur faire produire toute une gamme de biens et de services. A une époque où les pénuries alimentaires s'aggravent et où l'aide alimentaire internationale perd de son attrait auprès de bénéficiaires, le conflit entre agriculture et forêt, ou entre production d'aliments et production de cellulose, devient plus aigu et plus direct et tourne indiscutablement en faveur des premières.
Dans une telle situation, I'agroforesterie offre une nouvelle voie. Cela est digne de remarque, car en général la mise en uvre des ressources vise à une production mixte de biens et de services répondant aux besoins de nombreux membres de la collectivité. Par ailleurs, du fait que l'agroforesterie est une entreprise qui n'est pas destinée uniquement au domaine forestier, elle peut être aidée par des changements dans la législation et les usages de l'agriculture qui permettent une revitalisation de terres dégradées par une utilisation abusive. A cet égard l'expérience ougandaise d'intermèdes forestiers sur les terres agricoles privées est intéressante; on a constaté, en effet, qu'ils combattaient les effets nuisibles des engrais et des pesticides sur la production agricole.
Dans ce cas, les peuplements forestiers procurent non seulement une protection biologique, mais également un élément d'équilibre essentiel dans des écosystèmes qui autrement risqueraient de se dégrader.
La politique agroforestière doit être délibérée, et viser à éliminer la concurrence entre les deux activités. Elle doit s'attacher avant tout aux facteurs d'unification. Ceux-ci pourront être déterminés par un examen de l'état physique des terres et des objectifs économiques généraux du pays. Une analyse des coûts et bénéfices de l'agroforesterie dans différentes localités par comparaison avec ceux d'une utilisation unique permettra éventuellement de découvrir les principaux éléments de la politique et des usages admissibles.
La tendance récente, au Nigeria et ailleurs. à installer des villages essentiellement en vue de régénérer les forêts tout en produisant une quantité maximale de denrées alimentaires pendant les deux années suivant la plantation forestière est un bond en avant en matière de politique du développement. Les dépenses initiales en logements à bon marché et infrastructures sociales de base sont plus que compensées par le volume et la variété de denrées alimentaires produites, la faible mortalité des plants en pépinière et lors de la transplantation, la création d'emplois réguliers pour une main-d'uvre nombreuse et croissante, et les perspectives incomparables d'harmonie entre groupes ethniques (Adeyoju, 1978). Bien qu'une politique analogue d'attribution de terrains d'habitat dans des zones urbaines à des employeurs importants tels que banques ou firmes industrielles ait aussi des avantages, une telle politique forestière est particulièrement séduisante du fait qu'elle cherche à rétablir l'équilibre entre zones urbaines et zones rurales. Les villages agroforestiers représentent un substitut viable aux grands projets de mise en valeur qui bien souvent introduisent des équipements lourds, créent un chômage, ruinent l'écosystème, ébranlent les bases des sociétés traditionnelles, et font des habitants des étrangers dans leur propre milieu. Le village forestier peut être un atout majeur pour les responsables du développement.
La législation et le système
La mise en uvre de systèmes agroforestiers peut être et a été aidée par des contrats, accords et concessions divers. Le contenu juridique de ces termes diffère, mais tous se fondent sur des rapports entre le service forestier, qui est le détenteur de fait du domaine forestier, et l'agriculteur, qui en est l'usufruitier. On y trouve en général des clauses qui fixent les modalités d'occupation et d'usage des terres forestières par les agriculteurs, et réservent au service forestier le droit de punir les agriculteurs défaillants.
Dans une étude détaillée sur l'agrosylviculture, King (1968) examine le cadre juridique en vogue. Il classe les termes des accords en deux catégories, ceux qui sont acceptables par le forestier, et ceux qui sont attendus par l'agriculteur. A première vue, les conditions de jouissance peuvent paraître généreuses, mais elles restreignent les pratiques culturales à celles qui risquent le moins de compromettre la bonne installation du peuplement forestier, et exigent de la part de l'agriculteur un apport maximum en travail. Par exemple, certaines des clauses figurant couramment dans les conventions exigent que les cultivateurs n'entreprennent pas certaines cultures, ne cultivent pas à moins d'une certaine distance des arbres, remplacent à leurs frais les plants morts, travaillent dans d'autres parties de la forêt à d'autres tâches pendant une période déterminée, s'abstiennent de certaines pratiques de désherbage, ne construisent pas d'habitations ou autres bâtiments en forêt sans autorisation, ne transfèrent pas leurs droits ni ne souslouent la parcelle allouée. déposent une certaine somme en garantie contre les manquements aux accords passés.
A l'actif du système, cependant, on trouve des dispositions qui permettent aux agriculteurs d'occuper des terrains forestiers sans avoir à payer de redevance, de faire leurs cultures au milieu des arbres forestiers, de couper, ramasser et enlever gratuitement dans la zone concédée tout bois d'uvre et de feu de dimension maximale fixée pour leur usage personnel, de faire du charbon de bois gratuitement, d'être avisés avec un délai convenable de la cessation de l'accord, et pour les cultivateurs compétents de recevoir des primes et gratifications.
Le fait que les termes des contrats sont très nettement à l'avantage du forestier peut se comprendre aisément, car les prérogatives des dirigeants ou des législateurs leur permettent de favoriser des activités qui soient compatibles avec leurs objectifs. En tant que propriétaire foncier, le service forestier n'est pas à égalité de droits avec le cultivateur. Néanmoins, les droits d'usage concédés aux cultivateurs doivent être étendus en fonction de considérations particulières plutôt que par stricte application de principes et de prescriptions juridiques. En outre, les cultivateurs des zones forestières vivent en général au-dessous du niveau de subsistance, et méritent qu'on leur accorde plus de latitude dans le choix des cultures et de l'espacement à respecter. Les forestiers devraient reconnaître la nécessité de réviser les termes, les conditions et les incitations des contrats passés avec les cultivateurs pour les rendre plus équitables chaque fois que ce sera possible.
Ce qu'il faut faire
La politique et la législation forestières dépendent étroitement du régime foncier, dont les trois aspects économique, social et politique - sont liés entre eux, et servent également de critères traditionnels pour évaluer les résultats des différents secteurs de mise en valeur. Toutefois une évaluation plus significative des institutions foncières peut être faite sous l'angle de la production agroforestière.
Certains aspects du régime foncier forestier ne tiennent aucun compte de l'agroforesterie, que ce soit comme technique de régénération ou comme activité en dehors du domaine forestier. Le régime foncier et les lois forestières actuels ne permettent pas l'investissement privé, pas plus qu'ils n'encouragent l'adoption de l'agroforesterie par des particuliers. Pourtant, dans les secteurs ruraux tels que l'agriculture et l'élevage, les résultats obtenus par les organisations étatiques, même dans les pays socialistes, n'ont rien de très convaincant. Dans beaucoup de pays tropicaux, et notamment dans les zones arides, il s'avère de plus en plus que, dans les limites des techniques locales existantes. les villageois s'intéressent maintenant aux boisements familiaux. Mais, étant donné la législation actuelle, ils ne sont pas certains que le bois qu'ils produiront leur appartiendra. Une relation claire et positive entre l'effort et la récompense est une condition nécessaire pour que les populations locales participent à l'agroforesterie. C'est un des aspects que les nouvelles politiques et lois forestières doivent chercher à concrétiser.
Les lois qui obligent les agriculteurs à prendre soin d'arbres qui se trouvent sur leurs terres, afin que ces arbres produisent un revenu pour l'État lors des récoltes, doivent être abrogées. La pleine et entière propriété des arbres doit être dévolue à ceux qui possèdent la terre. Cela devrait faire l'objet d'un arrangement à long terme, donnant aux villageois une certaine sécurité qui les encourage à investir non seulement dans des arbres isolés mais également dans le reboisement de terres déboisées ou en friche. Ils seront alors libérés de toute considération juridique qui puisse influencer leur jugement quant aux essences d'arbres qui conviennent, de même que des tracasseries des préposés forestiers pour un non-respect de la loi. Ils pourront également prendre l'initiative de plantations forestières privées et seront incités à travailler avec le service forestier pour gérer au mieux le patrimoine forestier local afin d'en tirer biens et services.
Le Lesotho, petit pays montagneux soumis à une érosion intense, où l'économie est basée principalement sur l'élevage, a réussi à mettre en jeu un ensemble d'incitations pour l'agroforesterie. Grâce au Projet anglo-américain de petits reboisements mis en uvre en 1973, les chefs qui possèdent la terre sont de plus en plus réceptifs, par suite de certaines dispositions stratégiques. Tout d'abord le projet - ou sinon la Division des forêts s'est engagé solennellement à vendre le bois de feu récolté à la collectivité locale en priorité, à un prix subventionné égal au tiers du prix du bois de feu importé d'Afrique du Sud. Aucun bois de feu n'est vendu tant que les besoins de la collectivité locale ne sont pas pleinement satisfaits, après quoi le reste peut être mis en adjudication. En second lieu, la section 18 de la Loi forestière de 1978 stipule, entre autres choses que: ... (1) toutes les sommes encaissées au titre de cette loi, qu'elles proviennent de droits de douane, taxes, redevances ou autres, seront versées dans un fonds spécial; et ... le ministre pourra, après consultation avec le ministre des Finances, décider par arrêté qu'un pourcentage déterminé des sommes encaissées au titre de la sous-section 1 et provenant d'une réserve forestière sera alloué au profit de la collectivité sur le territoire de laquelle est située cette réserve.
En fait, il a été décidé que 20 pour cent de toutes les recettes encaissées seraient réservés pour le développement de la chefferie dans laquelle sont situées les plantations forestières (D. F. Davidson, communication personnelle). Ces incitations ont eu un tel succès que le personnel du projet est maintenant débordé d'offres de terrains, le facteur limitant étant la capacité d'exécution. En outre, comme un certain empressement se manifeste en faveur de la cessation de terrains pour des petits reboisements, il est maintenant relativement aisé de classer ces plantations dans le domaine forestier permanent, dans un pays où n'existait auparavant aucune forêt domaniale.
La notion de politique en tant que fixant une ligne d'action implique qu'elle influe sur l'utilisation des ressources dans le temps, mais pas nécessairement qu'une telle utilisation sera uniforme ou continue dans le temps. Cet aspect de la politique d'utilisation des ressources n'est pas pleinement apprécié par ceux qui ont la responsabilité de la politique de mise en valeur dans les pays tropicaux. Les agronomes comme les forestiers ont des points de vue rigides, et craignent de perdre un mètre carré de leur territoire au profit d'autres utilisateurs. Bien qu'étant chargés d'élaborer et de conseiller en matière de politique, ils ne sont pas disposés au changement. Si l'on considère combien ii est difficile de prédire l'avenir, et de réaliser des changements importants dans l'utilisation des terres, la souplesse est une caractéristique indispensable des politiques forestières et agricoles. C'est pourquoi Gould (1962) souligne que « la permanence et la stabilité peuvent créer une illusion de sécurité alors qu'en réalité elles conduisent dans une économie en expansion au vieillissement et à l'inadaptation. Un processus de planification continue est nécessaire pour équilibrer l'utilisation des ressources forestières ». Ce processus doit s'attacher à répondre à l'évolution des besoins et à une association souple entre travail, capital et terre dans une économie en expansion. Étant donné le rôle technique et socio-économique exceptionnel que l'agroforesterie peut incontestablement jouer, les responsables des principaux secteurs concernés, agriculture et forêt, doivent faire en sorte qu'elle fonctionne efficacement.
Vingt ans après leur indépendance, la plupart des pays agissent toujours selon des politiques et des législations forestières héritées de l'époque coloniale. Au cours de cette période la plupart des économies en développement ont été restructurées par de nombreux plans de développement, et les activités forestières ont naturellement connu une expansion considérable. Pourtant la plupart des services forestiers conservent une structure coloniale et n'ont pas d'unités de planification. Invariablement, le directeur des forêts est chargé d'appliquer une politique et des lois forestières formulées longtemps avant qu'il n'entre dans le service, et que son personnel connaît mal. Il n'existe pas de déclarations de politique et de législations qui soient publiées et à jour, de sorte que les services forestiers ont agi pendant des années sans objectifs, programmes de travail ni stratégie d'exécution déclarés. Dans ces conditions, l'approche de l'agroforesterie se fait sporadiquement et au coup par coup. Les services forestiers doivent prendre d'urgence des mesures non seulement pour renforcer leurs structures avec des unités de planification et de coordination de la politique, mais également pour énoncer des directives précises concernant le régime foncier forestier, les stratégies de régénération et le rôle de l'investissement privé. Il n'est peut-être pas prématuré de suggérer que, dans une économie en expansion rapide, des experts juridiques devraient pouvoir trouver dans les services forestiers des possibilités d'emploi à plein temps et des perspectives de carrière attrayantes.
Une déclaration indiquant une telle ligne d'action devra être ou sera suivie ne constitue pas par elle-même une politique. Ce n'est qu'une recommandation, ou l'expression de ce que tel individu ou groupe d'individus pense devoir être fait. Elle ne deviendra une politique concernant une société plus vaste que si des membres de celle-ci en nombre suffisant acceptent cette ligne d'action et la suivent effectivement. Le choix des lignes d'action et leur acceptation sont un processus graduel, additif, et à certains égards évolutif. Ce qui apparaît comme une décision abrupte de politique peut en réalité être l'aboutissement d'un certain nombre de changements progressifs dans les connaissances, les points de vue et les objectifs de nombreuses personnes. A cet égard on s'accorde, semblet-il, à considérer que l'agroforesterie a évolué sous une forme ou une autre avec des générations de forestiers, et qu'elle est de plus en plus acceptée comme une technique d'aménagement qui a un rôle particulier à jouer, notamment sur de vastes superficies de terres mal exploitées. Ce qu'il faut en réalité, par conséquent, n'est pas de rechercher des voies entièrement nouvelles et différentes. mais de rendre plus efficaces celles qui existent déjà. C'est pourquoi nous devons améliorer le cadre politique et juridique correspondant afin de consolider les progrès déjà acquis.