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La recherche en agroforesterie dans les tropiques humides

A. G. Seif el Din
Centre de recherche pour le développement international, Nairobi, Kenya

Résumé

Si le but principal de l'agroforestene est de satisfaire les besoins des collectivités humaines, alors larecherche doit s'orienter vers la préservation ou la modification des habitats non perturbés, la restauration de ceux qui ont été perturbés, et l'utilisation rationnelle des écosystèmes améliorés. Les objectifs de l'agroforesterie doivent être laproduction alimentaire, la production forestière, et laconservation de l'environnement. Dans l'écosystème forestier, la taungya offre un champ particulier pour larecherche, en ce qui concerne notamment ladurée de lapériode pendant laquelle le terrain forestier peut porter des cultures vivrières avant fermeture complète du couvert, et ladétermination des espacements optimaux donnant une production alimentaire maximale sans influer défavorablement sur laforme et lacroissance des arbres. Dans le système de production agricole larecherche doit se consacrer à l'introduction d'arbres qui régénèrent lafertilité des sols en recyclant les éléments nutritifs dans le temps le plus court possible, et fournissent des produits forestiers pour accroître le revenu des agriculteurs ou satisfaire leurs besoins.

Introduction

Nous n'entreprendrons pas ici de donner une définition des techniques et des systèmes agroforestiers, car on a déjà beaucoup écrit ou dit à ce sujet. Le terme d'agroforesterie est employé ici selon la définition de King et Chandler (1978), à savoir un système permanent d'aménagement des terres qui en accroisse la production globale. Il semble y avoir deux raisons principales à l'intérêt croissant porté à un tel système la première est la sérieuse dégradation de l'écosystème qui résulte du déboisement; la seconde, qui découle de la première, est la diminution des ressources forestières et des superficies cultivables dans le monde à un rythme alarmant. L'aspect écologique de l'agroforesterie impose de planter des arbres de manière à assurer la conservation et l'amélioration des facteurs écologiques qui influent sur les systèmes de production. En outre, ces arbres devront fournir un ou plusieurs produits forestiers, tels que bois, fourrage, aliments, nécessaires à l'amélioration des conditions de vie dans les zones rurales.

Le terme d'agroforesterie devrait donc évoquer des systèmes dans lesquels l'aménagement forestier, la production alimentaire et la conservation sont des éléments d'un tout intégré; c'est par conséquent une activité multidisciplinaire.

Certaines des techniques reconnues de l'agroforesterie sont en usage depuis des siècles dans beaucoup de régions du monde (King, 1968). Elles se sont développées dans les zones rurales lorsque les besoins en certains produits forestiers ne pouvaient être aisément satisfaits par la forêt naturelle, ou lorsque certains arbres étaient reconnus utiles pour les cultures vivrières. La production de gomme arabique au Soudan et les cultures agricoles sous Acacia albida en Afrique occidentale sont deux exemples parmi les plus connus de pratiques agroforestières de nos jours (Seif el Din, 1980). La pérennité de ces pratiques est menacée par les conséquences de la croissance démographique telles que la culture abusive, qui entraîne l'élimination progressive de l'élément arboré dans le système. La tâche de la recherche agroforestière est par conséquent de trouver le meilleur système, compte tenu des limitations physiques et biologiques et des besoins socio-économiques des collectivités ou des individus.

L'une des tâches importantes des chercheurs en agroforesterie doit être de déterminer les moyens de maintenir la stabilité d'écosystèmes qui n'ont pas encore été sérieusement perturbés, afin de les rendre plus productifs pour répondre aux besoins humains. La triste réalité, malheureusement, est qu'il reste bien peu de forêts naturelles à conserver. En conséquence, les programmes de recherche agroforestière devront être orientés vers la tâche immensément difficile de restauration des terres dégradées et de conception de systèmes d'aménagement des terres qui répondent aux objectifs de l'agroforesterie.

La gravité du problème est évidente lorsqu'on voit la disparition rapide des forêts tropicales humides. Myers (1980) estime le rythme de conversion de ces forêts en d'autres formes d'utilisation des terres, dans le monde entier, à 40 hectares par minute. Il indique que, vers le milieu des années cinquante, environ 1 million de kilomètres carrés de forêts tropicales avaient disparu rien qu'en Afrique, et qu'il en disparaissait annuellement, sur ce continent, 40 000 kilomètres carrés. On estime que la Côte d'lvoire a perdu près de 40 pour cent de ses forêts entre 1966 et 1974, et au Nigeria la superficie de forêts restantes ne serait plus aujourd'hui que d'environ 25 000 kilomètres carrés, soit moins de 3 pour cent du territoire national. Addo-Ashong (1980) indique que sur 82 000 kilomètres carrés de forêt dense tropicale qui existaient au Ghana il n'en reste plus aujourd'hui que le quart, soit 20 500 kilomètres carrés.

Propositions de recherche

Si le principal objectif de l'agroforesterie est de répondre aux besoins immédiats et futurs des collectivités humaines vivant dans la région concernée, alors elle doit être abordée sous l'angle de la préservation ou de la modification des habitats non perturbés, de la restauration de ceux qui ont été perturbés, et de l'utilisation rationnelle des écosystemes améliorés.

En d'autres termes, l'agroforesterie doit être considérée du triple point de vue de la production alimentaire, de la production forestière et de la conservation de l'environnement, ce qui équivaut à la formule de Combe (1979) lorsqu'il dit qu'elle est économique, écologique et sylvicole. Le résultat devrait en être un nouvel environnement, non identique mais très proche de l'environnement naturel dans ses caractéristiques fondamentales, de sorte qu'il soit suffisamment stable et assez productif pour satisfaire les besoins humains. Il devrait offrir, selon la formule de Wassink (1977), » un mode de vie permanent normal et acceptable pour tous ceux qui y vivent ".

Plusieurs auteurs ont indiqué les éléments essentiels d'un système agroforestier (Greenland, 1977; Grinnell, 1975; Combe et Budowski, 1979; Reatequi, 1979). La plupart s'accordent pour dire qu'un tel système doit assurer:

L'étape suivante est de considérer le type de terres et les combinaisons de plantes et d'animaux qui constituent un système agroforestier. Il y a des divergences d'opinions considérables à cet égard, pour la simple raison que la plupart des idées prônées en agroforesterie n'ont pas encore été soumises à une étude systématique.

Aux Philippines, Kuo (1977) propose trois classes de terres: forestières, agroforestières, et agricoles. Il place les forêts sur les pentes les plus raides avec les sols les plus superficiels, l'agriculture sur les sols les plus profonds en pente douce, et l'agroforesterie entre les deux, occupant une portion relativement faible de la superficie. Il souligne, cependant, que l'agroforesterie peut être pratiquée sur toutes les classes de terres, en fonction de la politique d'utilisation des terres et des caractéristiques des sols.

Dans l'exemple cité par Kuo, certaines des terres forestières sont sur des pentes si raides que toute culture ou tout pâturage mettrait en danger le paysage tout entier, tandis que certaines zones conviennent pour la culture continue de végétaux dont la production n'est économiquement possible qu'en monoculture. Il en résulte que l'on ne peut faire entrer toutes les cultures ni toutes les terres dans des systèmes agroforestiers. En conséquence il y aura des zones qui seront aménagées uniquement pour les cultures agricoles, pour le pâturage, ou pour la forêt pure. Pour les associations agroforestières, on peut considérer comme satisfaisante la classification générale des systèmes proposée par Budowski (1977) ainsi que par Torres (1979), à savoir: arbres associés à des cultures agricoles; arbres associés à des cultures agricoles et à l'élevage; arbres associés à l'élevage. Pour parvenir au système agroforestier désiré, on doit aborder la recherche sous une double perspective agricole et forestière. Ces deux disciplines ont eu pendant longtemps des intérêts antagonistes à propos de l'utilisation des terres, tandis que l'élevage était, dans la plupart des cas, totalement négligé. Les systèmes de production forestière et agricole devront par conséquent être progressivement modifiés de manière indépendante jusqu'à ce qu'ils se rencontrent finalement en un point que l'on appelle agroforesterie. La production animale doit être aménagée dans l'un et l'autre système de manière à obtenir des rendements optimaux sans entraîner d'effets défavorables sur le système, et même en l'améliorant. Cela signifie, en termes simples, la production de végétaux et d'animaux sur les terres forestières et la production d'arbres et d'animaux sur les terres agricoles.

Certains chercheurs agronomes voient l'agroforesterie simplement comme l'utilisation d'essences à croissance rapide, d'une faible longévité, pour améliorer la fertilité du sol en vue de la production d'aliments et non comme une source de production forestière. D'autres encore la voient comme l'introduction de nouvelles cultures arborescentes dans les systèmes agricoles en vue d'accroître et de diversifier les ressources alimentaires des populations rurales. Ce dernier point de vue est du même ordre que la domesticattion de nouvelles espèces animales en tant que forme de système agro-sylvopastoral. Le danger de cette approche de l'agroforesterie est que l'on ne sait que très peu de chose de la biologie et des incidences écologiques de ces cultures et espèces animales nouvelles.

Certains parmi les chercheurs forestiers regardent l'agroforesterie comme un autre nom pour le système taungua, signifiant qu'une certaine quantité de denrées alimentaires est produite au stade de la plantation forestière. Ils ne prennent pas en considération la nécessité d'utiliser l'espace disponible pour des cultures vivrières au moment de l'installation des arbres dans les plantations équiennes, de l'ouverture du couvert en vue de la régénération naturelle avec la méthode du « Tropical Shelterwood System » en Afrique occidentale par exemple, et enfin lors des divers traitements tels que l'éclaircie. Avec cette interprétation de l'agroforesterie, le système taungya ne forme plus qu'une étape d'un système global qui fait appel à des combinaisons appropriées d'espèces végétales et animales, réparties au mieux dans l'espace et dans le temps, pour la production d'aliments et de bois aussi bien que pour la préservation de l'écosystème. La recherche agroforestière sur la taungya doit s'attacher à déterminer le temps pendant lequel le terrain forestier peut porter des cultures agricoles avant la fermeture complète du couvert ou le déclin de la fertilité, et à identifier les espacements optimaux pour une production vivrière maximale, sans influer défavorablement sur la forme et la croissance des arbres telles que les exige l'aménagement forestier traditionnel.

Production alimentaire dans l'écosystème forestier

Divers régimes sylvicoles ont été imaginés pour régénérer les forêts naturelles dans les régions tropicales humides d'Afrique occidentale, mais le plus en vogue actuellement est le « Tropical Shelterwood System », qui consiste à ouvrir progressivement le couvert en tuant et extrayant les arbres de façon à laisser passer assez de lumière pour la croissance des semis naturels des essences désirables. Le degré d'éclaircissement dépend du type de forêt (densité et composition par essences), des ressources disponibles. et de l'état des semis naturels présents.

L'approche de la recherche agroforestière doit viser ici à obtenir une production alimentaire par un éclaircissement plus intensif et le recours à des cultures vivrières tolérant l'ombre qui ne nuisent pas aux essences forestières. Bien qu'on ne dispose que de peu d'expérience en ce qui concerne les interactions entre cultures vivrières et arbres, il se peut que ces derniers profitent de la culture du fait de l'élimination de la plus grande partie du sous-étage en vue de lui donner de l'espace, et par conséquent de la réduction de la concurrence des adventices.

Il est souhaitable de tester différentes cultures à différents stades de croissance des arbres entraînant des changements dans le milieu, notamment en ce qui concerne le volume de couverture morte et la quantité de lumière atteignant la surface du sol.

Lorsque le peuplement forestier dépasse le stade des semis, on intervient à différents intervalles sous la forme de dégagements et d'éclaircies, afin d'obtenir un peuplement de la meilleure qualité possible. L'intensité de ces opérations, notamment de l'éclaircie, dépend de l'essence et des objectifs fixés dans chaque cas. Étant donné que la nécessité d'avoir plus d'espace pour la production d'aliments est universellement reconnue, l'éclaircie ellemême peut être modifiée pour fournir de l'espace pour les cultures et le bétail sans compromettre les objectifs de l'aménagement forestier. Des voies de recherche appropriées sont l'introduction de cultures vivrières avec différentes intensités d'éclaircie, et la production fourragère avec divers degrés d'éclaircissement tant des arbres plantés que du sous-étage naturel.

Les principaux points à considérer dans la planification des expérimentations sont: 1° les types de cultures vivrières qui répondront favorablement aux nouvelles conditions de milieu de la forêt sans nuire aux arbres; 2° les possibilités d'introduction d'espèces arbustives et herbacées fourragères pour enrichir les pâturages naturels et améliorer le rendement de l'élevage.

Production forestière dans des boisements paysans

On ne peut envisager une production forestière dans des boisements plantés par les agriculteurs que s'il y a une demande pour les produits, sinon ces agriculteurs ne seront guère incités à planter des arbres. Cependant, si l'amélioration de la fertilité du sol est clairement démontrée, ils pourront être disposés à introduire et entretenir des arbres sur leurs terres. C'est sur cette possibilité que se fondent les efforts actuels de chercheurs en vue d'adapter et perfectionner le système traditionnel de culture itinérante, dans lequel le sol recouvre sa fertilité grâce au recru de brousse naturelle durant la période de jachère. L'idée est de planter des arbres sur les parcelles de culture abandonnées afin de régénérer la fertilité du sol par recyclage des éléments nutritifs dans le temps le plus court possible, tout en obtenant des produits forestiers qui accroîtront le revenu de l'agriculteur ou satisferont ses propres besoins.

Les essences utilisées à cet effet doivent avoir une croissance rapide et fournir des produits marchands en un temps court, autrement dit l'agriculteur ne doit pas perdre de temps lorsqu'il a à nouveau besoin de la terre pour ses cultures vivrières. En même temps les arbres plantés doivent être capables de restaurer la fertilité du sol au moins aussi bien, et de préférence mieux que la brousse spontanée.

La plantation d'arbres en association avec des cultures vivrières a pour résultat la production simultanée d'aliments et de produits forestiers sur une même parcelle. Outre leur rôle principal de production, les arbres doivent améliorer le sol. De cette manière la culture agricole peut se prolonger au-delà de la durée habituelle de trois ans, et éventuellement aboutir à une combinaison qui permette une culture permanente. Ce que l'on cherche est une extension de ce qui se pratique dans certaines régions tropicales sèches, où l'on fait des cultures vivrières sous Acacia albida. mais en outre les arbres seront traités de manière à fournir des produits commercialisables continuellement ou à intervalles réguliers. Le choix judicieux des essences et leur disposition spatiale devront être étudiés dans des parcelles d'essai.

Certaines cultures, telles que le cacaoyer, le caféier, etc., sont connues pour tolérer un certain ombrage vertical. Un certain nombre d'essences forestières ont été utilisées avec succès pour fournir de l'ombrage tout en produisant en même temps du bois Un exemple cité par Fuentes Flores (1979) en Amérique du Sud est ce qu'il appelle « agriculture tropicale stratifiée », comprenant caféier, agrumes, banane plantain, ruches, légumes sous des Cedrela sp. disséminés. En Inde, on introduit des cultures intercalaires intensives dans les cocoteraies, de manière à utiliser au maximum l'espace aérien aussi bien que souterrain (Nair, 1979). Okigbo (1977) et Getahun (1980b) ont établi des listes détaillées de végétaux ligneux, y compris des essences forestières, ayant une importance pour l'alimentation dans les sytèmes agricoles traditionnels en Afrique.

Il faut souligner que ni l'utilisation de végétaux arbustifs uniquement pour améliorer les sols, ni l'introduction de nouvelles cultures arborescentes dans les terres agricoles comme ressource alimentaire supplémentaire ne répondent aux buts de l'agroforesterie. Ce qu'il faut, au contraire, c'est rechercher les essences qui créent des conditions de milieu favorables pour une production végétale et animale optimale en sus de la production ligneuse.

Les sujets de recherche esquissés ci-dessus ne sont aucunement exhaustifs. Ils doivent au contraire être considérés comme une base de discussion pour arriver à un programme d'ensemble d'agroforesterie, avec des objectifs à long et à court terme. Certaines de ces propositions pourraient vraisemblablement s'appliquer également à des régions tropicales plus sèches où l'agroforesterie est tout aussi importante, sinon plus, en particulier lorsque l'élevage devient un élément prépondérant de l'utilisation des terres.

Avant de mettre sur pied un programme de recherche agroforestière, il faut rassembler suffisamment d'informations de base. On devra enquêter sur les pratiques existantes de mise en valeur dans la région, telles que celle réalisée par Getahun (1979a) dans le sud du Nigeria. On permettra ainsi aux chercheurs de mieux comprendre le comportement des agriculteurs, de sorte qu'ils pourront viser à améliorer les systèmes de mise en valeur existants plutôt que d'en concevoir de nouveaux qui seraient malaisés à mettre en œuvre. L'enquête doit comprendre une évaluation des caractéristiques des sols, de la végétation existante et de son influence sur la protection des sols, et des besoins des collectivités locales en matière d'aliments et de produits forestiers. L'étape suivante est l'identification des cultures qui poussent le mieux sous les arbres, et des essences forestières qui assurent la protection et l'amélioration des sols cultivés. Les activités de recherche doivent être conçues de manière à déterminer les combinaisons optimales d'arbres, de cultures agricoles et d'animaux domestiques afin d'assurer un maximum de productivité et d'amélioration des conditions de milieu. Enfin, une stratégie de la recherche agroforestière devra être définie, et les méthodes pour son application mises au point. Steppler et Raintree (1981) ont proposé une telle stratégie, qui peut fournir une base de départ (voir chapitre rédigé par Steppler dans le présent volume, p 1).

 

Résumé de la discussion: Principes d'agroforesterie

Les exposés présentés ont suscité une ample discussion, qui s'est concentrée principalement sur les obstacles institutionnels et socio-économiques qui entravent la diffusion et l'adoption des techniques agroforestières. Plusieurs orateurs ont souligné qu'il faut examiner d'abord les besoins des agriculteurs, et que si l'on avait prêté plus d'attention à leur point de vue dans le passé, on aurait pu éviter bien des malentendus et des difficultés. Les chercheurs doivent être réalistes, et ne pas attendre des agriculteurs qu'ils adoptent des méthodes agroforestières simplement en raison du rôle que jouent pour les arbres la conservation du sol et de l'eau. Il faut qu'ils y trouvent un profit plus direct, surtout s'ils ne sont pas propriétaires de la terre. En bref, la conservation doit être conçue comme un sous-produit de l'agroforesterie, et ne saurait être considérée comme un « argument de vente » au niveau de l'agriculteur.

En ce qui concerne la plantation d'arbres. il a été reconnu que la méthode la plus efficace pour persuader les agriculteurs est de faire appel à des incitations financières, deux éléments essentiels étant la fourniture gratuite des plants, et des services de vulgarisation appropriés. On a souligné que dans certains cas les agriculteurs pouvaient recevoir des conseils contradictoires de la part des différents agents ou organismes de vulgarisation. En ce sens l'agroforesterie ne doit pas envisager la création d'une troisième classe de services de vulgarisation, mais plutôt être intégrée dans les programmes existants.

Le fait que les systèmes juridiques en vigueur ont été conçus avant tout pour protéger les forêts, et ne peuvent guère que décourager les agriculteurs de faire des plantations arborescentes à long terme, surtout pour la production de bois d'œuvre, a été l'objet d'une attention particulière. Même s'il existe un système d'indemnisation, il est généralement destiné à des plantations forestières comme dans le système taungya, par exemple - et n'est pas applicable à d'autres formes d'agroforesterie. Le régime foncier joue un rôle décisif, car si l'agriculteur se trouve sur un terrain forestier domanial, ou s'il n'est que locataire, rien ne l'incite à planter des arbres ou à les protéger. Dans bien des cas il est responsable pour tous les arbres de valeur marchande, de sorte que le plus simple pour lui peut être de ne permettre l'installation d'aucun arbre.

En ce qui concerne la conception de systèmes agroforestiers, le leitmotiv de ce colloque a été que nous devons partir des systèmes existants. On a ressenti un besoin urgent de cataloguer les systèmes existants réussites autant qu'échecs - et ensuite d'essayer de les quantifier. On a souligné que l'approche du CIRAF suivra cette méthodologie fondamentale, en évaluant la structure et le fonctionnement des systèmes de mise en valeur existants, notamment ceux qui montrent des signes de détérioration, et en cherchant ensuite à définir d'autres systèmes possibles. On a fait ressortir les problèmes tant conceptuels que méthodologiques que pose la comparaison de systèmes agricoles. La quantité de variables pose à elle seule un dilemme à l'agroforesterie, car une quantification complète et un testage systématique des systèmes agroforestiers est généralement impossible, et pourtant on ne peut pas tenter de diffuser chez les agriculteurs un système qui n'ait pas été éprouvé. Il faut également trouver un certain équilibre entre l'étude approfondie de systèmes particuliers d'une part, et d'autre part le fait qu'il existera une diversité infinie de systèmes en raison de facteurs tant écologiques (type de sol, pluviométrie, etc.) que socio-économiques (accès aux marchés, cultures commerciales contre cultures vivrières, etc.).

Pour l'évaluation des systèmes agroforestiers, on a généralement réaffirmé que l'étalon de mesure le plus valable serait une comparaison avec les monocultures, et que l'on ne doit pas s'attendre automatiquement à ce que les systèmes agroforestiers soient meilleurs. Tout d'abord, la conduite d'une exploitation avec des cultures en mélange est plus difficile, et cela fait obstacle à la mécanisation. On a également fait remarquer que si les arbres peuvent apporter plus d'éléments nutritifs dans le système en les remontant des couches profondes du soi et en diminuant le lessivage, ils peuvent aussi immobiliser certains éléments pendant une longue période, et en définitive en exporter des quantités importantes sous forme de fruits, de feuilles et de bois. Les résultats doivent par conséquent être appréciés en tenant compte de facteurs tels que durée, profit économique contre subsistance, productivité biologique, permanence, etc. On a noté que, du fait que les systèmes agroforestiers peuvent réussir dans des zones marginales impropres aux systèmes agricoles traditionnels, une comparaison avec les monocultures n'est pas toujours applicable. Plusieurs orateurs ont formulé une mise en garde en disant que l'agroforesterie devrait être considérée non comme une panacée, mais plutôt comme une autre forme possible de mise en valeur, qui doit être convenablement testée, et impartialement évaluée.

Un autre leitmotiv de la discussion a été la nécessité d'une approche multidisciplinaire de l'agroforesterie. Des agronomes ou des forestiers travaillant isolément ne seraient pas en mesure de développer toutes les potentialités des systèmes agroforestiers, et certains participants pensent que cela implique la nécessité de créer un nouveau cadre institutionnel. D'autres participants ont souligné la nécessité de modifier la formation jusqu'à présent étroite tant des chercheurs que des vulgarisateurs pour tenir compte de l'approche multidisciplinaire exigée par l'agroforesterie; cette idée a été exprimée en termes simples comme le fait d'introduire des cultures vivrières dans la forêt et des arbres dans les champs. L'idée d'intégrer des agriculteurs dans la forêt a été reconnue comme sacrilège pour la plupart des forestiers traditionnels, mais nécessaire pour répondre aux besoins des populations locales. Cette intégration pourrait également être la base de relations plus cordiales que dans le passé entre agriculteurs et forestiers.

Enfin, on a souligné que le simple fait de mélanger des arbres et des cultures agricoles n'était pas suffisant, et que l'augmentation des rendements exigerait probablement des variétés améliorées, l'élimination des adventices, et des apports d'engrais. Pour améliorer effectivement les niveaux de vie, I'agroforesterie doit représenter un élément intégré du programme de développement rural, de façon à mieux répondre aux besoins élémentaires des agriculteurs.


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