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Post - harvest conservation of food
Vaincre la carence protéique par le
développement des légumineuses alimentaires et la protection de
leurs récoltes contre les bruches
Protein-Energy Requirements Data Sought
The calorie densities of gruels made from
extruded corn-soy blends
Energy
research
Vincent Labeyrie
Professeur d'Ecologie, Directeur de l'Institut de
Biocénotique Expérimentale des Agrosystèmes (IBEAS),
Université F. Rabelais, Tours, France
Si une plante ou si un animal est placé dans une nouvelle contrée parmi de nouveaux compétiteurs, lors même que le climat serait parfaitement identique, les conditions d'existence de l'espèce n'en sont pas moins généralement changées d'une manière essentielle. - Ch. Darwin, De l'origine des espèces, Chap. III
ABSTRACT
The shortage of proteins in tropical countries cannot be overcome by the development of the breeding of animals originating outside the tropics, as they are ill adapted to the environmental conditions and yield a low output.
Edible pulses, domesticated in these regions, can alleviate this shortage without causing soil degradation, because of their ecological properties, the rapidity of their growth, and the storability of their grains. But agricultural research ignores most of these species, and, although they are no less important than maize, their production is not even mentioned in world statistics.
The protection of the stored grains is essential. The fight against weevils (Bruchidae), which often destroy more than half of the harvest, has been unsuccessful because it has not been based on an adequate knowledge of these beetles, and in particular of how they infest crops at harvest time; they are wrongly believed to attack only stored grains.
* * *
La victoire sur la carence protéique dont souffrent des millions d'êtres humains, en couvrant pour l'avenir immédiat les besoins en protéines de l'humanité constitue une tâche capitale et urgente pour l'agriculture mondiale. La FAO estimait en 1970 que 25% de la population des pays pauvres, soit 434 millions de personnel, avaient une ration de protéine inférieure au minimum (1) ce qui peut entraîner, chez l'embryon et le bébé ayant survécu au kwashiorkor, des altérations du système nerveux, décelables ensuite chez l'adulte (2). Or rien ne prouve que l'orientation actuelle des productions agricoles permettra de vaincre la carence protéique; surtout lorsque l'on constate, comme G. Myrdal (3), "que de nombreux pays sous-développés exportent de grandes quantités de produits alimentaires de haute qualité, riches en protéines", destinés à l'alimentation du bétail des pays développés. On peut donc craindre, avec la Conférence Mondiale de l'Alimentation, que six personnel sur sept soient frappées de malnutrition d'ici une ou deux décennies.
L'ELEVAGE, APPORT EXCLUSIVEMENT COMPLEMENTAIRE
Certaines affirmations prétendent que la carence protéique des pays pauvres y est due à l'insuffisance de l'élevage. Or, tant les études ethnologiques que l'examen des pratiques agricoles montrent que pendant des siècles, dans la plupart des cas, les besoins en protéines des régions tropicales ont été assurés par la culture de légumineuses grâce à des pratiques agricoles souvent très élaborées.
Il est donc légitime de se questionner sur la genèse de la carence actuelle. Quel a été le rôle de l'introduction de méthodes culturales ou de productions inadaptées aux régions tropicales et équatoriales? Quel a été celui de l'extension systématique des cultures de rapports (4)?
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas en multipliant les élevages de bovidés "européens" dans les zones intertropicales, en transférant les régions d'élevage de France ou d'Allemagne, en Colombie, au Vénézuela ou au Brésil, que le problème sera résolu. Au contraire.
A. Trenkle et R. L. Willham (5) soulignent que les ruminants sont de mauvais producteurs de protéines, car ils transforment, moins efficacement que les autres herbivores, les graines et les oléagineux, en viande; de plus la teneur en protéine de la viande de boeuf est en moyenne de 17 à 18%.
Ainsi, le rendement écologique de Bos taurus (boeuf domestique) est extrêmement faible: on estime généralement qu'il faut 80 kg d'herbe verse pour obtenir 1 kg de boeuf (6). Ceci permet de prédire qu'il n'y aura pas et ne pourra pas y avoir de solution globale à la carence protéique grâce à l'utilisation généralisée du bétail. Cependant la notion de rendement écologique ne peut être utilisée d'une façon aussi simple.
L'homme est incapable d'utiliser les parties végétatives des graminées (trop riches en cellulose) dans son alimentation. Les ruminants sont ainsi obligatoirement d'un très grand intérêt et économiquement irremplaçables lorsqu'ils consomment des végétaux impropres à l'alimentation humaine, dans des zones où des plantes directement consommables par l'homme ne peuvent pas être cultivées. C'est pourquoi N. W. Pirie (7) souligne avec force que l'efficacité de la productivité animale ne doit être examinée que si l'animal utilise quelque chose que l'homme pourrait consommer directement, et s'il immobilise des sols qui auraient pu nous fournir d'autres aliments. Réciproquement, là où l'agriculture est impossible, l'élevage acquiert obligatoirement une rentabilité écologique indiscutable.
Dans ces conditions, les pores chinois et vietnamiens nourris avec des jacinthes d'eau sont toujours économiquement avantageux, mais ceux de l'Illinois nourris aux tourteaux de soja, à la farine d'anchois et à l'extrait de fait de vache sont un désastre économique, même si, par l'aberration des pratiques financières, ils sont pécuniairement rentables. N. W. Pirie (7) précise: "Le porc et le poulet de ferme pourraient être encouragés dans les pays pauvres, jusqu'au niveau où ils consommeraient tous les déchets disponibles"
La pêche constitue un apport protéique très intéressant; en effet les poissons n'entrent pas en compétition directe avec l'homme. Par exemple, dans les rizières, il est possible d'élever crevettes et carpes. Malheureusement, même si la carpe a une teneur en acides aminés voisine de la viande de boeuf, l'espace utilisable exclusivement par la pisciculture dulcicole est restreint. Par ailleurs, dans les océans en très grande majorité désertiques, la production de matière vivante est généralement limitée par la concentration insuffisante en sels minéraux des eaux superficielles (8). De plus, de nombreux pays touchés par la carence protéique n'ont que peu de côtes, ou sont éloignés de tous rivages, ou ne disposent que d'installations frigorifiques insuffisantes. Enfin, la part des pêches des pays tropicaux et équatoriaux sous leurs latitudes est passée de 86% en 1958 à 34% en 1970, le reste étant capturé et commercialisé dans les pays industrialisés (9).
Dans ces conditions, élever les poulets de l'Ohio avec des anchois péruviens, le bétail du Texas avec du soja et du maïs, transformer en ranches de vaches "européennes" les forêts de l'Amazonie, les vallées de Colombie, ou les terres du Sahel, sont des crimes alimentaires assimilables aux bombardements de populations sans défense: l'animal domestique ne doit pas être un concurrent de l'enfant affamé; il doit contribuer à son alimentation et non la réduire. Or il a fallu 75 kg supplémentaires d'orge (unité de mesure) par habitant pour permettre l'augmentation de la consommation de viande en France de 1955 à 1971 (10). Face à une telle situation il faut populariser l'exemple de la Norvège, dont le gouvernement encourage l'utilisation du fourrage local, et taxe le grain importé pour nourrir le bétail (11); malheureusement c'est la politique agricole insensée des Etats-Unis, où le mais sert á fournir du grain au bétail, qui est donnée en exemple et se répand à travers le monde.
Le développement de l'élevage des bovidés "européens" dans les régions intertropicales est. de plus, une absurdité scientifique. Pourtant, N.W. Pirie (7) précise que "environ la moitié des 100 millions de vaches (de Bos taurus) du monde sont dans les tropiques. La plupart est sous-alimentée, si bien que la production de viande et de lait y correspond seulement au dixième de ce qui pourrait être obtenu d'animaux mieux alimentés et mieux élevés" Comme la production de protéines, par hectare et par an, est estimée à 80 kg chez les bovidés en Europe, elle n'atteindrait ainsi que 8 à 10 kg pour les régions intertropicales. T.C. Byerly (12) évalue pour les pays en développement, la production moyenne de protéines à 9 kg par bovin.
La raison principale en est simple; l'élevage en régions intertropicales ne porte qu'exceptionnellement sur des animaux qui en sont originaires. Ainsi les buffles Bubalus arnae et Syncerus caffer ne sont concernés que par 2% des publications sur la génétique et l'élevage des ruminants. Par contre le bétail y est généralement importé de régions aux latitudes élevées, aux rythmes saisonniers marqués: déplacé dans des conditions totalement différentes de celles des habitats où il avait évolué, son cycle biologique y est nécessairement perturbé. Par exemple il est obligé à de longs déplacements pour obtenir de l'eau, il est privé d'herbe verse pendant des mois... le résultat est physiologiquement désastreux (13), et les destructions par maladie et parasites atteignent souvent la moitié des troupeaux.
L'exemple de la multiplication des élevages de bovidés européens dans les pays tropicaux et équatoriaux montre que l'ignorance des lois de l'évolution et des contraintes écologiques entraîne l'adoption de stratégies zootechniques inefficaces. La règle d'or pour toute intervention avait pourtant été formulée par Francis Bacon: "On ne domine la nature qu'en lui obéissant".
C'est donc en utilisant les particularités d'espèces ayant évolué dans ces systèmes périodiques tropicaux et équatoriaux (14) qu'il est possible d'exploiter au mieux plantes et animaux, et non en y introduisant des plantes et animaux déjà domestiqués dans des systèmes aux périodicités totalement différentes. La méconnaissance de ce principe écologique élémentaire explique en partie pourquoi 72 % des travaux consacrés aux ruminants concernent exclusivement les vaches (Bos taurus) et la rareté des tentatives d'utilisation et d'amélioration des espèces locales, pourtant adaptées aux conditions écologiques et aux ressources végétales des biocénoses tropicales et équatoriales dans lesquelles elles ont évolué.
Sur la certaine d'espèces de bovidés actuels, les adaptations les plus diverges font que tous les habitats peuvent être exploités par des bovidés, aussi bien les régions tropicales les plus arides, que les forêts marécageuses équatoriales. Certaines espèces, comme Saiga tatarica, comprennent dans leur régime alimentaire de nombreuses plantes dédaignées par les autres vertébrés, à cause de leur teneur en sel ou en substances allélochimiques. Pourtant de très nombreuses espèces de bovidés ont été presque totalement anéanties en Afrique du Sud ou, comme le bison (Bison bison) en Amérique, même lorsqu'elles avaient déjà fait l'objet d'un début de domestication, comme le bubale (Alcelaphus baselaphus), l'algazelte (Oryx gazelle) et l'addax (Addax nasomaculatus) dans l'Egypte impériale (15).
R. Kyle (13) a montré pourtant que le gain de poids est deux fois plus rapide chez les élans du Cap (Taurotragus oryx), gnou (Connochaetes taurinus), bubale (Alcelaphus buselaphus), et autres antilopes de l'Est africain, que celui des veaux de Bos taurus dans la région Masaï, pourtant réputée comme zone d'élevage du boeuf.
Il doit être possible d'utiliser pleinement, pour les besoins alimentaires locaux, les espèces de bovidés indigènes, parfaitement adaptées comme cela a été fait en URSS, où la Saiga tatarica, presque totalement disparue en 1919, constitue maintenant un cheptel de plus d'un million de têtes fournissant chaque année 6000 tonnes de viande aux habitants de régions désertiques éloignées des zones d'élevage de bovidés européens (15).
L'élevage intensif des boeufs "européens" provoque le surpiétinement par ces animaux sédentaires qui, venant s'ajouter souvent au déboisement, contribue à la destruction des sols, peu épais et très fragiles, des régions intertropicales.
Il n'y a donc aucune justification scientifique, technologique ou économique au développement de l'élevage de bovidés "européens" dans ces régions tropicales et équatoriales.
Comment expliquer alors les déclarations sur la nécessité de multiplier ces élevages, sinon comme des tentatives d'intoxication, justifiées par l'intérêt financier de telles opérations. N'est-ce pas le coût extrêmement bas d'une main-d'oeuvre abondamment disponible qui explique le redéploiement et le transfert en Amazonie des élevages européens de bovidés? G. Garreau (16) souligne la ruée, pour l'achat de centaines de millions d'hectares de l'Amazonie brésilienne, de sociétés industrielles peu portées antérieurement vers l'élevage (Suia Missu, Volkswagen, Mitsubishi,...), Keith Ludwig achetant jusqu'à 1,5 million d'hectares (autant que la moitié des Pays-Bas et plus que n'en a jamais possédé l'United Fruit à l'époque où elle dominait sans partage les républiques bananières).
La nécessité d'élever les bovidés européens dans le tiers-monde existerait s'il n'y avait pas d'autre alimentation protéique. Or l'apport protéique de base peut être fourni par les végétaux, et complété par la consommation de vertébrés locaux.
LES LEGUMINEUSES DOIVENT JOUER UN ROLE ESSENTIEL
Dans ces conditions, toute politique alimentaire sage, voulant lutter contre la carence protéique et contribuer à assurer l'indépendance des nations, doit passer par l'optimalisation des ressources végétales. Or, "ce sont les légumineuses qui sont les plus prometteuses pour produire l'immense complément de protéines végétales dont le monde a besoin dans le futur immédiat" vient de constater le groupe de travail réuni par la National Academy of Sciences des Etats-Unis (17).
L'humanité doit examiner les possibilités d'utilisation et d'amélioration de son capital en espèces consommables de légumineuses, aux graines riches en protéines, (les "pulses") légué par les civilisations mexicaines, andines, méditerranéennes, nigériennes, éthiopiennes, transcaucasiennes, hindoues, extrême-orientales... Or, ce capital régresse; la base alimentaire de l'humanité se rétrécit. N.L. Brown et E.R. Pariser (18) soulignent que "cette tendance au rétrécissement de la diversité alimentaire peut avoir de sérieux effets à long terme par suite des substances toxiques présentes dans les aliments". Ainsi, non seulement le capital biologique de notre planète est saccagé par la destruction d'écosystèmes entiers, mais même le capital biologique domestiqué est lui aussi en grande partie abandonné (19).
L'application du modèle industriel à l'agriculture, avec la recherche de l'uniformisation des produits et de l'élargissement du marché, a atteint irréversiblement les patrimoines génétique (en variétés domestiquées) et biologique (en espèces inexploitées). Ont été considérées comme inutiles les plantes dont l'emploi n'apparaissait pas clairement, alors que le concept même de mauvaise herbe est discutable, comme le montre N. W. Pirie (7), en indiquant que les jacinthes d'eau, détruites par les experts américains avec des herbicides en Amérique, sont exploitées en Chine pour nourrir les pores. De même les variétés cites rustiques sont une source irremplaçable du polymorphisme. En biologie il n'y a pas de modèles dépassés, d'articles démodés.
Il y aura toujours antinomie entre production industrielle et production agricole. Par définition, la production industrielle s'est différenciée de la production artisanale par la standardisation des produits et des machines. Or les animaux et les végétaux sont des êtres sexués, originaux, différents de leurs congénères, et dont la descendance est obligatoirement polymorphe. Vouloir standardiser chaque production agricole, entraîne inéluctablement un effort soutenu d'isogénisation, dont le double effet est de perdre irrémédiablement une précieuse information génétique et de compromettre la survie de l'espèce.
La rationalisation de l'agriculture ne passe pas par son industrialisation; seule la très grande insuffisance des connaissances biologiques des responsables de l'économie peut expliquer une telle confusion: la rationalisation de la production agricole n'est pas synonyme de son industrialisation. L'agriculture peut être mécanisée, mais elle ne peut pas être industrialisée.
J. Smartt (20) signale 29 espèces de légumineuses tropicales, alors que W. R. Aykroyd et J. Doughty (21) en indiquaient 75; une enquête plus poussée permettrait vraisemblablement d'en recenser plus de 100. Malheureusement, beaucoup de ces espèces sont en vole de disparition. Il faut d'urgence organiser une campagne mondiale de recensement des espèces et de sauvegarde de leurs variétés.
Trois centres, dépendant du Groupe consultatif de la Recherche agricole internationale (CGIAR): à Palmyre (CIAT) en Colombie, à Ibadan (ITTA) au Nigéria, et à Hyderabad (ICRISAT) en Inde, sont chargés de conserver les collections de variétés de légumineuses; malheureusement leur activité ne concerne qu'une douzaine d'espèces.
D'ailleurs la méthodologie de la création de "barques de gènes" est inadaptée car elle ne tient pas plus compte des conditions écologiques d'évolution que de la dissociation géographique entre les sites de production des semences et de leur lieu d'utilisation. Les plantes ont un polymorphisme lié à leur très faible pouvoir de dispersion; il en résulte, comme l'a souligne A.D. Bradshaw (22), que les populations parapatriques sont très nombreuses chez les végétaux, et particulièrement chez les légumineuses où l'autogamie est fréquente. Ce n'est donc pas en groupant à Izmir ou à Palmyre des collections de variétés, que celles-ci seront sauvées. Cheque variété correspond à une évolution dans un habitat déterminé, sous l'action de pratiques agricoles précises; c'est avec ces pratiques et dans le même habitat qu'elles doivent être conservées et multipliées. Il faut appointer des paysans comme conservateurs de variétés cultivées, comme des lettrés sont appointés comme conservateurs d'archives. Les variétés seront protégées in situ, ou elles ne le seront pas. Les pools géniques des variétés cultivées ne se stockent pas comme des billets dans des coffres de barques; ils sont le témoignage fragile des interventions culturales de peuples aux méthodes agricoles déterminées dans le cadre spécifique des conditions écologiques des différents habitats.
La régression du capital biologique domestique en légumineuses est d'autant plus regrettable que la teneur générale en protéines des graines de légumineuses est de deux à trots fois supérieure à celle des graminées. Elles contiennent les 24 acides aminés (en particulier la Iysine insuffisante dans les céréales), indispensables à l'alimentation dans des proportions - à l'exception des acides aminés soufrés - correspondent aux besoins humains. Elles sont d'autre part riches en vitamines et sels minéraux.
La récolte annuelle peut atteindre et largement dépasser 1000 kg/ha pour la plupart des espèces; or ce rendement peut être multiplié, avec deux (ou parfois trots) récoltes annuelles successives, dans les pays disposant de possibilités d'irrigation ou ne présentant pas de saison sèche prolongée. Comme la teneur en protéine des légumineuses est supérieure à 20%, dépassant 30% - ou même 50% chez certaines variétés, particulièrement de soja -, il est possible d'obtenir plus de 200 kg de protéines à l'hectare. Or, comme le développement du veau (de boeuf "européen") exige plus d'un an depuis le début de la gestation, la disponibilité en protéines alimentaires des légumineuses peut ainsi dépasser 50 fois celle des bovine "européens".
Enfin, les légumineuses permettent, par la rapidité de leur cycle biologique, de répondre en quelques mois à une augmentation des besoins. Même si la production dépassait exceptionnellement les besoins réels, comme les graines de légumineuses conservent généralement leurs propriétés biochimiques inaltérées pendant de nombreux mois, il est possible - à condition de ne pas introduire de grains contaminés et d'éviter toute inoculation ultérieure -, de constituer des stocks pouvant curer plus d'une année.
Une des particularités de ces graines de la plupart des espèces de légumineuses riches en réserves à grande teneur énergétique et pourvues de nombreux acides aminés, est de se développer rapidement dès leur imbibition. Il s'agit là certainement d'un avantage adaptatif lié au climat des zones arides et subarides qui permet la multiplication des récoltes en pays équatoriaux ou avec l'irrigation dans les pays tropicaux.
Cette abondance en acides aminés et en réserves énergétiquement riches, accompagnée de possibilités de conservation prolongée a constitué un intérêt précieux pour l'alimentation humaine, dès que la domestication du feu a permis la destruction des substances allélochimiques thermolabiles. Cette élimination, facilitée par le trempage peut exiger en plus la fermentation (Glycine max. Canavalia ensiformis et Cortalaria striata), la germination (Pithecollobium lobatum), ou même le décorticage (Canavalia ensiformis et Stizolobium deeringiana). Mais les effets des substances secondaires des légumineuses ne seraient pas obligatoirement nocifs pour l'organisme humain. Ainsi, selon C. R. Sirtori et ses collègues (23), la présence de saponines - qui facilitent l'excrétion des sels biliaires et ainsi l'extraction hépatique de cholestérol sanguin - seraient à l'origine de la réduction de la fréquence des maladies de coeur lorsque l'alimentation sur légumineuses limite la consommation de viande.
Telles sont quelques-unes des raisons qui expliquent le très grand rôle joué par les légumineuses dans l'alimentation humaine.
En utilisant les données de J. Smartt (20), on peut estimer que la consommation moyenne dépasse 50 grammes par jour dans des pays représentant 50% de la population mondiale. Au Rwanda, au Burundi, au Nicaragua, dans de nombreuses régions de l'Inde, du Brésil, de l'Ouganda, du Mexique... la moyenne quotidienne dépasse même largement 100 grammes. Dans ces conditions la production de quatre pays (Inde, Japon, Brésil, Mexique) doit être supérieure à 30 millions de tonnes par an, pour une production mondiale évaluée à 115 millions en 1977, c'est-à-dire de l'ordre de celle du maïs... et pourtant, seules les productions d'arachide et de soja représentent les légumineuses dans les statistiques mondiales!
Le très faible intérêt manifesté par les organismes internationaux pour les légumineuses alimentaires est général, malgré quelques documents de la FAO. La National Academy of Sciences des Etats-Unis vient de le reconnaître (17). Ainsi la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) n'a même pas inclus les légumineuses parmi les 12 produits agricoles susceptibles de stockage, dont il est nécessaire de prévoir des réserves mondiales.
Quelle est l'origine de cette situation? Est-ce parce que les légumineuses sont surtout consommées par les classes sociales les plus pauvres? Est-ce parce qu'elles échappent aux grandes transactions commerciales internationales?
Quoi qu'il en soit, J. Smartt (20) insiste le danger de ne considérer comme économiquement importantes que les seules légumineuses figurant dans les statistiques d'exportation. Il est nécessaire d'utiliser les statistiques économiques, particulièrement dans le domaine agricole, avec les réserves soulignées par le fondateur de la théorie des jeux, O. Morgenstern (24). Par exemple, J. T. Dwyer et J. Mayer soulignent que "le mépris des considérations alimentaires pousse les économistes à négliger les petites entreprises agricoles et l'agriculture de subsistance, et ainsi à ignorer la majeurs partie de la population des pays en développement" (25).
Ignorées des économistes, les légumineuses à graines alimentaires paraissent marginales pour les agronomes orientant les stratégies agricoles mondiales. J. Smartt (20) remarque encore: "il n'y a que très peu d'écrits spécialisés ou de commentaires disponibles sur le rôle des légumineuses dans les systèmes agricoles tropicaux traditionnels ou techniquement avancés" Dans son excellent "Les légumineuses á grains en Afrique", W. R. Stanton (26) n'examine que 11 espèces de légumineuses sur les 34 recensées dans les publications de la FAO. Dans la bibliographie de son ouvrage qui porte sur 29 espèces cultivées, J. Smartt (20) ne fournit de références que sur 14 d'entre sires, dont 45% pour le soja (Glycine max), 23% pour l'arachide (Arachis hypogea) et 16% pour le haricot commun (Phaseolus vulgaris). Par exemple, aucune indication n'y est fournie sur Psophocarpus (le rapport de la NAS donne trots références bibliographiques, un de 1975, deux de 1977), cultivé pourtant en Afrique occidentale et en Asie du Sud Est et qui, selon N.W. Pirie (27), associe des graines et des tubercules très riches (20% contre 3% à 7% aux pommes de terre) en protéines à des feuilles comestibles. "Parmi les légumineuses, seuls le soja et l'arachide ont reçu beaucoup d'attention" reconnaît le rapport de la NAS de 1979 (17). En réalité, seul le CRDI canadien, en consacrant 50 de ses programmes de recherche agricole (sur 260) aux légumineuses alimentaires, paraît y avoir attaché, importance qu'il convenait (28).
Deux remarques peuvent être effectuées à partir de cette analyse. La première est que l'essentiel de la recherche technologique (85%) porte sur trots légumineuses, et pour moitié sur le soja. Or, paradoxalement, le soja est la seule à ne pouvoir être consommée sans traitement de détoxication, irréalisable par le petit agriculteur, ou avant une longue fermentation. C'est-à-dire que si un petit producteur ne parvient pas à vendre sa production, il pourra souffrir de carences protéiques devant un stock invendu de graines de soja contenant plus de 30% de protéines.
En réalité, soja et arachide n'entrent pas dans les programmes agronomiques en tant qu'aliments riches en protéines consommables par l'homme. C'est l'utilisation de leurs matières grasses qui est à l'origine de l'extension des cultures de soja et d'arachide, dont les résidus protéiques servent à la préparation d'aliments pour le bétail. Ainsi, les travaux concernant le soja, et la plupart de ceux concernant l'arachide, ne contribuent pas à réduire la carence protéique des populations des pays pauvres. De même, en grande partie, les travaux concernant les Phaseolus sont destinés à accroître la production de haricots verts consommés dans les pays industrialisés, ou par les classes riches des pays pauvres, et non à augmenter et améliorer la production de haricots secs.
Ainsi, non seulement la recherche sur les légumineuses est insuffisante, mais, de plus, biaisée, elle n'est pas en relation avec leur utilisation directe dans l'alimentation protéique de l'humanité. La situation concernant les légumineuses illustre une des remarques les plus courantes et les plus graves adressées aux programmes de la FAO: le développement de la production agricole n'est pas une fin en soi, il s'agit de savoir si elle améliore la situation alimentaire des populations les plus éprouvées. La régression de cultures traditionnelles de niébé (Vigna sinensis) en Haute-Volta, au Niger ou au Mali, au bénéfice de productions à haut rendement de haricots verts exportés vers l'Europe, n'a pas amélioré la situation alimentaire des paysans; au contraire. Il en est de même quand la cacahuète (Arachis hypogea) remplace le pois de Bambara (Voandzeia subterranea) au Sénégal. C'est dans la mesure où ces cultures vivrières fondamentales, correspondent à une agriculture familiale bien adaptée, seront priorisées, que la FAO par exemple remplira son rôle réel.
La seconde remarque concerne la régression des espèces de légumineuses cultivées. Les évaluations, portent sur une production mondiale supérieure à 100 millions de tonnes, sont elles aussi faussées, puisque la moitié de la production recensée concerne le soja et que l'arachide intervient ensuite pour 18 millions. La production de légumineuses, réellement alimentaires, et recensée par ces statistiques, serait donc faible. Comme la production de soja (pour la majorité aux Etats-Unis) a été multipliée par cinq en 25 ans, ceci signifierait que la production des autres légumineuses au rait sérieusement régressé. Cette diminution globale est effectivement observée en Amérique latine aussi bien qu'en Inde, parallèlement à l'accroissement des surfaces cultivées en blé, en maïs, ou en riz (29). Il s'agit là d'une conséquence extrêmement grave de la révolution verse, qui, par l'augmentation des rendements en céréales, a déséquilibré les rapports avec les légumineuses, et entraîné la régression des cultures de haricots, de pois chiches, de fèves, financièrement moins intéressantes (30). De même la culture des légumineuses à tubercules consommables a régressé parce que les espèces introduites de plantes à tubercule, manioc (Manihot esculenta), patate douce (Ipomoea batatas) et pomme de terre (Solanum tuberosum), ont bénéficié de beaucoup plus de recherches (17).
Il serait cependant abusif de considérer que la régression n'a pas d'autres causes, dont avant tout, l'utilisation systématique des pays pauvres comme source de matière première et d'aliments à bon marché pour les pays riches.
Telle est l'origine du développement de la cacahuète au Sénégal et du soja au Brésil. Accompagné d'un mépris profond pour les méthodes culturales traditionnelles et les habitudes alimentaires des pays colonisés, une telle attitude a non seulement entraîné la régression des surfaces de légumineuses directement alimentaires, mais la quasi disparition de nombreuses espèces. Par exemple le développement de la culture des cacahuètes en Ouganda risque de faire disparaître les autres légumineuses des disponibilités alimentaires locales.
Cette situation a non seulement des répercussions graves sur l'état sanitaire de la population, mais contribue aussi á la dégradation des sols, et, ainsi, à hypothéquer l'avenir
Les besoins accrue en azote des variétés de céréales à haut rendement ne peuvent être couverts dans les pays pauvres, par suite de l'écart croissant avec les prix industriels et faute d'usines productrices d'engrais azotés. Selon J. Suret-Canale et J. C. Mouchel (31) il aurait fallu pour couvrir ces besoins, construire, à partir de 1972, 250 usines produisant 1000 t/jour. Les sols des pays pauvres s'épuisent donc très rapidement avec les variétés nouvelles, exigeantes, de graminées.
Par contre, la culture des légumineuses, dont les rendements n'augmentent pas avec un apport d'engrais azotés (20) - leurs besoins étant satisfaits par l'activité du Rhizobium (32) - n'aggravent pas la pénurie de nitrates. Au contraire, les façons culturales traditionnellement pratiquées - récolte exclusive des gousses - maintiennent l'essentiel des résidus végétaux dans ou sur le sol, contribuant à fournir une nourriture d'appoint au bétail et à enrichir le sol en humus et en azote avec le système racinaire. La dégradation chimique des sols s'observe aussi quand la cacahuète - totalement arrachée lors de la récolte - remplace le niébé.
De plus, les cultures de légumineuses permettent une meilleure conservation physique du sol; d'une part, leur système racinaire plus profond (20) permet une meilleure fixation que par les graminées; d'autre part certaines cultures comme le niébé, par leur développement tardif, servent de couverture du sol au moment des fortes précipitations (26). Le pois cajan (Cajanus cajan) et Lablab niger permettent une bonne protection contre l'érosion, car ces légumineuses ont un système radiculaire très profond et résistent très bien à la sécheresse; Canavalia obtusifolia est souvent utilisé dans le même but. Le comportement de nombreuses légumineuses sauvages est associatif; c'est pourquoi les variétés domestiquées qui en sont dérivées peuvent être cultivées avec d'autres plantes. On rencontre le haricot traditionnellement associé au mais dans de nombreuses régions du Mexique, ou semé sous couvert arbustif, en Colombie. Cajanus cajan sert de peuplement d'abri pour les cultures de cacao, de café et de thé (26). Les Phaseolus peuvent aussi être semés sans que le sol soit totalement dénudé ou préparé, c'est le "frijol tapado" de Costa Rica (33).
Par leur très grande rusticité et leur bonne couverture du sol, de nombreuses légumineuses peuvent, dans les rotations de culture, contribuer à éliminer les plantes adventices. Associé au maïs, le mongo (Vigna aureus) empêche la croissance des mauvaises herbes, ce qui permet d'accroître le rendement du maïs (34).
Les légumineuses, à l'inverse des cultures sarclées, contribuent ainsi à la préservation des sols dans les zones fragiles. Elles sont, pour la plupart, adaptées aux conditions écologiques des régions où le déficit protéique est le plus grave, particulièrement dans les zones arides: Phaseolus acutifolius (désert de Sonora au Mexique), Vigna aconitifolia (désert du Rajasthan en Inde), Tylosema esculentum (désert de Kalahari en Namibie), Cordeauxia edulis (désert de l'Ogaden en Ethiopie et Somalie).
Domestiquées depuis des millénaires (35), elles présentent une radiation de leurs pools géniques qui permet la diversification de variétés, écologiquement utilisables dans de nombreux habitats. Ce remarquable polymorphisme morphologique et écologique a contribué à l'extraordinaire diversification des variétés cultivées de Phaseolus vulgaris, Vigna unguiculata, Arachis hypogea, Vigna aureus, Cajanus cajan, Lablab niger.
Il s'agit donc d'un legs inestimable de nombreuses civilisations agraires rendu possible par la domestication du feu qui a permis la détoxification par la cuisson (36). Or, cet héritage est systématiquement délaissé; méprisé, il est même parfois dilapidé, comme si le triomphalisme de l'agrotechnique des régions tempérées était tel qu'il tenterait d'éliminer cette trace de la richesse technologique de civilisations détruites par le colonialisme; á moins, tout simplement, que la culture des légumineuses soit considérée comme un obstacle à l'asservissement alimentaire des pays pauvres; puisque, selon H. Walters, économiste à la Banque Mondiale, "la recherche de l'indépendance alimentaire (food self-sufficiency) de tous les pays n'est, ni désirable, ni une utilisation efficace des ressources" (37).
LES ENNEMIS DES LEGUMINEUSES
L'inefficacité des mesures de protection contre les ravageurs des légumineuses est caractéristique de la crise mondiale de l'entomologie agricole. Dans son rapport sur les "Sciences de l'environnement dans les pays en développement", le Comité scientifique sur les Problèmes de l'environnement (SCOPE) reconnaît avec candeur: "il est prouvé qu'à moins qu'un système de protection des cultures amélioré soit adopté, les problèmes (créés par les pesticides) deviendront angoissants. Tout programme de protection adopté devrait apporter le maximum de bénéfices et créer le moins de dégâts á l'environnement" (38). Fruit d'un développement autonome, immédiatement utilitaire, l'entomologie agricole n'a pas enrichi et n'a pas été nourrie par les recherches entomologiques de base (39). Le niveau de la recherche théorique a souffert du découpage des sciences de la nature, avec séparation de la botanique et de l'entomologie dans des départements indépendants. Or les ennemis des végétaux présentent des caractères imposés par les plantes attaquées et par la nature de leur habitat (40). Ce ne peut donc être qu'en fonction des caractéristiques des légumineuses et de leurs habitats d'origine que l'on peut espérer découvrir les moyens de réduire les populations de leurs ravageurs en dessous des seuils de nuisibilité. Il est évident qu'une telle approche écologique s'oppose aux intérêts et orientations de l'industrie des pesticides (41), dont la puissance explique pourquoi le gouvernement américain a continué à exporter du D.D.T. vers le tiers-monde après son interdiction aux Etats-Unis (42).
Les organes végétatifs des plantes présentent une composition chimique de base remarquablement constante, mais ils diffèrent par des substances secondaires, allélochimiques, fruits de leur coévolution avec les consommateurs et pathogènes (43). L'immense mérite de G. S. Fraenkel est d'avoir mis en évidence l'importance de ces relations chimiques spécifiques dans les chaînes trophiques; malheureusement l'impact de ces travaux sur l'entomologie appliquée est très limité. Cependant, pour P. Harris (44), le rôle protecteur des substances allélochimiques doit être particulièrement important pour les organes des végétaux dont les tissus ont un faible pouvoir régénérateur ou dont les structures vulnérables ne présentent pas une redondance suffisante pour permettre la pérennité des fonctions de base après une destruction importante.
Le très faible niveau des connaissances sur la plupart des légumineuses rend très incertaines les hypothèses sur les caractéristiques des variétés dites sauvages, qui peuvent n'être souvent que subspontanées, et, ainsi, sur les conditions de coévolution de leurs ennemis. Bien qu'introduit clairement par Ch. T. Brues (45) pour la première fois en 1920, le concept de coévolution entre plante et insecte n'a pas encore orienté les recherches en entomologie agricole, ce qui est une des raisons de la pauvreté théorique de l'entomologie appliquée. On constate même que beaucoup de travaux laissent supposer que leurs auteurs considèrent que les insectes n'auraient pas attaqué les végétaux tant qu'ils n'étaient pas cultivés.
Les relations écologiques des populations des plantes annuelles et pérennes sont totalement différentes. Pour les premières, la reproduction sexuée n'est pas vitale, elle constitue une assurance permettant d'occuper les espaces libérés accidentellement dans les peuplements végétaux, tandis que pour les secondes, la production de graines assure la survie de la population (22). De grandes différences doivent ainsi exister dans les adaptations protectrices de ces deux types de végétaux. Pour les premiers, dans la mesure où un certain pouvoir de régénération leur permet de réparer les dégâts des structures fondamentales, la perte de graines ne revêt qu'un aspect secondaire; par contre, pour les seconds toute destruction est catastrophique.
Or Phaseolus vulgaris, l'une des rares légumineuses pour laquelle on possède des données sur des populations considérées comme sauvages, semble avoir subi une évolution très importante depuis sa domestication. Dans certaines régions du Mexique les plantes sauvages sont pérennes et grimpantes, avec floraison et fructification dès la première année. Mais, selon H. S. Gentry (46) tout laisse supposer, pour Phaseolus vulgaris, de nombreuses origines; sa domestication a dû être entreprise dans de nombreuses régions de l'Amérique centrale, à différentes reprises. Les sélectionneurs ont recherché systématiquement l'obtention de plantes naines à port déterminé (47). Le résultat paradoxal obtenu peut être ainsi la "création" de plantes annuelles présentant les systèmes de défense de plantes pérennes, d'où une complication énorme des problèmes de protection.
Généralement annuelles, les légumineuses sont rarement pourvues de possibilités de multiplication végétative; cependant leur port indéterminé et leur aptitude à former des bourgeons axillaires leur confèrent le pouvoir de réparer bien des destructions. C'est ainsi que Vigna unguiculata (niébé, cowpea) pourrait, selon J. Woolley compenser, par une néoformation, la destruction de 90% des fleurs (48); dans ces conditions, les dégâts de la pyrale, Maruca testulalis, seraient plus spectaculaires que dangereux. Chez Trifolium repens un pâturage intense induit même une augmentation de la densité de l'espèce dans le peuplement végétal (49).
Mais parallèlement, les légumineuses possèdent souvent des substances secondaires, allélochimiques, protectrices, au même titre que les végétaux généralement dépourvus de pouvoir régénérateur. Il n'y donc rien de surprenant que les animaux consommant leurs organes végétatifs appartiennent aussi bien à des espèces de phytophages généralistes (Pycnonotus cafer, Leptohylemyla cilicrura, Maruca testulalis, Spodoptera littoralis, Aphis craccivora) qu'à des espèces spécialistes comme Epilachna varivestis, dont la consommation des feuilles de Phaseolus serait stimulée par la phaseolunatine (50). Chez le lupin, dont la teneur en alcaloïdes varie nettement pendant la croissance, et dont les taux d'anagyrine et de méthylcytisine présentent un grand polymorphisme, le degré d'infestation par des insectes généralistes comme les thrips est inversement proportionnel à sa teneur en alcaloïdes (51).
L'existence des substances allélochimiques explique les efforts tentés pour créer des variétés résistantes (52). Ainsi, par exemple, une variété de Vigna unguiculata, Vita-3, a été sélectionnée pour sa résistance combinée à Empoasca christiani, à des germes pathogènes et à des nématodes (53). Ces sélections sont facilitées par le très important polymorphisme des systèmes de protection des légumineuses. La parapatrie, renforcée par l'autogamie (54), entraîne l'apparition de multiples populations, caractérisées par des teneurs différentes en substances allélochimiques. Il y a ainsi un très grand polymorphisme biochimique observé, par exemple, chez Phaseolus lunatus (55), Phaseolus vulgaris, Phaseolus coccineus (56) et Glycine max (57).
Mais, si l'on peut envisager de limiter ainsi, ou même d'empêcher les attaques des espèces généralistes, ces barrières allélochimiques renforcées ne permettent pas généralement d'éliminer les attaques de spécialistes dont l'armement enzymatique est le résultat d'une coévolution avec les légumineuses (43). C'est ainsi que les glucosides cyanogènes de leurs feuilles ne les protègent pas de nombreux spécialistes (53), et que celle d'alcaloïdes les stimule (59) et détermine même le lieu d'attaque sur la plante. Il peut ainsi y avoir sélection dans la population du phytophage spécialiste, de la fraction d'individus favorisés par cette augmentation des substances allélochimiques (60). Mais surtout l'homogénéisation des cultures, par la pratique de la généralisation de certains cultivars, favorise la sélection des spécialistes. Les problèmes phytosanitaires sont donc rendus plus graves et plus difficiles par la tendance à la monoculture de variétés homogénéisées. Cette orientation rétrograde - car en contradiction avec l'évolution - favorise non seulement la mécanisation et la commercialisation, mais aussi les germes pathogènes et les ravageurs animaux. Au contraire la présence de Medicago saliva, associée à Phaseolus vulgaris, limiterait les dégâts de Lygus hesperus sur feuilles de haricot, en les maintenant sur la luzerne plus attractive (61).
Les cultivars recherchés par la sélection, par exemple chez Phaseolus vulgaris, ont un port nain déterminé, c'est-à-dire un plus faible nombre d'entre-noeuds, ce qui donne une maturation groupée. Dans ces conditions les possibilités de régénération végétative sont éliminées et la multiplication des insectes à taux de multiplication élevée, pucerons entre autres, se trouve favorisée.
Comme, par ailleurs, les surfaces cultivées sont non seulement étendues, mais que les variétés qui y sont utilisées proviennent de semences récoltées dans des régions géographiques aux conditions écologiques totalement différentes, même des cultivars sélectionnés en vue de la résistance peuvent se trouver en état de stress (22) et ainsi présenter une résistance amoindrie aux pathogènes ou aux insectes. Or la réduction de l'activité photosynthétique des légumineuses, par destruction du feuillage, a des conséquences particulièrement graves, puisqu'elle limite l'activité des Rhizobium des nodosités par diminution de leur approvisionnement en énergie (52). Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les dégâts des consommateurs de feuillages atteignent maintenant souvent une ampleur aux effets catastrophiques. La stratégie de type r de ces insectes n'est plus équilibrée par le pouvoir régénérateur de la plante-hôte, dont, de plus, tous les organes sont simultanément au stade le plus vulnérable aux attaques. C'est ce qui produit, lors des attaques de Phaseolus vulgaris par Aphis fabae par exemple, alors que les systèmes compensateurs permettent à Vicia faba moins étroitement sélectionné, non seulement de supporter des attaques, rendues légères par les possibilités limitées de pullulation du puceron, mais d'avoir une production légèrement stimulée par la présence de cet insecte (62).
La présence de substances allélochimiques chez les légumineuses peut avoir des effets dissuasifs sur d'autres espèces et leur association peut réduire les dégâts sur d'autres cultures. C'est ainsi que l'arachide, associée au maïs, réduirait les attaques de pyrale (34).
Mais queue que soit l'importance des problèmes de protection posés par les ennemis des organes végétatifs des légumineuses, ils ne diffèrent pas fondamentalement de ceux des ravageurs des autres cultures annuelles. Il en va tout autrement de la protection de leurs fruits.