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LA PROTECTION DES GRAINES DE LEGUMINEUSES

De nombreuses légumineuses, partiellement détruites, peuvent régénérer une grande partie de leurs structures aériennes et former de nouveaux organes reproducteurs. Cette propriété est utilisée pour la fenaison des légumineuses fourragères (Medicago, Trifolium...). Mais, contrairement aux structures végétatives, les organes reproducteurs des végétaux ne renferment pas en eux-mêmes des méristèmes en dormance, permettant de régénérer les structures détruites. Ils sont donc totalement dépendants du pouvoir de restauration des tissus végétatifs, et, ainsi, quand disparaît l'aptitude à la régénération des tissus végétatifs, il n'y a plus aucune possibilité de réparer les pertes en organes reproducteurs. Pour cette raison D.H. Janzen (63) estime que les organes reproducteurs des végétaux doivent posséder des systèmes de protection renforcés; il considère ainsi que les animaux qui parviennent à attaquer les organes reproducteurs, disposent de plus grandes possibilités de surmonter les barrières physiques et chimiques des graines. Ainsi, bien qu'ils attaquent la même plante, souvent ils appartiennent à des groupes différents de ceux qui consomment les organes végétatifs (64). Or, avec la suppression du port indéterminé, par sélection de variétés naines à maturation groupée, disparaît l'aptitude à régénérer les structures végétatives portent les organes reproducteurs, pouvoir commun à de très nombreuses légumineuses de pelouses pâturées par des herbivores.

La plupart des espèces de légumineuses sont originaires d'écosystèmes à périodicités saisonnières, que ce soit avec saison sèche, avec saison froide, ou les deux.

La conséquence en est la fréquence d'espèces aux graines à pouvoir de germination prolongé pendant de nombreux mois. Les qualités chimiques des réserves, généralement abondantes, riches en énergie (conservée sous une forme immobilisant peu d'eau) et en acides aminés, sont ainsi maintenues pendant la période de diapause ou dormance. Mais la conservation du pouvoir germinatif dans des conditions écologiques adverses implique la présence de dispositifs morphologiques de protection physique. Par ailleurs de telles graines sont des cibles évidentes pour de nombreux consommateurs. G.H. Orians et ses collaborateurs (66) suggèrent ainsi "une relation entre la durée de présence d'un tissu végétal, le type de fonction qu'il accomplit et le type de défense adopté contre les herbivores". Il est donc logique de considérer que les systèmes de protection écologique contre des événements climatiques peuvent, parallèlement, jouer un rôle de protection mécanique contre les consommateurs. Pendant la maturation des graines sont ainsi élaborés, non seulement les réserves, mais aussi des systèmes de protection à efficacité prolongée, comme le tégument résistant. Quelle que soit l'importance de ces protections physiques des graines, la famille des légumineuses semble avoir évolué préférentiellement vers l'élaboration de substances chimiques protectrices des graines. Mûres, elles sont une source remarquable d'acides aminés exceptionnels, dont environ 60 ont été identifiés (67). Leurs analogies avec les acides aminés classiques en font des antimétabolites particulièrement efficaces dont l'élaboration et l'accumulation se produisent pendant la maturation des graines. Le spectre d'herbivores consommateurs d'organes reproducteurs doit ainsi diverger par spécialisation et réduction pendant la maturation des graines. En effect de nombreux "pod-borers", tels Etiella zinckenella, Laspeyresia nigricana, Heliothis armigera, Maruca testulalis..., susceptibles de consommer les graines en cours de maturation de nombreuses espèces de légumineuses, sont par contre incapables d'attaquer les graines mûres. Ces dernières ont en effet presque toujours des consommateurs spécifiques. Réciproquement, la germination induite par des facteurs écologiques (68) serait accompagnée de la disparition de ces protections chimiques (69). Effectivement la germination et le développement des premiers stades phénologiques sont sévèrement contrariés par des consommateurs généralistes comme Empoasca et Leptohylemyia cilicrura.

Si la longueur de la période de conservation des graines de légumineuses est avantageuse pour la consommation humaine, elle favorise aussi la contamination par des insectes susceptibles de surmonter les barrières tégumentaires et allélochimiques des graines mûres. Or ces barrières sont différentes suivant les espèces (70). Les populations allopatriques de bien des espèces de légumineuses présentent des spectres différents de substances allélochimiques (57).

Il y a ainsi spécificité des défenses, provoquant une pression de sélection orientée, dont la puissance est à l'origine de coévolutions particulières. Le couplage des espèces de légumineuses avec des phytophages spécialistes, ayant réussi à tourner leurs barrières allélochimiques au cours de l'escalade coévolutive, paraît donc logique. La poursuite du processus évolutif est favorisée par le polymorphisme des différents partenaires (71), or l'homogénéisation des cultivars élimine toute possibilité de résistance en désavantageant la plante, face à la population du consommateur qui elle reste polymorphe (58).

Enfin, le groupement, après la récolte, de graines provenant de différentes gousses, de différentes plantes, et même de différents champs, permet la diffusion, à partir d'un nombre limité de gousses contaminées, des espèces polyvoltines consommatrices de graines mûres. Ainsi toute espèce qui parvient à contourner les défenses chimiques et présente des exigences imaginales limitées peut détruire les graines de légumineuses entreposées après avoir contaminé les gousses avant la récolte.

LES BRUCHES, DANGER CAPITAL

Les coléoptères Bruchidae, dont les larves ne consomment et ne se développent que dans les graines (77), ont été l'une des très rares familles à avoir colonisé les graines mûres des légumineuses. La sous-famille des Bruchinae n'est même connue que comme consommatrice de légumineuses.

Par suite de la spécificité des lectines des différentes espèces de légumineuses, les larves d'une espèce de bruches ne consomment généralement que les graines d'une espèce déterminée de plante. Ainsi D.H. Janzen (73) constate que 73% des espèces de bruches des Leguminosae arborescentes de la forêt tropicale caduque de Costa-Rica n'attaquent que les graines d'une espèce, 15% deux, 6% trots... En Haute-Volta, C. Varaigne-Labeyrie (inédit) a obtenu 63% des espèces avec un hôte, et 25% avec deux hôtes. Sur 20 espèces de légumineuses, 16 n'étaient attaquées que par une espèce de bruche; aucun insecte d'une autre famille n'avait consommé ces graines mûres. C.D. Johnson (74) a obtenu à partir des gousses de Desmanthus des Etats-Unis la distribution suivante: une espèce avec quatre espèces de bruches, deux avec trots, cinq avec deux et cinq avec une.

Bien que la dureté et l'épaisseur du tégument des graines mûres soient des barrières efficaces contre la pénétration des larves, sa composition chimique joue un rôle important. Ainsi les larves de Callosobruchus maculatus, capables de perforer 1 mm de polystyrène, ne peuvent traverser le tégument des graines de 19 espèces de légumineuses (75). Les larves d'Acanthoscelides obtectus, mineuses de pilules de broyats de graines de Phaseolus vulgaris, meurent si la teneur en tégument est artificiellement augmentée (76). Toutes les modifications physiques, liées à la sélection agricole, ont facilité les attaques de ravageurs des gousses et des graines. Or chez Phaseolus vulgaris par exemple la sélection a modifié les qualités gustatives du fruit et de la graine. B. Pickersgill (65) signale ainsi que "la domestication de Phaseolus vulgaris a été accompagnée de la réduction de la couche de parchemin et de l'épaisseur des fibres des sutures des gousses, ce qui provoque un retard dans la déhiscence. La structure de l'épiderme des grains a aussi été rendue plus vulnérable"

Le tégument apparaît ainsi comme la barrière entre la graine et l'insecte. Pourtant les dégâts sur graines sont souvent catastrophiques, dépassant 80% et atteignant souvent 100%, que ce soit par Callosobruchus maculatus sur Vigna unguiculata au Nigéria (77) ou dans d'autres pays de la zone de savane africaine (observations personnelles), ou par Acanthoscelides obtectus sur Phaseolus vulgaris au Mexique ou en Colombie (observations personnelles).

L'importance de ces dégâts est sans aucun rapport avec ce qui est observé dans les entrepôts des organismes de stockage officiels; au Mexique comme en Colombie, des administrateurs de l'agriculture affirmaient ainsi que les bruches constituent un problème mineur; le CATIE (Centre de recherches et de formation en matière d'agriculture tropicale) à Turrialba (Costa Rica) n'a même pas inscrit dans son programme de recherches la protection des légumineuses contre les bruches dans les petites exploitations. Toute l'attention est portée vers la protection des graines transitant dans les grands circuits commerciaux.

La technologie ainsi élaborée ne concerne que les pays où la concentration de la population et l'importance de la consommation urbaine entraînent la commercialisation et la centralisation de tonnages importants, mais exclut pour l'essentiel les stocks de légumineuses intervenant directement dans l'alimentation des populations rurales. Par contre, elle est destinée à la protection des récoltes (soja, arachide) servant de matières premières à l'industrie agro-alimentaire. Les mesures préconisées, basées sur l'irradiation, la fumigation ou le poudrage avec des produits chimiques toxiques, sont, non seulement inutilisables dans la plupart des situations, puisqu'elles ne peuvent intervenir sur le circuit extrêmement limité de la plupart de ces graines alimentaires, mais dangereuses, car des graines de semence peuvent souvent être récupérées - les disettes étant fréquentes - comme aliments (42).

La protection des stocks des villages ou des familles paysannes étant considérée comme sans intérêt, puisque la conservation par le producteur est traitée d'irrationnelle et vouée officiellement à la disparition par le développement de circuits modernes des produits agricoles, il est compréhensible que le problème soit considéré comme résolu. En effet, les dégâts en silos sont contrôlés et limités. Il est possible de comprendre ainsi pourquoi les techniques proposées pour protéger les légumineuses - aliment familial traditionnel des secteurs agricoles peu industrialisés - n'ont aucun rapport avec les réalités socio-économiques du tiers-monde. On peut donc observer, une fois de plus, combien une innovation technologique est orientée par priorité vers les productions intéressant le secteur agroalimentaire industriel; le rapport de D.W. Hall (78), préconisant des méthodes de protection applicables dans les villages n'en est que plus méritoire.

Les conséquences de la contamination par les bruches des graines entreposées dépassent le nombre réellement détruit. Selon S. Venkatrao et ses collègues (79), l'apport d'acide urique et de fragments de chitine rend les lots contaminés inconsommables. Acanthoscelides obtectus peut entraîner des réactions allergiques graves aux personnel manipulant des graines de Phaseolus vulgaris fortement contaminées.

Enfin, E. Gain (80) notait, dès 1897, que le pouvoir germinatif des graines attaquées, bien que les plantules soient souvent épargnées, est très fortement diminué. En effet l'imbibition des cotylédons qui accompagne la germination, entraîne chez les graines perforées des attaques importantes par des germes pathogènes.

La destruction des stocks familiaux présente ainsi des conséquences dramatiques pour les populations rurales. Or les mesures proposées par les services officiels de protection sont totalement inefficaces et, en tout cas, bien souvent inférieures aux mesures traditionnellement employées par les populations confrontées depuis des siècles aux problèmes posés par la protection des récoltes de légumineuses. C'est ainsi que les habitants de l'état de Nariño en Colombie utilisent traditionnellement des méthodes physiques limitant efficacement la multiplication des insectes dans les stocks familiaux. Or la prolifération sur stocks constitue la particularité de nombreuses espèces de bruches.

F.K Loukaniovitch, examinant les différents types de bruches (81), signalait, dès 1932, deux autres groupes de cette famille d'insectes capables de se multiplier dans les graines mûres après contamination des gousses. Dans ces conditions, tandis que la première catégorie de bruches attaque les fruits avant la maturité - comme les autres insectes nuisibles aux gousses - les deux autres catégories constituent des fléaux particulièrement graves. En effet, la multiplication sur graines entreposées est extrêmement rapide quand la température est élevée. Acanthoscelides obtectus peut avoir 10 générations annuelles et, dans les conditions écologiques d'un tas de grains, une fécondité de l'ordre de 100 oeufs. Ceci permet d'obtenir théoriquement de l'ordre de 5 x 1018 individus à partir d'un couple au bout d'un an! G.H. Caswell (77) a observé pour Callosobruchus maculatus que des taux de contamination initiaux de 1% à 2% provoquent 80% de dégâts en quelques mois.

Cette extraordinaire prolifération est à l'origine des erreurs théoriques dans l'orientation de toute la protection des légumineuses contre les bruches. Les dégâts se développant sur stock, les bruches sont apparues pour les services officiels comme des insectes des denrées entreposées et la lutte organisée exclusivement sur les stocks a ainsi été justifiée théoriquement.

La division administrative traditionnelle des services phytosanitaires, en protection des cultures et protection des denrées entreposées, est peut-être à l'origine du classement officiel et systématique des bruches dans la rubrique: insectes des denrées entreposées. Ainsi, dans leur article récent "Grain Legume Pests", paru dans la principale revue d'entomologie "Annual Review of Entomology", S.R. Singh et H.F. van Emden (52) écrivent: "Les graines de légumineuses sont fortement attaquées pendant le stockage, particulièrement par les bruches et quelques lépidoptères Les insectes des denrées entreposées n'entrent pas dans le cadre de cette revue, même si l'infestation peut commencer dans le champ" Une telle position est malheureusement systèmatique, et l'énumération des rapports d'experts, plus ou moins internationaux, sur les ennemis des cultures de légumineuses oubliant de mentionner les bruches, est particulièrement inquiétante. En fait, l'activité de nombreuses espéces de bruches nuisibles est contraire aux règles administratives des ministères de l'agriculture et des organisations internationales.

L'exemple est extrêmement instructif, car il montre à quel point les règlements bureaucratiques peuvent nuire à la compréhension et à la résolution d'un problème, en contraignant à le poser d'une façon incorrecte. Mais il faut dire aussi que de nombreux entomologistes agricoles, ou de biologistes préoccupés par les problèmes quantitatifs de la dynamique des populations, oublient très souvent que les insectes domestiques ou nuisibles aux cultures ont évolué à partir de populations sauvages s'attaquant à des plantes sauvages (82). R. Levins (83) a raison de souligner l'intérêt des problèmes d'entomologie agricole pour les études d'écologie évolutive, mais, réciproquement, je ne conçois pas la possibilité de résoudre les problèmes de protection contre les insectes nuisibles en ignorant leurs relations biocénotiques hors de l'économie humaine (40).

La première condition pour une approche correcte de la protection des récoltes de légumineuses contre leurs ennemis principaux, les bruches, est de se débarrasser du concept administratif antiécologique, d'insectes des denrées entreposées.

Il n'y a pas de bruches domestiques. Même des lignées d'Acanthoscelides obtectus, sélectionnées pendant de nombreuses générations pour leur aptitude à pondre sans stimulation par la plante hôte - aux femelles ainsi éthologiquement émancipées - sont toujours sensibles à la plante hôte, puisque leurs performances reproductives deviennent supérieures si l'on réintroduit cette dernière (82).

Le problème fondamental est donc d'éviter la contamination des graines avant la récolte. Certaines populations d'agriculteurs des régions colombiennes ou africaines confrontées depuis des siècles avec les dégâts d'espèces polyvoltines, mais n'ayant pas adapté leurs techniques de récolte au comportement des femelles, limitent cependant l'extension de la contamination des graines des gousses saines en retardant l'écossage jusqu'au moment de l'utilisation des graines. Une telle méthode est utilisable chez les espèces aux gousses indéhiscentes, ou rendues telles par la sélection. En effet les jeunes adultes ne perforent les gousses et ne peuvent ainsi développer l'attaque dans de nouvelles gousses, que si l'opercule de leur loge nymphale est directement accolé á la gousse contenant les graines contaminées.

D'après les indications de F.K. Loukaniovitch (81) il semble que la protection avant la récolte soit particulièrement délicate lorsque les légumineuses sont attaquées par les bruches du genre Caryedon, probablement susceptibles de contaminer les fruits verts aussi bien que murs. Par contre, la protection contre les genres Acanthoscelides, Callosobruchus, Zabrotes est possible puisque seules les gousses et graines mûres reçoivent des pontes. Ainsi les relations phénologiques entre légumineuses et bruches sont fondamentales. D'ailleurs, dans leur étude sur différentes espèces de Bruchides, T.D. Center et C.D. Johnson (85) ont observé des espèces pondant sur les gousses, d'autres à l'intérieur certaines ont des larves solitaires, d'autres ont besoin de plusieurs graines pour achever leur développement.

Pour la seule espèce dont l'écologie a été un peu étudiée, Acanthoscelides obtectus, il est possible de déterminer à partir de quel stade phénologique les femelles acceptent de pondre dans des gousses de Phaseolus vulgaris (86). L'émission des oeufs s'effectue dans les gousses mûres intactes, après perforation de la suture dorsale (87), mais parfois la femelle utilise la déhiscence des gousses pour pondre directement sur les grains (M. Jarry, inédit). Zabrotes subfasciatus présente ce dernier comportement (id.), Callosobruchus maculatus de même, mais peut aussi pondre sur les gousses comme les espèces de Bruchus.

Dans ces conditions, les espèces polyvoltines (bruches du second groupe selon Loukaniovitch) contaminent d'autant plus les récoltes que les légumineuses séjournent plus longtemps dans les champs à un stade phénologique vulnérable.

Les récoltes de Phaseolus vulgaris peuvent ainsi être intégralement protégées des attaques de Acanthoscelides obtectus, bien que la contamination soit très élevée dans tous les champs voisins, par le ramassage des gousses dès la maturité, et leur écossage dès la récolte (88). Il est évident que l'écossage immédiat n'est efficace que chez les espèces dont les œufs ne sont pas collés aux graines, c'est-à-dire dont les larves néonates de type chrysomélien doivent rechercher elles-mêmes graines et lieu de pénétration.

Les populations allopatriques de Acanthoscelides obtectus des cordillères andines, séparées par des plaines aux températures trop élevées, présentent, en fonction de l'altitude, des populations avec ou sans diapause reproductive (89). Les populations d'Acanthoscelides attaquant les Phaseolus vulgaris sauvages ou subspontanés du Mexique dans des régions à saison sèche prolongée appartiennent vraisemblablement à une espèce sosie de Acanthoscelides obtectus, dont elle se distingue par certains caractères de morphologie interne, du cycle biologique et du comportement. Cette espèce présente une très longue diapause imaginale. Comme Phaseolus vulgaris supporte bien mieux les fortes températures que Acanthoscelides obtectus, on pourrait envisager que les gousses sont protégées dans les régions tropicales et équatoriales les plus chaudes. Malheureusement Zabrotes subfasciatus, espèce des régions aux températures élevées, peut contaminer les gousses grâce aux perforations laissées par des chenilles lors de la maturation.

Le polymorphisme de chacune des différentes populations allopatriques d'une espèce aussi polytypique que Acanthoscelides obtectus montre qu'il est impossible de prétendre trouver une méthode universelle susceptible de protéger avec la même efficacité les récoltes de graines mûres de légumineuses.

Il faut en finir avec les traités de protection des cultures qui prétendent décrire la méthode universelle protégeant par exemple le maïs contre la pyrale au Texas, en Lombardie, en Alsace, ou en Ukraine (40). A quoi sert de se gargariser d'un vocabulaire écologique si, dans la pratique, l'intervention, par son intemporalité et son cosmopolitisme, relève d'une attitude non seulement préécologique, mais aussi prédarwinienne? On ne soulignera jamais assez la responsabilité des traités d'entomologie appliquée dans la crise de la protection des cultures.

La technologie industrielle est universelle: les recettes pour bobiner un moteur électrique, pour riveter deux plaques d'acier, sont les mêmes dans le monde entier. Par contre chaque population animale ou végétale est le fruit d'une évolution dans une biocénose aux périodicités déterminées, elle résulte des interactions d'une escalade coévolutive précise. La technologie agricole est, par contre, en premier lieu, écologiquement déterminée.

CONCLUSION

Ainsi, c'est tout un ensemble biocénotique complexe qui est impliqué dans la protection des légumineuses contre nos principaux concurrents: les bruches. Les relations coévolutives sont bien plus compliquées que ne le supposent les manuels d'entomologie appliquée.

La complexité de ces relations biocénotiques explique pourquoi les interventions des protecteurs des cultures se sont souvent révélées désastreuses. L'aspect allopatrique de la coévolution explique l'échec de toutes les tentatives de généralisation d'essais localement heureux. L'aspect évolutif montre que la solution définitive est un mythe dangereux.

Toutes ces remarques, à première vue démoralisantes, permettent au contraire d'envisager de grands succès dans notre compétition avec les bruches, à condition d'appuyer nos interventions sur une connaissance précise de leur biologie, et, en particulier, de leurs relations biocénotiques avec les légumineuses.

Ces remarques montrent que la crise mondiale de l'entomologie agricole peut cesser, à condition de modifier profondément l'orientation actuelle (90) et de procéder à une formation scientifique sérieuse des intervenants (91). R. van den Bosch (92) a eu raison de mettre en garde contre la panacée que recouvre le mot de lutte intégrée, qui n'est souvent qu'un ensemble de mesures disparates.

L'élargissement de la base alimentaire de l'humanité, la lutte contre la carence protéique des enfants du tiers-monde, passent par l'extension des cultures de légumineuses. La réhabilitation des espèces négligées commence enfin à être envisagée. Il est indispensable d'éviter qu'elles ne soient cultivées pour nourrir les bruches. Il faut donc organiser la protection avant récolte des légumineuses classiques et, parallèlement, connaître les bruches qui pourraient détruire les récoltes à réhabiliter.

Seule une telle approche permet une gestion économe de la nature. Prétendre passer à une protection efficace, en faisant l'économie d'études biologiques sérieuses, abordées avec une conception écologique, est une mystification. L'humanité a trop gaspillé dans des programmes inefficaces parce que sans base scientifique, elle a trop perdu avec des méthodes de protection inappropriées pour se permettre de poursuivre sur cette vole. La protection des légumineuses contre les bruches est indissociable de la valorisation de ces cultures.

Dès maintenant nos connaissances sur les relations biocénotiques entre ces espèces permettent de prévoir l'élaboration de méthodes exemplaires de protection.

NOTES

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