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Cette méthode est tirée des stratégies d'étude de marché dans lesquelles les théories de psychologie sociale et de communication ont été appliquées puis incorporées aux méthodes de recherche en sciences sociales. Il existe à présent un manuel spécialement conçu pour les discussions dirigées dans les recherches sur la santé (voir Dawson, Manderson et Tallo, 1993)
Dans une discussion dirigée, des personnes issues du même milieu ou partageant une même expérience (mères de famille, jeunes hommes mariés, accoucheuses, etc.) sont réunis pour parler d'un sujet donné qui intéresse l'investigateur. Il est préférable de réunir des échantillons homogènes car le mélange de personnes de sexe et d'âge différents peut avoir un effet inhibiteur sur certaines personnes, en particulier les femmes.
Objet
Examiner les différents points de vue sur un sujet de discussion.
Obtenir une série de termes et d'expressions employés dans la langue locale pour désigner une maladie (p. ex. la diarrhée) ou un acte (p. ex. la défécation).
Examiner les significations des résultats de l'enquête qui ne peuvent pas être expliquées par des statistiques.
ENCADRÉ 22. Extraits des notes/résumés provenant d'entrevues informelles et d'observations Du village d'Ansaje, Tanzanie Entrevue 1 - Christina (pseudonyme pour préserver l'identité de la personne interviewée) Vers dix heures du matin, nous avons aperçu Christina, une jeune mère en train de travailler dans une shamba. En la saluant, nous nous sommes rendu compte que sa maison était toute proche. Comme nous lui avons fait comprendre que nous aimerions bavarder un peu plus longuement, elle nous a invité à passer chez elle. Christina est mère de quatre enfants dont un de douze ans (fille), un de neuf ans (fille), un de six ans, et un bébé de 18 mois. Christina explique que tous ses enfants sont capables d'aller à la latrine, sauf le plus jeune, qui fait ses besoins en dehors de la maison. Christina jette les excréments de son bébé dans la latrine. [L'équipe se souvient, lors de sa tournée d'inspection de la veille, avoir vu Christina occupée à transporter les matières fécales de ses enfants sur une houe pour les répandre sur la shamba en les enlevant de la houe à l'aide d'un balai de feuilles.] Christina a également raconté que routes les autres personnes vivant sous son toit se servaient de la latrine. Quand on lui a demandé si elle pensait que les selles des enfants pouvaient être insalubres, Christina a répondu que les matières fécales des enfants sentent mauvais et peuvent provoquer des maladies. Christina a signalé que son fils de six ans et son bébé de 18 mois avaient souffert de diarrhée quelques jours auparavant. Cette diarrhée était due au degedege des convulsions souvent associées à la malaria. Elle a expliqué que les convulsions avaient provoqué de l'écume dans la bouche et que «l'écume qui ne s'était pas manifestée dans la bouche s'était transformée en diarrhée.» Christina fait sa corvée d'eau tous les matins à la source saisonnière. Elle remplit un seau de 20 litres et ses enfants ramènent la même quantité l'après-midi. Elle utilise cette eau pour sa consommation courante, pour faire la cuisine et pour le nettoyage des ustensiles. Elle lave son linge à la source même. Elle entrepose l'eau potable dans un pot sans couvercle, et tout le monde dans la maison se sert du même kipeyo (le kipeyo est une calebasse dont on se sert pour puiser l'eau dans les puits creuses à la main et pour boire). Christina a payé son écot annuel (400 shillings) à la Caisse de l'eau du village. Christina a précisé qu'elle se lavait les mains le matin dès son lever, avant de cuisiner, et avant et après les repas. Elle a expliqué que tous les membres de sa famille se lavaient les mains dans le même bol (sans savon) avant de manger. Christina mange de la nourriture (du lait et de la farine de mais) dans un kangambwa un pot suspendu ou une calebasse. Les observations ponctuelles ont
montré que l'enceinte a été balayée. La superstructure de la latrine se compose d'un
petit mur de boue. Le sol de la latrine a été balayé et nettoyé et des cendres ont
été répandues autour du trou. |
Matériels
Divers matériels pourront être utilisés: des magnétophones, si nécessaire, et des photos pour présenter les sujets de discussion. L'enregistrement de la discussion sur cassette permet d'écouter à nouveau ce qui a été dit et d'en dégager les points saillants. L'inconvénient de cette méthode est que la transcription peut prendre beaucoup de temps - jusqu'à 5 heures pour une heure d'enregistrement, plus deux heures pour écouter à nouveau et s'assurer de l'exactitude de la transcription. De plus, il est toujours possible d'omettre des points importants si l'enregistrement n'est pas accompagné de notes détaillées sur l'identité des participants, l'ordre des interventions et la gestuelle observée pendant les interventions. Si la discussion s'est déroulée dans une langue que l'investigateur ne comprend pas, elle devra être traduite, ce qui représentera des frais et du temps supplémentaires. L'encadré 23 présente un exemple de transcription de notes consécutif à une discussion dirigée tenue par les membres du comité d'un Harambé, autrement dit un projet autonome de collecte des eaux pluviales au Kenya (P renvoie aux participants dont les noms ont été codés par les lettres de l'alphabet et A désigne l'animateur de la discussion). La discussion s'est déroulée en Kiswahili.
Procédure
Identifier les participants qui conviennent le mieux pour la discussion et inviter un petit groupe de personnes à se retrouver à une heure et dans un lieu convenus à l'avance. Le nombre idéal de participants est de 6 à 8, mais soyez souple - ne renvoyez pas les participants qui se présentent après le début de la réunion et ne forcez pas non plus les gens à venir. Étudiez le Manuel du groupe de discussion (Focus Group Manual) pour des directives détaillées (voir aussi chapitre 3).
Soyez prêt mentalement pour la séance; vous devrez rester vigilant pour observer, écouter et faire en sorte que la discussion ne s'égare pas hors-sujet pendant une ou deux heures.
Veillez à arriver sur place avant les participants pour pouvoir les accueillir.
Adoptez une attitude et une apparence neutres, et ne commencez pas à parler du sujet avant l'ouverture officielle de la discussion dirigée.
Commencez par vous présenter, ainsi que les membres de votre équipe (même si les participants les ont déjà rencontrés individuellement), et demandez aux participants de se présenter à leur tour.
Expliquez clairement que l'objet de la discussion est de découvrir ce que pensent les gens des pratiques et des activités décrites sur les illustrations. Dites-leur que vous n'attendez pas de bonne réponse ou de mauvaise réponse, mais qu'au contraire, c'est le point de vue de chacun qui vous intéresse. Insistez bien sur ce dernier point.
Mettez un terme à la discussion lorsqu'il vous semble que le sujet est épuisé, et ne laissez pas la discussion se fractionner en petits conciliabules. Remerciez sincèrement les participants. Des rafraîchissements pourront être servis à la fin de la réunion en gage de remerciements et pour maintenir de bons rapports avec les participants.
ENCADRÉ 23. Extraits de notes d'une discussion dirigée Transcription et traduction littérale du Kiswahili vers l'anglais/le français D'un village du Kenya P(A): Même ce que celui-ci vient de dire est plus important que ce que nous avons entendu. Cela nous a aidé pour la santé de nos enfants. A: Racontez exactement ce que vous voyez. Ne dites pas ce que vous croyez que nous voulons entendre. Maintenant, depuis que vous avez ce réservoir, en quoi vous est-il utile? Vous avez bien un réservoir chez vous, est-ce qu'il vous sert? P(A): Cela nous a beaucoup aide, parce que maintenant, quand on boit de l'eau, on n'a plus de problèmes de santé, comme les maux de ventre. Ça a beaucoup aidé, et moi, je trouve que l'eau du réservoir est meilleure que l'autre eau. A: Utilisez-vous cette eau pour faire la cuisine? P(A): Oui. A: Est-ce que vous appréciez de ne pas devoir aller chercher de l'eau à la source le matin? P(F): Oui, on est moins fatigue à présent, parce qu'avant, quand on n'avait pas de réservoir, on devait aller remplir les jerricans à la rivière. Mais maintenant, je me repose, je n'ai qu'à prendre de l'eau dans le réservoir pour faire la cuisine et laver le linge. Je ne vais plus à la rivière. Même les veaux et les vaches peuvent boire à la maison. Oui, ça a vraiment beaucoup aidé. P(C): Ça a coûte de l'argent. P(B): Oui, ça a coûte de l'argent (rires). On voit que les autres ne peuvent pas nous aider a construire. Ils viennent chez nous pour mendier de l'eau notable. Mais on verra s'ils nous aident à construire un autre réservoir, parce que les autres ne peuvent pas construire (pause). Oui, pour qu'on puisse en fabriquer un autre. A: Avez-vous quelque chose à dire au sujet de l'assainissement? P(H): Oui, au sujet des latrines. Je voudrais dire qu'on a besoin de quelque chose de très important. Il nous faut des latrines, parce que beaucoup de gens essaient de creuser des fosses et de fabriquer des latrines. Moi, je vois qu'ils le font comme il faut...Mais il y a des gens qui creusent des trous (pour les latrines) et les latrines s'effondrent l'année suivante et sont inutilisables...On aura besoin des techniciens, ceux qui savent construire des latrines, comme les techniciens de l'AMREF. On a vu les latrines qu'ils ont fabriquées dans les écoles, et à présent, les gens ici les attendent avec impatience...Les gens devraient commencer à construire des latrines et on devrait les aider à construire des latrines modernes. Des latrines qui durent longtemps. Je disais que l'idée des réservoirs d'eau est une bonne idée, parce que comme ça, les gens ne sont pas obligés d'attendre que les eaux de pluie arrivent dans les cours d'eau, en ramassant toutes les saletés. Je crois qu'ils préféreraient encore collecter l'eau de pluie sur les toits. C'est pourquoi je dois dire que ces réservoirs d'eau nous ont vraiment beaucoup aidés. Ceux qui en sont équipés se rendent compte à quel point ils sont utiles et pratiques. Et ceux qui n'en ont pas, croyez-moi, ils seraient bien contents de pouvoir s'en construire pour eux-mêmes A: Vous voulez dire quelque chose sur l'assainissement? Parlez en Kiswahili. P(A): À la vérité, l'AMREF a fait
de gros efforts, ils ont construit des latrines dans les écoles. C'est là que les
enfants apprennent, et ce serait vraiment utile si l'assainissement pouvait être suivi.
Quand je vois qu'on a réussi à installer des latrines dans les écoles, je me dis que ce
serait bien qu'on en construise aussi dans les communautés chez les gens. Si on l'a fait
dans les écoles, on peut aussi le faire chez les gens. Depuis que les écoles ont des
latrines, les maladies sont en recul. Les maladies comme le ténia sont en baisse dans les
hôpitaux. Maintenant je voudrais que l'AMREF continue à construire des latrines pour les
gens. On peut prendre au moins une personne dans chaque village. Moi, je pense aux
questions d'assainissement, c'est tout. |
Gestion, examen et utilisation des informations
The «Focus Groups Manual» (Dawson, Manderson et Tallo, 1993) recommande de transcrire toutes les discussions. Si vous décidez d'utiliser un magnétophone, vous pourrez gagner du temps en ne transcrivant que des parties de la discussion. Dans ce cas, écoutez attentivement l'enregistrement et notez les segments que vous souhaitez faire transcrire à l'aide du compteur et résumez les informations. Lorsque vous avez la transcription devant vous, vérifiez qu'elle correspond bien à l'enregistrement et faites les corrections nécessaires, puis annotez le texte.
Nous nous sommes aperçus qu'il était pratique pour les utilisateurs de ce guide d'employer une forme modifiée de la discussion dirigée, à savoir les illustrations (le plus souvent sélectionnées à partir des séries préparées pour le triage en trois piles ou les tâches par sexe et l'analyse des ressources), pour lancer des sujets souvent délicats (comme la défécation et les pratiques d'hygiène s'y rapportant). Les illustrations ont été efficaces pour stimuler rapidement la discussion de questions précises. Sans les illustrations, les gens se sentent obligés de faire une longue déclaration chaque fois qu'ils souhaitent intervenir, et il leur arrive souvent de déborder du cadre de la discussion (comme on le voit dans l'encadré 23).
Les membres de l'équipe chargée de
l'étude devront assumer les rôles d'animateur/modérateur, de preneur de notes et
d'observateur. Les trois personnes se réuniront à la fin de la discussion pour prendre
des notes détaillées, dont notamment les impressions de l'animateur, les notes de
l'observateur et les notes détaillées du preneur de notes.
La règle générale est qu'il n'y a pas de méthode ou d'outil parfait en soi pour évaluer les pratiques d'hygiène. Certains conviennent parfaitement pour une tâche (par exemple, la collecte d'informations dans un laps de temps donné) et d'autres sont mieux adaptés à d'autres tâches (par exemple, la collecte d'informations détaillées et exhaustives). Sachant qu'il est souhaitable, voire indispensable, d'utiliser plus d'un outil ou plus d'une méthode pour réaliser votre étude, votre choix des méthodes et des outils sera beaucoup plus facile une fois que vous aurez consulté notre évaluation outil par outil, méthode par méthode d'un point de vue essentiellement pratique. Par ailleurs, il est essentiel que vous teniez compte des avantages et des inconvénients de chacun avant de choisir tel outil ou telle méthode ou une combinaison des deux (voir tableau 4).
TABLEAU 4. Avantages et inconvénients des méthodes et outils décrits au chapitre 6
Méthode/outil |
Avantages |
Inconvénients |
Triage en trois piles |
+ Utile pour briser la glace et lancer la discussion sur des sujets
délicats, en particulier lorsque l'investigateur n'a qu'une connaissance limitée de la
langue et de la culture locales (par exemple, des illustrations de la défécation seront
plus parlantes que des mots pour lancer le sujet de discussion). |
- La préparation, les essais préliminaires et les modifications
ultérieures des illustrations demandent du temps et des compétences particulières. Fait
appel à des animateurs qualifiés et compétents. |
+ Efficace pour découvrir quelles pratiques d'hygiène et quelles
activités sont perçues par la population locale comme bonnes, mauvaises ou ni bonnes, ni
mauvaises, et surtout, pourquoi. |
- Résultats difficiles à documenter par des mots (texte) seulement,
d'où un coût élevé (en temps et en argent). |
|
+ Permet aux participants de se livret à un cheminement exploratoire et
analytique qui les sensibilisera davantage à leurs propres pratiques d'hygiène - et qui
les incitera, si nécessaire, à modifier leurs habitudes. |
||
Tableau de poche |
+ Moyen rapide, efficace, peu coûteux et précis de recueillir des
informations quantifiables et des les interpréter rapidement et efficacement. |
- La préparation, les essais préliminaires et les modifications
ultérieures des illustrations demandent du temps et des compétences particulières. |
+ Permet aux participants de se livrer à un cheminement exploratoire et
analytique qui les sensibilisera davantage à leurs propres pratiques d'hygiène - et qui
les incitera, si nécessaire, à modifier leurs habitudes. |
- Fait appel à des animateurs qualifiés et compétents. |
|
- Exige du temps et de la patience/motivation de la part des participants,
en particulier s'il y a plus de 3 ou 4 variables en jeu. |
||
+ Résultats faciles à documenter. |
- Difficile à organiser efficacement avec de vastes groupes (plus de 20
personnes). |
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Entrevues semi-dirigées |
+ Permettent aux investigateurs d'approfondir leurs connaissances sur le
sujet étudié. |
- Font appel à des investigateur, preneurs de notes et intervieweurs
hautement qualifiés/compétents. |
+ Simplifient la documentation des résultats, sans investir dans l'achat
d'aides visuelles. |
- Pourraient être considérées comme une ingérence dans la vie des
gens, surtout si elles sont menées trop hâtivement et sans un minimum de tact. |
|
- Sont une source de problèmes pour les investigateurs si les membres du
personnel du projet sont perçus par la population étudiée davantage comme des
enseignants/experts que comme des apprenants - les répondants pourraient donner les
«bonnes réponses», mais pis forcément les réponses correspondant à la réalité, et
exiger des intervieweurs qu'ils leur fournissent des réponses à des questions
difficiles, puisqu'ils sont des spécialistes. |
||
- La gestion et l'examen des informations exigent beaucoup de temps et
d'énergie. |
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Discussions dirigées |
+ Utiles pour faire un tour d'horizon des avis et des points de vue des
participants sur le sujet étudié. |
- Les informations obtenues n'ont aucune valeur en tarit que tulles -
elles doivent être complétées par d'autres données de l'étude pour pouvoir mettre en
évidence la répartition points de vue et des convictions exprimée par les participants. |
+ Utiles pour examiner des questions dignes d'intérêt au début de
l'étude et/ou pour interpréter les données obtenues par d'autres moyens (y compris les
études quantitatives) dans les dernières étapes d'une étude. |
- Compliquent la gestion et l'examen des informations, surtout si un
magnétophone est employé. |
|
+ Aisément modifiables (utilisation d'illustrations pour lancer des
sujets de discussion et pour stimuler et maintenir un débat animé). |
- Si plusieurs langues sont utilisées, la traduction petit entraîner des
coûts et du temps supplémentaires. |