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Le projet de développement intégré du nord-est

La conjoncture générale décrite plus haut pose le problème d'une remise en cause du schéma d'aménagement régional. Le projet de développement intégré du NordEst tente de le faire.

L'aire du projet couvre essentiellement la savane et le contact forêt-savane dans les Sous-Préfectures de Sandégué et de Bondoukou (cf. croquis: Aire et Stratification du projet Nord-Est). Comme les précédents, ce projet vise la modernisation de l'agriculture paysanne et la réduction des disparités régionales.

Il faut aussi situer le projet dans le contexte du développement accéléré des cultures vivrières. Les aptitudes des savanes en général et celles du Nord-Est en particulier sont reconnues dans ce domaine. En avril 1974, le Président de la République annonça, lors de ses tournées de prise de contact avec les populations des savanes du Nord, son intention de faire de leur région "le grenier vivrier de la Côte d'Ivoire et même celui de l'Afrique de l'Ouest".

Le projet de développement intégré du Nord-Est est confié à la Société de développement régional (SDR) chargée du Nord: la Compagnie ivoirienne de développement du textile (CIDT). Il se situe dans la nouvelle perspective d'aménagement des espaces restés longtemps en marge du développement national; cette nouvelle optique veut éviter les schémas trop technocratiques qui, en poursuivant l'aspect productiviste du travail, spécialise à outrance l'économie rurale par la séparation exagérée des activités vivrières des produits d'exportation. Le projet Nord-Est veut agir de façon souple, par la conception et la mise en application de programmes de production parfaitement maîtrisables par les chefs d'exploitation.

La première phase du projet a débuté en janvier 1980 et doit s'établir sur cinq ans. Son but est de "jeter les bases nécessaires à l'augmentation future de la production agricole et, en conséquence, à l'amélioration du niveau de vie de la population de cette région défavorisée" (BIRD, 1980).

Les premiers résultats de l'éxécution du projet

Après quatre ans de mise en route, le projet Nord-Est a produit quelques effets qu'il nous paraît important d'indiquer dans la mesure où ils conditionnent le changement de conjoncture dans la gestion de l'espace régional.

L'encadrement paysan. C'est contrairement aux précédents projets, l'un des points forts du projet Nord-Est. Il ne s'agit pas ici de déplacer les paysans ou de leur assigner un territoire donné. Les chefs d'exploitation sont pris dans leur cadre habituel d'évolution. Le rapport de la direction du projet appelle quelques remarques intéressantes (tableau 3).

On remarque que 66 % des exploitations encadrées sont localisées au Sud (Strates III et IV) avec des taux d'encadrement et de pénétration faibles (7 et 9 % contre 9 et 25 % pour la strate I).

L'explication réside dans le fait que les villages du Nord sont plus petits et donc facilement maîtrisables.

Les taux d'encadrement et de pénétration des villages encadrés pour l'ensemble du projet sont respectivement de 7 et 11 %, soit un peu moins du dixième des exploitations agricoles de la région qui sont touchées par le projet. 89 % des exploitations agricoles des villages touchés ne participent pas encore au projet.

FIG.5.Découpe de l'aire du Project en strates

TABLEAU 3. Taux d'encadrement et de pénétration, et taille des exploitations encadrées selon la strate

 

VE VNE

         
Strate Nb. EE Nb. ENE Nb. ENE Tx Enca.a % Tx Pen.b % Pro. agr. par EE AA par EE Tx dép.
I 559 1 695 3 636 9 25 8,52 4,72 1,81
II 219 591 2 336 7 27 7,78 4,61 1,69
III 851 6911 1 308 9 11 6,84 4,07 1,68
IV 684 8654 3588 5 7 10,28 4,85 2,12
Ensemble 2277 17851 10868 7 11 8,32 4,51 1,85

VE: Village encadré
VNE: Village non encadré
EE: Exploitation encadrée
ENE: Exploitation non encadrée

Nb. d'exploitations encadrées
aTaux d'encadrement = -----------------------------------------
Nb. d'exploitations agicoloes

bLe taux de pénétration des villages encadrés désigne la proportion d'exploitations encadrées dans les villages.
NB. Le village encadré est celui dans lequel il y a des exploitants encadrés.

TABLEAU 4. Dégré d'intensité de la vulgarisation selon la zone

Zone Nb. EE Nb. AA AA/EE Nb. mon. R(1)a R (2)b
Bouna I et II 778 3 647 4,69 16 49 228
Bkou III et IV 1 499 6 611 4,41 25 60 264
Ensemble 2277 10258 4,51 41 56 250

aNombre de moniteurs rapporté au nombre d'EE
bNombre de moniteurs rapporté au nombre d'AA des EE
Nb. = nombre;
EE = exploitations encadrées;
AA = actifs agricoles

La vulgarisation. Elle constitue un volet essentiel de l'opération dans la mesure où elle met à la portée des chefs d'exploitation les thèmes techniques de production moderne (tableau 4).

On retiendra que le degré d'intensité de la vulgarisation est mesuré par le rapport du nombre d'exploitations encadrées au nombre d'encadreurs de base (les moniteurs). Dans l'ensemble, on constate que l'encadrement technique polyvalent du projet est dense puisqu'il indique 1 moniteur pour 56 exploitants et 250 actifs agricoles. Le tableau présente des variantes zonales au profit des zones du Sud (Bondoukou et Nassian).

Il faut préciser que ces ratios ne donnent qu'une idée de l'effort d'encadrement. Au stade actuel de notre recherche, il ne nous est pas possible d'indiquer avec une précision acceptable l'impact réel de la vulgarisation. Cela est d'autant plus important que l'augmentation du nombre de moniteurs n'est qu'une condition nécessaire mais non suffisante de l'accroissement du taux d'adoption des thèmes techniques proposés aux exploitants.

Les premières tendances

Quatre ans après la mise en route du projet, certains résultats apparaissent. On peut les mentionner même en l'absence d'une enquête précise.

Le désenclavement de la région. Pour qui revient dans la région après plusieurs années d'absence, l'effort de désenclavement est frappant. Le projet a mis en service un réseau de pistes; il a surtout réussi, grâce à de petits ouvrages, à résoudre le problème des crues pendant la saison des pluies.

L'amélioration des conditions de la circulation est particulièrement visible dans les strates I et II, notamment dans la partie orientale.

Les équipements socio-collectifs. Un certain nombre d'équipements ont fait l'objet d'une grande attention; il s'agit notamment du domaine de l'hydraulique humaine (tableau 5).

L'effort de construction est mené à la fois par le programme national d'hydraulique villageoise et par le projet Nord-Est (60 ouvrages sur les 658). Comme on peut le constater, l'essentiel des besoins en eau de consommation courante est satisfait.

TABLEAU 5.

Strate Nb. d'ouvrages Popul. rurale/ouvrage
I 234 222
II 90 255
III et IV 334 390
Ensemble 658 312

Impact du projet sur la production. Il est difficile à l'heure actuelle de donner des renseignements précis sur l'impact du projet dans le domaine de la production. On a constaté ici et là quelques exemples d'amélioration des résultats annuels chez les paysans encadrés. L'introduction de semences à haute performance telles que l'igname Florido ainsi que l'extension de la culture de l'arachide en constituent l'une des explications. Certains moniteurs d'encadrement racontent même que des magasins de stockage sont pleins et que des problèmes d'évacuation et de commercialisation commencent à se poser. Nous reviendrons beaucoup plus en détail sur ce problème dans le rapport final.

Ainsi donc, le projet Nord-Est est entré en action. C'est un facteur important des processus de changement qui ont cours dans cette partie de notre pays. Il reste à étudier son impact sur les mécanismes de prise en charge et d'exploitation des terres dans une zone particulièrement délicate.

Résumé

Du fait de son retard prononcé au plan du développement, le Nord-Est ivoirien est toujours considéré comme une région à problèmes. Pour la recherche, elle présente un grand intérêt, pour diverses raisons:

(i) la région est sans doute de celles qui ont le moins bénéficié des investissements publics,
(ii) les rares initiatives en matière d'aménagement cohérent l'espace se sont soldées par des résultats contestables ou des échecs francs,
(iii) la marginalité prononcée du Nord-Est est un frein à son intégration nationale,
(iv) la mobilité chronique de la population lobi, composante majeure du pays, est un problème difficile à résoudre,
(v) après les opérations d'aménagement de Varalé et du Kokodio-Bineda, le projet d'aménagement intégré du Nord-Est s'efforce de créer de nouvelles conditions du développement régional.

Les grands traits des paysages naturels et humains

Au plan naturel, tout s'articule autour de deux problèmes majeurs: l'eau et les sols. Le niveau pluviométrique qui atteint 1100 et 1300 mm n'annule pas l'agriculture mais il est gêné par l'irrégularité des précipitations, le déficit hydrique prononcé (400 à 900 mm) et la longueur de la saison sèche (5 à 9 mois).

Les sols sont de qualité médiocre. Ils présentent en outre des risques importants d'induration. Leur texture particulièrement gravillonnaire est une entrave supplémentaire.

Le paysage humain est une sorte de mosaïque d'ethnies parmi laquelle on trouve une trilogie dynamique formée par les Lobi, les Koulango et les Abron. Les deux premiers groupes appartiennent à la famille ethno-linguistique voltaïques; le troisième groupe est akan. Le sous-peuplement de la région est remarquable: une masse démographique estimée à 5 % de l'effectif national avec une densité moyenne de l'ordre de 4 hab./km2.

Relations interethniques. Il est indispensable de les connaître pour bien poser le diagnostic régional. Les Abron qui, dit-on, ont demandé asile aux Nafana, autre ethnie secondaire du pays, ont fini par s'imposer grâce à leur supériorité militaire. De la même manière, ils ont supplanté les Koulango dont ils ont adopté la langue.

Les Lobi venus par vagues depuis le XVIIIe siècle du Burkina Faso sont entrés dans le domaine ethno-foncier des Koulango qui demeurent propriétaires des terres dans les sous-régions de Bouna et de Nassian.

Les Koulango ont depuis toujours réussi à contenir les vagues migratoires lobi par la mise en place d'un contrôle social et économique basé sur la sorcellerie et les sociétés secrètes. Cette situation explique beaucoup l'immobilisme et le retard de la région. Aujourd'hui, la rupture du barrage koulango par les Lobi présente des perspectives de libération des initiatives mais provoque du coup des tensions et, parfois même, des affrontements dont l'origine est la compétition pour l'occupation des terres cultivables.

Un second barrage, celui des Abron, se situe au Sud de Bondoukou. Il s'oppose à la descente des Lobi vers la forêt. L'intrusion de ces Voltaïque dans le domaine foncier du Sud modifie la conjoncture régionale.

La problématique économique et la question des terres

Une région à dominante agrovivrière, le Nord de la région n'a pas bénéficié des cultures de rente. Il est resté essentiellement vivrier. Dans le Sud, le vieillissement des plantations de café et de cacao affaiblit l'économie régionale.

L'igname en tête des cultures vivrières. Avec 200000 t, soit environ 10 % de la moyenne nationale, cette denrée est dominante. Viennent ensuite less céréales avec le riz au centre et une production de 4000 t de paddy.

Le coton tente de s'implanter dans le Nord mais il faudra attendre plusieurs années pour en mesurer l'impact.

Le café et le cacao couvrent environ 80000 ha au Sud du 8e parallèle mais ils se heurtent à l'épuisement des réserves forestières et au vieillissement des plantations.

Le problème foncier. Il ne s'agit pas d'un problème nouveau mais son transfert au Sud lui confère un accent nouveau.

Les initiatives publiques et les nouvelles conditions du développement

L'intervention de l'Etat s'est illustrée par deux projets d'aménagement qui se sont soldés par un échec. Le troisième est en cours d'exécution.

Le projet pilote de Varalé qui est fondé sur le riz, le coton, le boeuf et le stylosanthès a échoué du fait des conflits opposant les Koulango aux Lobi.

Le projet dit zone Kolodio-Bineda visait la stabilisation des Lobi et de leurs exploitations. Il opérait par un encadrement technique très serré des chefs d'exploitation. Son échec est venu de l'insuffisance du financement et de la mobilité chronique des Lobi.

Le projet Nord-Est qui est en cours d'exécution met en route un important programme visant à encadrer les chefs d'exploitation, à désenclaver la région et à diversifier l'économie.

Conclusion

La conjoncture économique régionale est marquée au Nord-Est par une nature rude et la survivance d'archaïsmes socio-culturels. Tout cela pose des problèmes de développement aggravés par la marginalité de la région.

De nouvelles variables sont introduites par le projet de développement intégré du Nord-Est qui suscite beaucoup d'espoirs.

Bibliographie sommaire

Avenard, J. M. et al., Le milieu naturel de la Côte d'Ivoire, ORSTOM, Paris 1971.
Bini Kouakou, L'idéologie politique des Abron, I.E.S., Abidjan 1983.
BIRD, Rapport d'évaluation du Projet Nord-Est, Abidjan, 1980.
BNFTD, L'Est à la recherche d'une vocation. Ministère du plan (DATAR), Abidjan, janvier 1977.
CIDT (Région Nord-Est), Rapport d'évaluation du Projet Nord-Est, Abidjan 1984.
Fieloux, M. Les sentiers de la nuit, thèse de 3e cycle, Paris 1974.
Hauhouot Asseypo, Problématique du développement dans le pays lobi de Côte d'Ivoire,
C. O. M. n° 140, octobre-décembre 1982.


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