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Agriculture sans labour basée sur les cultures arboricoles

R. D. Bowers
Institut international d'agriculture tropicale, Ibadan, Nigeria

Résumé

La crise de l'agriculture tropicale est démontrée par la chute de la production alimentaire et la migration vers les villes. On a avancé l'opinion qu'il s'agit d'un processus inévitable, résultant de l'incapacité de l'agriculture tropicale de soutenir la concurrence de l'agriculture industrialisée des zones tempérées. L'agriculture industrielle est une agriculture à investissements élevés, dans laquelle le succès ou l'échec dépendent du rapport entre facteurs de production et production. Dans les tropiques humides, ce rapport est défavorable, et l'agriculture industrielle y est par suite impossible; la seule forme viable de production est par conséquent l'agriculture de subsistance. Une autre forme possible est de toute évidence la culture arboricole mixte, dans laquelle on reproduit d'aussi près que possible les caractéristiques du couvert forestier naturel. C'est seulement de cette manière que l'on peut réaliser les potentialités du milieu et maintenir la fertilité des sols. On dispose d'un choix de mélanges de cultures avec palmier à huile, cocotier, arbre à pain, banane plantain, caféier, cacaoyer, kolatier, agrumes et autres arbres. L'auteur recommande qu'un programme de recherche soit consacré aux cultures arboricoles mixtes, comme étant l'un des moyens d'améliorer l'agriculture dans la région comprise entre les parallèles 10° N et 10° S.

Introduction

Le développement de l'agriculture au cours des siècles dans les régions tempérées a entraîné la destruction des forêts et leur remplacement par des cultures annuelles. Défrichement et progrès y apparaissent comme liés. Lorsque les promoteurs du développement viennent en Afrique tropicale, ils supposent que le défrichement de la forêt est synonyme de progrès, et les Africains, dans leur désir de calquer le développement qu'ils voient dans d'autres pays, suivent la même voie.

En tant qu'agronome, je suppose que je devrais être dans le camp des destructeurs de la forêt, et ce serait certainement le cas si j'étais convaincu que cette politique puisse être économiquement profitable et écologiquement acceptable. Mais tout démontre que le défrichement généralisé de la forêt tropicale et les cultures annuelles à grande échelle conduisent à un désastre économique et écologique. Le pire concours de circonstances qui pourrait se présenter pour le Nigeria serait que la fertilité de ses sols soit ruinée en même temps que son pétrole sera épuisé - ce qui pourrait bien se produire si on n'y est pas très attentif. Il faut de toute urgence développer un nouveau type d'agriculture, tel que celui basé sur les cultures arboricoles mixtes, car il offre sans doute le seul espoir pour l'avenir.

Proposition liminaire

Mon opinion est qu'il y a une crise de l'agriculture dans la région comprise entre 10° N et 10° S. et qu'il doit y avoir une raison à cette situation.

L'existence de la crise est démontrée par la chute de la production vivrière, et par l'accroissement des importations alimentaires. Un signe supplémentaire est l'exode rural massif et l'afflux de population vers les villes. Pour ceux qui restent dans les campagnes, le niveau de vie reste bas, et il y a peu d'espoir d'une amélioration. La grande majorité des ruraux restent au stade de l'agriculture de subsistance, tout comme avant et pendant l'époque coloniale, et doivent compter à peu près uniquement sur la force de leurs bras pour arracher au sol leurs moyens d'existence. Ils semblent vivre dans un monde avec lequel la technique occidentale est incapable de communiquer.

Au cours des trente dernières années, les efforts tendant à améliorer l'agriculture dans les tropiques humides n'ont pas manqué. Le fait qu'aucune de ces tentatives n'a modifié de manière appréciable les méthodes de production, même dans une région limitée, ne peut raisonnablement être tenu pour le résultat de la malchance ou d'une mauvaise organisation. Il doit y avoir des raisons économiques fondamentales qui expliquent pourquoi ces tentatives ont échoué d'une manière si catastrophique. La compétitivité de l'agriculture tropicale a sérieusement baissé vis-à-vis de l'agriculture des régions tempérées; les raisons de ce déclin sont entre autres les suivantes:

L'agriculture est passée par trois phases: agriculture de subsistance, agriculture commerciale, agriculture industrielle. Cette dernière est encore en pleine évolution, et elle supplante rapidement toutes les formes de production à petite échelle, parce qu'elle est économiquement plus efficace. Jamais dans l'histoire de l'humanité les principales denrées alimentaires n'ont été produites à un coût réel aussi bas qu'aujourd'hui dans les pays tempérés.

L'agriculture industrielle est, par nécessité, une agriculture à investissements élevés, parce qu'elle exige des machines, des engrais, des herbicides, des insecticides, etc. Du fait que la main-d'œuvre ne représente qu'une faible part des coûts de production, on ne peut faire fonctionner le système en substituant la main-d'œuvre et la terre au capital.

Le succès ou l'échec de l'agriculture industrielle dépend du rapport entre le coût des divers facteurs de production et la valeur de la production qu'ils permettent d'obtenir. La valeur de ce rapport permet de comparer l'efficacité du système productif en différents endroits (tableau 1).

On constate un bénéfice de 0,05$ par dollar de valeur des produits aux États-Unis, et au contraire une perte de 1,20$ dans les tropiques. La perte doit être compensée, soit en subventionnant certains facteurs de production, soit en introduisant des restrictions aux importations afin de maintenir les prix artificiellement élevés. La valeur de ce rapport est confirmée par les prix comparés du mais au niveau de l'exploitation: environ 150$/t aux Etats-Unis, contre 450$/t au Nigeria.

TABLEAU 1. Rapport indicatif facteurs de production/production dans la culture du mais aux États-Unis et au Nigeria (coûts en cents pour 1 dollar de valeur produite)

  États Unis Nigeria
Terre 20 cents 30 cents
Infrastructure et machines 15 cents 50 cents
Semences et produits chimiques 35 cents 110 cents
Encadrement et main-d'œuvre 10 cents 30 cents
Frais financiers et impôts 15 cents -
Coût total de production 95 cents 220 cents

En règle générale, la rentabilité s'accroit en même temps que les dépenses en machines et produits chimiques, jusqu'à une limite d'environ 0,55$ par dollar. Si le coût des facteurs de production excède 0,65$, la production commerciale n'est plus possible. La production devient économiquement absurde si le coût en devises des facteurs de production excède le coût en devises du produit.

Les rapports facteurs de production/production sont généralement défavorables dans les tropiques humides. Les faibles rendements sont le résultat du lessivage des sols, du ruissellement intense, de la perte d'éléments nutritifs, et de la concurrence des mauvaises herbes. Le séchage et la conservation des récoltes dans un milieu chaud et humide posent encore d'autres problèmes. En règle générale, on constate des rapports facteurs de production/production défavorables là où les rendements sont faibles. La même valeur de facteurs de production à l'hectare produira environ 2,5 tonnes de mais dans les tropiques humides, contre 7 tonnes aux Etats-Unis. En d'autres termes, il ne faut que 0,15 hectare de terre aux États-Unis pour produire 1 tonne de mais, contre 0,4 hectare dans les tropiques humides. Tous les coûts de terre, machines, herbicides et insecticides sont en relation directe avec la surface; ils sont par conséquent trois fois plus élevés par tonne de mais produite dans les tropiques humides.

Les coûts croissants de l'énergie pourraient éloigner encore davantage la perspective d'une agriculture à investissements élevés. Lorsque les facteurs de production sont coûteux, on ne peut les employer que là où le profit par unité est élevé; c'est seulement dans le cas où ils sont peu coûteux qu'on peut les employer largement. Depuis la hausse des prix du pétrole de 1973, les espoirs d'utilisation de facteurs de production coûteux dans des zones marginales se sont estompés.

L'agriculture de subsistance est la conséquence inévitable des rapports facteurs de production/production défavorables liés aux cultures annuelles dans les tropiques humides. Toutes les autres formes de cultures annuelles sont économiquement impossibles tant que la recherche agronomique n'aura pas mis au point des variétés qui offrent une productivité comparable à celle de cultures analogues dans des climats plus favorables. Cette conclusion est en accord avec le fait observable que l'agriculture de subsistance est la forme universelle de production de cultures annuelles en Afrique occidentale.

Mais on a montré que l'agriculture de subsistance avait d'ores et déjà fait faillite: elle ne peut produire suffisamment de surplus pour nourrir les grandes villes; elle ne peut fournir des aliments de base à bas prix; elle ne peut retenir les jeunes sur les terres. L'impasse apparaît totale: le seul système qui soit économiquement viable est incapable d'apporter un soutien à l'économie moderne pour laquelle luttent les pays en développement.

La solution de l'arboriculture

L'arboriculture est une autre solution porteuse d'espoir. Elle est logique, d'un point de vue en tant économique qu'écologique. La végétation climacique des tropiques humides est la futaie dense, qui offre la production soutenue de biomasse la plus élevée possible. Elle capte toute la radiation solaire à toutes les saisons de l'année grâce à ses différentes strates de feuillage. Les étages de feuillage, rameaux et branches absorbent l'énergie cinétique des pluies d'orages tropicaux, et protègent ainsi le sol. La matière organique qui se trouve sur le sol forestier est protégée de l'insolation directe. Le ruissellement est réduit, de sorte que l'eau reste disponible pour la végétation, et les systèmes radiculaires étendus explorent tout le profil du sol à la recherche des éléments nutritifs. Si la société réclame l'élimination de la forêt dense, il faut la remplacer par des cultures économiques qui reproduisent aussi fidèlement que possible les caractéristiques de la futaie naturelle, et qui assurent une protection équivalente du milieu naturel. Si l'on veut que l'arboriculture soit librement choisie de préférence aux cultures annuelles, elle doit offrir des avantages économiques.

Il y a des raisons de penser que l'arboriculture mixte aura des résultats nettement supérieurs aux cultures annuelles au fur et à mesure que le coût de l'énergie augmentera, du fait de ses faibles besoins en main-d'ouvre, en engrais, en herbicides et en insecticides, de la perspective d'un système idéal de culture sans labour qu'elle offre, et enfin de la réduction de la concurrence des mauvaises herbes.

Conclusion

Les plantations arboricoles apparaissent si bien adaptées au milieu et présentent tant d'avantages économiques qu'il est urgent de lancer un programme de recherche en vue de leur développement. Il existe des potentialités certaines pour l'arboricultures et dans bien des cas elles sont déjà exploitées. Le palmier à huile, par exemple, est de loin la source d'huile végétale la plus efficace et la moins chère. Dans de bonnes conditions il peut produire jusqu'à 6 tonnes d'huile à l'hectare, ce qui lui assure un avantage constant sur les cultures oléagineuses annuelles. On peut s'attendre qu'il constitue un élément important dans n'importe quel système d'arboriculture mixte. Le cocotier fournit de bons rendements à la fois en huile et en protéines, et en outre son couvert clair fait qu'il convient très bien pour la plantation en mélange de bananes plantain ou douces. L'arbre à pain (Artocarpus altilus) semble capable de produire jusqu'à 8 tonnes d'hydrates de carbone à l'hectare; on n'a pas de chiffres de rendements précis, parce que cet arbre n'a pas été sérieusement étudié. il faudrait rassembler les meilleurs cultivars afin de déterminer leur capacité de production dans une gamme de conditions écologiques. Le karité (Butyrospermum parkii) devrait être étudié et amélioré, de façon à pouvoir remplacer l'arachide dans la zone tropicale sèche.

Pour les tropiques humides, on peut penser que les plantations arboricoles mixtes seraient sans doute les plus efficaces, du fait qu'elles reproduisent d'aussi près que possible la forêt naturelle. Les palmiers à huile ou les cocotiers seraient plantés en alternance avec des arbres à pain pour former l'étage supérieur, en dessous duquel on planterait des bananes plantain, des cacaoyers et des caféiers, avec par places un étage inférieur de végétation constitué par de petites parcelles de mais, patate douce et taro. Le but recherché ne serait pas d'obtenir un rendement maximal par unité de surface pour une culture déterminée, mais plutôt une production totale maximale.

L'objectif doit être de procurer aux populations des tropiques humides des cultures qui produisent plus et à meilleur marché que les cultures alimentaires principales des régions tempérées. C'est déjà le cas de l'huile de palme; on peut espérer que les hydrates de carbone de l'arbre à pain deviendront moins chers que le maïs, au fur et à mesure que le coût des facteurs de production à forte composante énergétique augmentera. Si les populations des tropiques humides tentent de faire des cultures de zone tempérée de manière compétitive, elles seront toujours perdantes, et si elles ne peuvent pas produire des aliments à bas prix l'industrialisation risque d'être contrariée,

Une recherche de longue haleine sur l'arboriculture doit être entreprise de toute urgence. C'est un domaine qui a été totalement négligé, sauf en ce qui concerne les plantations industrielles. Les arbres ont toutes les caractéristiques appropriées pour une production à échelle paysanne dans un monde où règne une pénurie d'énergie, bien que dans certains cas une action d'amélioration génétique soit nécessaire pour obtenir les combinaisons de propriétés désirées.

Il faut absolument s'affranchir de l'idée que les arbres ne poussent qu'en forêt ou en grandes plantations. Cette façon de voir a fait que les populations des tropiques humides ont été- et sont toujours - privées de l'aide de la recherche moderne. Les arbres de valeur économique poussent tout aussi bien dans une petite exploitation qu'en grandes plantations, et il y a peu de perte d'efficacité économique. Il suffit de penser au combat qu'on dû mener les agriculteurs Chagga en Tanzanie avant d'être autorisés à cultiver des caféiers pour savoir jusqu'à quel point peut aller la mentalité obstructionniste des tenants des grandes plantations.

On ne peut savoir ce que réserve l'avenir, mais on peut sûrement se préparer pour différentes éventualités. L'une de celles-ci est un monde de pénurie croissante de l'énergie, dans lequel les produits à forte composante énergétique deviendront de plus en plus chers. Dans un tel cas des cultures arboricoles faibles consommatrices d'énergie auront des perspectives incomparables. Les gens prudents ne jouent pas tout leur argent sur un seul cheval, et les chercheurs scientifiques comme les responsables politiques devraient aussi répartir leurs paris. L'arboriculture mixte pourra être un cheval favori pour les uns, un outsider pour les autres, mais elle paraît si bien adaptée pour les vingt années à venir qu'il serait déraisonnable de ne pas miser un peu d'argent sur elle.

 

Systèmes agroforestiers traditionnels en republique Centrafricaine

Étienne Yandji
Chef du Service des aménagements forestiers, Office national des forêts, Bangui, République Centrafricaine

Résumé

La République Centrafricaine est un pays de forêts, et pourtant son équilibre agrosylvicole est menacé du fait de l'absence de politique de reboisement. L'auteur présente une description détaillée de sept espèces arborescentes qui sont cultivées dans de nombreux types de plantations, et combinées avec des cultures vivrières et autres. Il décrit ensuite les systèmes traditionnels en usage, et propose une série de mesures destinées à améliorer leur productivité. Enfin il recommande que soit menée une recherche multidisciplinaire sur la protection et la restauration des sols, tout en tenant compte de l'importance primordiale des facteurs humains et sociaux dans la restauration des forêts tropicales.

Introduction

La République Centrafricaine est comprise entre les latitudes 2°16' et 11°20' N. et entre les longitudes 14°20' et 27°45' E. La région de Birao, qui fait pour l'essentiel l'objet du présent rapport, se situe à l'extrême nord, entre le Soudan et le Tchad. On y trouve un climat sahélosoudanais vers le nord, soudano-guinéen vers le sud; la pluviométrie annuelle n'y excède nulle part 1 000 mm.

En dépit de diverses explorations botaniques, la végétation de la zone reste mal connue. Sillans a proposé en 1950 les subdivisions suivantes pour le domaine soudanien.

L'ensemble de ces formations peut être regroupé en trois régions, la première étant celle du Bahr Aouk à l'ouest de 21° E. la seconde celle des plaines tchadiennes entre la Koumbala et Birao, et la dernière correspondant aux reliefs rocheux au sud de Birao, autour de Ouanda-Djallé et de Ouandjia Mines, et le long de la frontière soudanaise. Dans la zone du Bahr Aouk, sur la succession d'arêtes quartzitiques du précambrien ancien, parfois superficiellement indurées, pousse une végétation ligneuse à base de Daniellia oliveri, Anogaissus leiocarpus, Butyrospermum parkii, Parkia filicoidea et Pterocarpus lucens.

Dans la zone Aouk-Aoukalé on trouve une savane arborée dont les espèces ligneuses les plus répandues sont: Terminalia laxiflora, Hymenocardia acida, Prosopis africana, et Anogeissus leiocarpus. En fait cette zone n'est pas homogène, et on y trouve aussi comme types principaux des pâturages graminéens, et des forêts sèches à termitières dont la strate arborescente est composée de Khaya, Tamarindus et Anogeissus, et la strate arbustive de Combretum, Cassis et Boscia. Autour de la plaine herbeuse du lac Mamoun, on note Borassus aethiopium et Hyphaene thabaica, dominés par Anogeissus, Butyrospermum, Tamarindus, Balanites et Isoberlinia. Dans les villages, à côté des Ceiba pentandra plantés, on trouve Moringa oleifera, indiquant une ancienne occupation tchadienne. Entre Dahal Hadjer et Tissi pousse une savane à Combretum sur d'anciens épandages sableux éoliens, les goz.

Associations traditionnelles culturesfour rage-arbres

Zone forestière

La République Centrafricaine est un pays forestier, et par conséquent les habitants n'éprouvent aucune difficulté à avoir du bois. La ceinture forestière centrafricaine couvre les préfectures de la Sangha, Sangha économique, Lobaye et la partie sud de l'Ombella-M'Poto. Dans ces régions les types de cultures pratiquées sont: la bananeraie, le manioc, le caféier, le tare, et un peu d'arachide et de sésame. Pour toutes ces cultures, la forêt est détruite. Tous les arbres sont coupés, les plus gros étant tués soit par annélation soit par le feu. La surface défrichée est alors brûlée. A l'exception de deux ou trois de ces cultures, la terre doit être retournée avant le semis. Étant donné que les cultures doivent se faire en pleine lumière, aucun arbre n'est laissé sur pied, et la forêt est détruite de manière irréversible.

D'autre part, la forêt tropicale étant riche en produits ligneux, la population n'épargne aucun pied d'arbre quand elle doit cultiver ses champs. Le caféier est l'une des principales cultures industrielles du pays, et le système est moderne. Si dans ce type de culture on trouve çà et là des pieds d'arbres, surtout dans les plantations appartenant aux villageois, c'est parce que ceux-ci estiment qu'en laissant ces arbres les caféiers seront protégés contre une insolation excessive, et par conséquent donneront une meilleure production. Dans les grandes plantations de caféier, en général, aucun arbre n'est laissé sur pied. Dans les plantations de cacaoyer, on maintient des arbres pour donner un certain ombrage; cette culture n'est pas très répandue en République Centrafricaine, en raison des conditions relativement défavorables. Les autres cultures se pratiquent sur terrain défriché et brûlé, quoique le sésame se cultive souvent dans des poches de savane se trouvant en forêt. La production à l'hectare est supérieure à celle des zones de savane typique.

Zone intermédiaire

La zone intermédiaire est celle qui se trouve entre la zone forestière et la zone de la Vakaga. Son climat permet des types de cultures différents. Dans cette zone où se trouve la majorité de la population on cultive le coton, le sésame, l'arachide et beaucoup d'autres produits de subsistance. Dans la Basse-Kotto et le M'Bomou on cultive même le caféier. Ces cultures se pratiquent en zone de savane soudanienne, où la densité des arbres est importante. Par conséquent tous les arbres doivent être abattus, à l'exception de ceux qui sont utiles parce qu'ils donnent des fruits comestibles, de l'ombre, ou d'autres produits que le cultivateur estime nécessaires.

Zone de la Vakaga

Les arbres sont soigneusement conservés dans la région de Birao, car ils fournissent la matière utilisée pour la cuisson des repas et l'éclairage. A l'approche de la saison des pluies, un stock suffisant permettra au paysan d'atteindre la saison sèche suivante. Les habitants de cette région protègent traditionnellement dans leurs champs les arbres « utiles », parce qu'ils leur fournissent des fruits, de l'huile, des médicaments, et du fourrage pour le bétail.

On peut remarquer qu'aucune culture industrielle n'est pratiquée dans la région de la Vakaga. La population vit principalement d'agriculture de subsistance, d'élevage du mouton, de chasse et de cueillette. La préfecture de la Vakaga compte environ 15 000 habitants, soit une densité de population de 2 habitants au km². Elle est divisée en deux sous-préfectures, Birao et Ouanda-Djallé. Le chef-lieu de région est Birao; tous les services du ministère du Développement rural y sont représentes: agriculture, élevage, forêts. L'inspection forestière est subdivisée en trois cantonnements forestiers: Birao Centre, Gordil et Ouanda-Djallé, qui comprennent des postes forestiers et des garderies.

Contrairement à d'autres régions de la République Centrafricaine, l'introduction du manioc y est assez récente. Le mil est semé dans des terres sablonneuses légères; il fournit un feuillage abondant apprécié des chevaux et des bovins. On trouve deux variétés de mil rouge (Sorphum caudatum), ainsi que le gros mil rouge (Sorphum vulgare), le gros mil blanc, variété intermédiaire, le berbéré rouge et le berbéré blanc, ce terme de berbéré servant à désigner les terres argileuses lourdes, compactes, ainsi que plusieurs variétés de Sorphum durra. L'arachide est cultivée, mais la culture du maïs est peu répandue car elle est seulement pratiquée autour des cases, comme céréale d'appoint.

La population de la Vakaga fait une grande consommation de kakandzé (Hibiscus sabdariffa), dont le calice et le jeune fruit entrent comme ingrédients dans les sauces de couscous et dont la fleur sert à préparer des infusions. Cette malvacée est presque toujours plantée dans les champs de mil et autour des cases d'habitation. Hibiscus esculentus (daraba ou gombo) est l'un des légumes les plus répandus dans tous les jardins et champs. Le sésame (Sesamum iridicum) est planté sur terre sableuse, et notamment sur les arènes fines où il donne de bons rendements. Cucumis sativus (concombre ou fagouss) est un des légumes les plus cultivés, souvent en association avec les courges.

Les arbres reconnus utiles

La végétation de la Vakaga, comme celle de la plupart des régions centrafricaines, a été profondément modifiée par l'homme. Les excès du pâturage ont parfois causé une disparition presque totale de la végétation ligneuse en certains endroits. On peut voir aux environs de Birao de vastes étendues d'aspect désertique, alors que les conditions climatiques permettent encore l'existence d'une belle végétation épineuse. Cependant six espèces d'arbres sont reconnues particulièrement utiles: Balanites aegyptieca, Butyrospermum parkii, Parkia biglobosa, Borassus aethiopium, Adansonia digitata, Tamarindus indica. Cela prouve que même si les habitants n'essaient pas de garder des arbres sur pied dans leurs champs pour les intégrer dans leur système cultural, ils établissent malgré tout un certain équilibre entre agriculture et sylviculture.

Dans toute la région de Birao, Balanites aegyptisca est soigneusement entretenu en raison de ses nombreux usages. Son fruit fournit une huile qui entre pour beaucoup dans la préparation des repas, et certaines personnes âgées ne consomment que les sauces faites avec de l'huile de Balanites. La pulpe jaune soufre qui entoure l'amande est consommée comme du chocolat. Le bas de l'arbre est souvent effeuillé par le bétail, qui apprécie beaucoup ce fourrage, et émondé par les bergers qui coupent les branches épineuses pour confectionner des enclos où dorment les veaux. Traité de la sorte, l'arbre acquiert un tronc bien droit que les villageois utilisent comme pièce maîtresse dans la charpente de leurs cases, car son bois est dur et inattaquable par les termites. Ce bois est également utilise pour faire des hampes de sagaies et des manches de cognées et autres outils. Les villageois sont friands du foie de bœuf frit sur des feuilles de Balanites aegyptioca, qui ont la réputation de soigner les maux de foie. On assiste parfois à des discussions entre éleveurs et villageois, non pas parce que le bétail a détruit le mil mais parce que l'éleveur a ébranché un arbre pour se confectionner un lit. Cette espèce couvre presque toute la partie nord de la zone, et on en trouve toujours trois ou quatre pieds jusque dans les champs les plus petits. En raison de ses nombreux usages, il est cultivé même à Bangui, capitale du pays.

Butyrospermum parkii (karité) est un arbre caractéristique de la région. Il fournit une drupe charnue et une amande dont on extrait une huile très appréciée pour sa bonne conservation. Les paysans prélèvent l'écorce pour confectionner des ruches, ce qui généralement entraîne la mort de l'arbre. Dans certains villages, cette pratique est interdite par la tradition, sauf pour les arbres déclarés improductifs.

Parkia biglobosa (néré) est une mimosée qui produit des fruits pédonculés avec une poudre jaune qui est consommée. Les graines sont bouillies, fermentées, et utilisées pour préparer une sauce appréciée avec Hibiscus esculentus (gombo). Les villageois fixent souvent leurs ruches sur cet arbre.

Borassus aethiopium (ronier) est un palmier très exploité dans la région. Toutes les cases construites par l'Administration sont en planches de ronier fabriquées localement par fendage à la hache. Étant donné qu'il n'est pas attaqué par les termites, le ronier est utilisé localement pour la charpente des cases. La partie charnue du fruit est consommée par les villageois. Les éléphants en sont également très friands, et il arrive même qu'on les voie en état d'ivresse près des peuplements importants. Les jeunes pousses sont parfois récoltées et commercialisées comme dans d'autres régions.

Adansonia digitata (baobab) figure dans la mythologie africaine, et est très respecté. Les habitants des lieux font des sacrifices sous cet arbre. Les jeunes pousses sont consommées en sauce accompagnant le poisson fumé. C'est une essence qu'on trouve dans toute la région, mais elle est pratiquement absente dans les zones où se reposent les éléphants, qui écorcent les arbres. La poudre blanche qui recouvre la graine est consommée comme du chocolat.

Il y a plusieurs variétés de Tamarindus indica dans la région de Birao. Certaines ne portent de feuilles qu'au début de la saison sèche, et produisent des fruits que les habitants ramassent vers la fin de cette saison pour nourrir leur bétail (moutons et cabris). D'autres, par contre, portent des feuilles toute l'année. C'est cette deuxième catégorie que l'on trouve dans les villages et les champs; elles produisent un fruit très acide qui, croiton, soigne mieux le rhume en raison de sa richesse en vitamine C. Les rameaux sont récoltés et bouillis, et servent à soigner la fièvre, les rhumatismes et la fatigue.

Oxytenanthera abyssinica (bambou) doit être ajouté aux six espèces décrites ci-dessus, en raison de son rôle dans la construction locale. Il sert à faire des toitures, et surtout des clôtures, car dans cette région musulmane chaque case est entourée d'une clôture.

L'équilibre agrosylvicole

La théorie selon laquelle il faut un certain équilibre entre agriculture et sylviculture suppose le maintien d'un écosystème. Cet écosystème est fortement influencé par les facteurs climatiques, biotiques, édaphiques et humains, mais doit être maintenu par une action soutenue des agronomes, des vétérinaires et des forestiers. C'est donc une action pluridisciplinaire difficile à mener. Si le paysan, dans la région de la Vakaga, épargne un pied d'arbre en cultivant son champ, c'est certainement parce qu'il en tirera un service ou un produit utile. Cela explique aussi que, s'il existe réellement un certain système traditionnel agrosylvicole, ce n'est pas aux fins de préserver l'arbre, autrement dit d'assurer un certain équilibre entre agriculture et sylviculture. Il faut par conséquent une action de propagande pour sensibiliser les villageois aux méthodes de l'agroforesterie.

Une campagne d'information suppose un programme de travail établi et prêt à être exécuté. On doit peut-être envisager d'appliquer dans cette région toutes les méthodes de sylviculture employées jusqu'à maintenant dans les zones de forêt humide et de savanes: méthode taungya, Malayan Uniform System. Tropical Shelterwood System, système de gestion semi-sélective, méthode des layons, méthodes de plantation en plein et de mise en défens. Certaines de ces méthodes ne sont applicables qu'en zone forestière, mais la taungya, la plantation en plein et le système de mise en défens - qui est la plus économique et la plus importante - peuvent être retenus. Il faudra dans un premier temps organiser les agriculteurs en trois groupes selon les types de cultures pouvant s'associer à tel ou tel système. Le premier groupe adoptera la méthode taungya, les deux autres pratiquant respectivement les méthodes de plantation en plein et la mise en défens. Dans un deuxième temps, ces trois systèmes seront appliqués dans tous les villages de la région de la Vakaga, selon les types de cultures et le type d'environnement, dont le facteur essentiel doit être l'espèce arborescente dominante. Une rotation de cinq à six ans devrait permettre à la population rurale de pratiquer la culture sur une terre enrichie par la jachère qui accroîtra son rendement.

La méthode de plantation en plein et la méthode de mise en défens peuvent être associées à la méthode dite taungya. Dans les zones riches en arbres, où les essences dominantes sont celles que les agriculteurs ont l'habitude de préserver et d'élever dans leurs champs, la méthode taurgya sera appliquée. Dans les zones de Birao centre, de Ouanda-Djallé ou dans les campagnes de ces deux souspréfectures qui présentent une telle caractéristique, la même méthode sera retenue mais les types de cultures varieront selon les habitudes des paysans. Cela fera apparaître une grande diversité de cultures associées aux arbres: Balanites aegyptiaca, Parkia biglobosa, Butyrospermum parkii et Tamarindus indica, qui sont les seules essences locales convenant pour la méthode taungya et la méthode de mise en défens. Même si on observe les échecs avec la plantation en plein et la méthode taungya, la mise en défens connaîtra certainement le succès si l'on arrive à endiguer les feux de brousse et maîtriser les facteurs humains.

L'exemple d'autres pays africains montre que les cultivateurs gardent spontanément dans leurs champs les arbres qui leur sont utiles, mais il faut noter que cela est insuffisant pour obtenir le taux de boisement nécessaire au maintien d'un climat favorable et de la fertilité des sols.

D'autres solutions peuvent éventuellement être considérées, telles les suivantes:

Conclusion

Le résultat immédiat de cette action sera d'arrêter la déforestation autour de la ville de Birao et des villages de la région, et de créer un environnement favorable à une réinstallation de la forêt. A moyen terme, les objectifs principaux seront la lutte contre l'érosion et l'éducation des habitants afin qu'ils prennent conscience de l'utilité de la forêt et des conséquences néfastes pour l'agriculture d'une déforestation systématique. A long terme, la couverture forestière sera restaurée, et l'approvisionnement des citadins en bois de chauffage sera assuré par une exploitation en rotation.

Il faudra pour cela un effort considérable de recherches pluridisciplinaires sur la défense et la restauration des sols dans chaque zone écologique, prenant en considération tous les secteurs concernés: agriculture, élevage, forêts, sans oublier l'aspect social et humain, car les coutumes ont un caractère tellement ancestral et traditionnel que rien ne se fera sans un grand effort d'information, de propagande, de vulgarisation et d'encadrement, dont dépend l'avenir des formations forestières tropicales.


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