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Stratégies de conservation des forêts en Afrique tropicale

P. R. O Kio
Université d'Ibadan , Ibadan , Nigeria

Résumé

Les techniques agroforestières suscitent l'intérêt depuis peu, en raison des problèmes que pose ladétérioration rapide de l'exploitation et de la conservation dans tous les écosystèmes forestiers d'Afrique. Ce continent est confronté à la menace d'une pénurie de bois d'œuvre et de bois de feu vers lafin du siècle. Les méthodes classiques de régénération des forêts, telles que la régénération naturelle améliorée, associée à des techniques d'exploitation moins dilapidatrices, des programmes accélérés de reboisements industriels sur des terrains domaniaux et privés, des plantations pour le bois de feu au voisinage des centres urbains, sont des moyens pour pallier cette pénurie. La meilleure approche du problème passe par une application généralisée du système agroforestier, de façon à arrêter la destruction des forêts à la source. Une recherche agroforestière intensifiée est nécessaire pour prévenir les difficultés suscitées par les changements radicaux que l'adoption de l'agroforesterie entraînera dans le style de vie des collectivités rurales.

Introduction

Les années quatre-vingt pourraient être le témoin de grands désastres provoqués par la mauvaise utilisation et la surexploitation des ressources forestières en Afrique. Pourtant, durant des millénaires et jusqu'au milieu du dixneuvième siècle, les hommes n'ont eu que peu ou pas d'impact sur l'environnement. Une végétation riche et variée, dominée par les arbres, et une faune tout aussi hétérogène, s'étaient développées, et maintenues dans un écosystème complexe, et il y avait équilibre entre végétaux, animaux et milieu physique. En particulier, la diversité des forêts denses tropicales d'Afrique et le riche patrimoine génétique qu'elles recélaient offraient une ressource aux vastes potentialités, que les grandes puissances devaient plus tard reconnaître et exploiter sans égards ou presque pour leur conservation.

A l'heure actuelle, les régions riches en forêts d'Afrique occidentale et centrale contrastent fortement, par leurs modèles d'utilisation et de conservation, avec les régions riches en faune sauvage d'Afrique orientale. Dans le nord de l'Afrique, les conditions désertiques et subdésertiques prédominent au nord et au sud du tropique du Cancer. Toutes les régions sont confrontées à un déclin des ressources en raison de la dégradation des forêts, de la pression des populations humaines et animales, de la mauvaise gestion et de l'exploitation abusive. On a prédit que dans les trente prochaines années, à moins que des mesures adéquates ne soient prises, la plupart des forêts tropicales humides seront transformées en terres improductives, et la dégradation des savanes en déserts sera accélérée.

Destruction des forêts

L'agriculture traditionnelle, dans la plupart des régions d'Afrique, est la culture itinérante. Celle-ci consiste à défricher une petite surface de terrain en abattant et brûlant la plus grande partie de la végétation, dans les forêts primaires ou secondaires et les savanes boisées. La surface défrichée est cultivée pendant quelques années (de deux à quatre, en fonction du sol et du climat), et ensuite abandonnée à la jachère forestière. Les terrains de culture abandonnés sont progressivement envahis par les arbres tout d'abord des essences pionnières peu longévives, émergeant au-dessus d'un fouillis de broussailles et de lianes, et finalement des essences forestières à proprement parier. De nombreuses années plus tard le même agriculteur, ou un autre, redéfriche la forêt secondaire et fait de bonnes récoltes pendant quelques années avant de se déplacer vers une autre parcelle de forêt mature ou secondaire. De nombreux agronomes et pédologues affirment que ce système de culture s'est avéré bien adapté aux conditions écologiques de la plus grande partie de l'Afrique tropicale (Nye et Greenland, 1960). Cependant, à partir du moment où la densité de population atteint et dépasse certaines limites critiques, la période de jachère se raccourcit, et la matrice, constituée par l'ensemble solmicrofaune-macrofaune-végétation, qui protège les délicats écosystèmes, se dégrade, peut-être irréversiblement.

De toute évidence, dans leur quête d'une maigre subsistance, les cultivateurs itinérants dévastent d'immenses ressources naturelles. Des essences de bois précieux sont abattues sans être utilisées comme il faudrait. Les forestiers ont depuis longtemps affirmé qu'il fallait remplacer la culture itinérante par un système plus sédentaire. On estime, par exemple, qu'au cours des vingtcinq dernières années l'Afrique tropicale a perdu 100 millions d'hectares de forêt dense humide du fait des cultivateurs itinérants, et que la perte annuelle est actuellement de l'ordre de 400 000 hectares (PNUE, 1 980).

La dégradation de la forêt n'est quelquefois que la moindre des conséquences de la culture itinérante. Sur des stations sensibles, une utilisation trop intensive peut détériorer le sol pour longtemps, comme on peut le vérifier facilement en visitant les ravines d'érosion à Agulu, dans la Division d'Awka de l'État d'Anambra au Nigeria. Les effets sont particulièrement prononcés dans les milieux secs où la végétation tend à se reconstituer plus lentement que dans les stations humides. Une culture prolongée maintient le sol dénudé et vulnérable à l'érosion éolienne et hydrique.

Le feu est un élément important dans la conversion des forêts naturelles en écosystèmes plus simples. Il est utilisé en premier lieu comme moyen de libérer certains des éléments nutritifs enfermés dans la biomasse, et de nettoyer le terrain en vue de la culture agricole. Dans un climat sec, l'usage répété du feu tue les espèces arborescentes et arbustives sensibles, et crée des conditions favorables à l'invasion par les graminées, notamment Imperata cylindrica. Les savanes sèches fournissent des pâturages de grande importance, mais le surpâturage menace les prairies naturelles en Afrique, et en vérité dans tout le monde tropical (Persson, 1977).

Le bois de feu et le charbon de bois représentent plus de 90 pour cent du bois consommé en Afrique. Les coupes pour le bois de feu se font dans toutes les zones écologiques, et n'ont pas d'effet défavorable sur l'environnement tant que la régénération naturelle est possible et que la densité de population est faible. Dans de nombreuses régions, la population actuelle est si nombreuse que les ressources ligneuses existantes sont surexploitées. Dans bien des régions d'Afrique, le mauvais usage de la brousse et la surexploitation ont entraîne la disparition totale de la végétation ligneuse. Dans les centres urbains et autour, la pénurie de bois de feu se fait sentir même dans les zones humides.

Le niveau nutritionnel d'une collectivité est parfois lié à la disponibilité et au coût du bois de feu. On affirme que dans certains endroits du Sahel le combustible (produits pétroliers, bois, charbon de bois) est devenu si coûteux qu'il absorbe à peu près la moitié du budget de certaines des familles les plus pauvres (Poulsen, 1978). Par suite du déboisement étendu, les villageois sont forcés d'aller à de grandes distances pour ramasser du bois de feu, et finalement ils sont tentés de lui substituer les bouses de vache séchées et les résidus de récoltes, ce qui a de graves conséquences pour l'agriculture locale. Même dans les pays qui ont des ressources pétrolières, comme le Nigeria, les ménages ruraux qui n'ont pas fait l'achat de réchauds modernes à pétrole ou à gaz achètent du bois de préférence au pétrole lampant, qui dans certaines régions du pays est à moitié prix.

En dehors de la détérioration de la qualité de la vie liée à la dégradation des forêts, d'autres effets plus insidieux mettent en danger l'avenir des êtres humains sur la planète. Par exemple, le climat est déterminé par des facteurs physiques au voisinage de la surface terrestre, mis en jeu par l'énergie du soleil. La végétation exerce une influence sur la surface terrestre de deux façons: en réduisant la vitesse du vent, et en interceptant la radiation solaire (albedo). Or le climat est l'un des principaux facteurs qui façonnent la végétation, et il est la cause de différences dans le couvert végétal de la terre. Cette relation permet de penser qu'il existe un mécanisme de rétroaction et que des changements dans la végétation, y compris ceux provoqués par l'homme, pourraient avoir pour résultat des changements irréversibles dans le climat.

Les ressources forestières

Les types de végétation sont déterminés principalement par le climat, le sol, et les facteurs antropiques. Les forêts denses humides de basse et moyenne altitude du continent africain sont concentrées en Afrique centrale, et s'étendent du bassin du Congo au Sud Nigeria. Après une solution de continuité au Bénin, au Togo et dans le sud-est du Ghana, elles se prolongent vers l'ouest jusqu'au Sierra Leone. La superficie totale de forêt dense humide est d'environ 256 millions d'hectares, dont 76 pour cent (194 millions d'hectares) se trouvent en Afrique centrale (Persson, 1977) et 19 pour cent (48 millions d'hectares) en Afrique occidentale.

Ce type de forêt se rencontre là où la température moyenne mensuelle tombe rarement au-dessous de 25°C, ou la pluviométrie annuelle moyenne est toujours supérieure à 1 500 mm, et où ii y a tout au plus une courte saison sèche.

La mosaïque forêt-savane forme une ceinture autour de la forêt dense humide. La portion la plus sèche de la forêt dense humide est qualifiée de semi-décidue, et en Afrique occidentale elle tend à être plus riche en essences à bois recherché que la forêt dense humide ou forêt ombrophile proprement dite. La culture itinérante a détruit la plus grande partie des forêts sèches. Le stade intermédiaire dans la dégradation définitive de la ceinture originelle continue de forêt semi-décidue est la formation d'une mosaïque de futaies et de savanes boisées.

Les savanes, humides et sèches, couvrent au total 988 millions d'hectares, soit 42 pour cent de la superficie du continent africain. De nombreux écologistes pensent que les superficies maintenant occupées par la savane humide étaient autrefois couvertes de forêts semi-décidues qui ont été transformées artificiellement en savanes par des siècles de culture itinérante et de feux annuels. On pense que la limite de la savane d'origine pyrogène coïncide avec les zones à trois mois secs, ou encore avec les zones recevant 1 250 à 1 500 mm de pluies annuelles. Des vestiges de la forêt primitive subsistent, par exemple, dans la région de la Casamance au Sénégal, et sur le plateau de Mambilla dans le nord du Nigeria.

Les savanes humides d'Afrique occidentale sont désignées sous le nom de savanes guinéennes, les savanes plus sèches étant dénommées savanes soudaniennes. La forêt claire de « miombo » se rencontre au sud de l'équateur, en particulier en Tanzanie, en Zambie et au Zimbabwe. Lorsqu'elle est protégée du feu, cette forêt claire évolue vers la haute futaie tropicale, caractérisée notamment par la présence de lianes et d'étages herbacés et arbustifs denses. La forêt claire du Kalahari se présente comme une large ceinture qui occupe la partie occidentale de la Zambie et se prolonge en Angola sur les sables du Kalahari. Les forêts claires de « mopane » et de « munga » se rencontrent dans la zone de savane sèche au sud de l'équateur.

La steppe boisée à Acacia et Commiphora abondants se trouve entre la savane sèche et le semi-désert. Elle se caractérise par une végétation d'arbres très disséminés, appelée végétation sahélienne en Afrique occidentale; les arbres bas épineux sont les végétaux ligneux dominants. A la différence des savanes, c'est le surpâturage qui est considéré ici comme le facteur déterminant, plus que le feu ou la culture itinérante.

Les formations herbacées se présentent sous forme de taches parmi les savanes humides et sèches, et elles prédominent dans les stoppes. De vastes étendues de formations herbacées occupent le centre de Madagascar, l'ouest de La Zambie et l'est de l'Angola.

La région méditerranéenne a des étés chauds et secs et des pluies d'hiver cyclonales. La plus grande partie de la végétation de cette région a été dégradée depuis des millénaires. Après avoir été brûlées et surpâturées, notamment par les chèvres, les forêts disparaissent totalement. On trouve, aussi bien dans les zones sèches que dans les zones humides, une végétation de maquis qui est normalement considérée comme une forme dégradée d'associations plus denses.

TABLEAU 1. Superficies estimées de forêts naturelles en Afrique, en 1975 (en millions d'hectares)

Sous-région Forêts feuillues denses Forêts feuillues ouvertes Totaux
Productives (exploitables) Inexploitables Productives (exploitables) Inexploitables
Régions septentrionales de savane 0,02 0,16 10,43 41,93 52,54
Afrique occidentale 12,13 1,95 45,94 2,65 62,67
Afrique centrale 115,36 55,29 148,43 6,17 325,25
Afrique orientale 6,31 10,57 105,99 39,08 161,95
Afrique australe tropicale 0 0 21,72 21,29 43,01
Totaux 133,82 67,97 332,51 111,12 645,42

Source: Lanly et Clément (1979)

Aménagement et utilisation

Du point de vue des possibilités d'aménagement, seules les forêts denses humides, les forêts semi-décidues et les savanes méritent d'être prises en considération. Mis à part les quelque 2 millions d'hectares de forêts naturelles de résineux se trouvant en Afrique orientale /principalement dans les montagnes du Kenya et d'Éthiopie), les forêts naturelles d'importance économique peuvent être classées en formations feuillues denses et formations feuillues claires (tableau 1). Chacun de ces groupes peut être subdivisé en fonction de l'intensité d'aménagement possible, c'est-à-dire de la possibilité ou non de les exploiter immédiatement.

Sur un total de 466 millions d'hectares de forêts productives, 57 pour cent, soit 264 millions d'hectares, se situent en Afrique centrale, l'Afrique occidentale n'en représentant que 12 pour cent (58 millions d'hectares). Si l'on ne considère que les forêts feuillues denses productives, on en trouve 115 millions d'hectares en Afrique centrale sur un total de 134 millions d'hectares. L'Afrique centrale possède par conséquent les ressources forestières de loin les plus importantes du continent, et l'Afrique occidentale a aujourd'hui des ressources forestières relativement limitées par rapport au rythme actuel d'exploitation.

Des études sur le terrain entreprises en 1980 ont montré que la production de bois d'œuvre reposera de plus en plus sur le domaine forestier classé (Kio, 1980). On estime qu'entre 1990 et 2000 la plus grande partie du bois se trouvant hors du domaine forestier aura été exploitée au Cameroun, au Ghana, au Kenya et au Nigeria.

La production de bois d'œuvre actuellement extraite des forêts non classées varie de moins de 20 pour cent au Nigeria à environ 90 pour cent au Cameroun. Des six pays étudiés, seulement deux (Cameroun et Ghana) exportent plus de la moitié de leur production totale de bois d'œuvre. Les autres (Kenya, Nigeria, Tanzanie et Zambie) consomment pratiquement tout le bois qu'ils produisent.

Le continent africain est confronté à l'éventualité d'une pénurie de bois d'œuvre et de bois de feu vers la fin du siècle. Quels efforts sont faits pour changer ces tendances ? En appliquant les connaissances déjà disponibles, en comblant par une recherche bien dirigée les lacunes les plus critiques dans notre connaissance des divers écosystèmes, en reconnaissant les limitations imposées par la fragilité des sols africains, ce continent peut arrêter la destruction de ses ressources naturelles et accroître considérablement sa production de matières premières naturelles.

Les traitements sylvicoles appliqués dans les savanes humides d'Afrique et dans les forêts claires de miombo d'Afrique orientale et centrale ont consisté en protection contre le feu et en éclaircies enlevant les arbres mal conformés et surâgés. L'exploitation se fait par coupe à blanc, et la régénération par repousse du taillis. Cette méthode s'avère appropriée, du fait que les produits principaux (bois de mine, notamment en Zambie, perches, bois de feu, et dans de rares cas bois de sciage) peuvent être récoltés plus économiquement par coupe à blanc.

Les écosystèmes naturels complexes, tels que la forêt tropicale humide, avec leurs nombreuses espèces et leurs interactions multiples, sont en général dynamiquement fragiles. Les changements phonologiques tendent à être caractéristiques de chaque espèce, et se produisent en un temps très court. Les opérations d'aménagement et les traitements sylvicoles dans les forêts denses semblent modifier la direction de la succession naturelle imputable aux phénomènes non humains. Pour que ces traitements puissent atteindre leur but, il faudrait s'attaquer au problème pour une large part non résolu de la régénération après exploitation. Cela exige une connaissance précise des successions de floraison et de fructification, des processus et des conditions de germination, d'installation, de compétitivité et de croissance des essences désirées.

La question de la régénération naturelle des forêts denses humides est la clé de voûte du problème de la dégradation des forêts et de leur conservation en Afrique. Tous les traitements sylvicoles appliqués à ces forêts cherchent à simplifier la composition de la forêt de telle sorte que les peuplements soient beaucoup plus riches en essences de valeur après exploitation et traitement qu'avant. Les méthodes employées comprennent les méthodes d'amélioration des peuplements d'Aucoumea klaineana (okoumé), Terminalia superbe (limbe), Triplochiton scleroxylon (obéché ou samba), et peuplements analogues en Côte d'lvoire, le « tropical shelterwood system » du Nigeria, et la futaie jardinée au Ghana. Ces techniques diffèrent dans leur régime d'exploitation. Le « shelterwood system » nigérian comporte théoriquement une coupe rase avec une régénération sous peuplement d'abri aux fins de créer une forêt plus ou moins uniforme par une combinaison d'exploitation intensive et d'élimination de l'ombrage par empoisonnement des arbres sans valeur dans les étages moyens et bas. En réalité, la coupe rase comme telle n'a jamais été pratiquée, en raison d'une liste très restreinte d'essences désirables. Les peuplements résiduels étaient si denses que, comme on l'a appris, des volumes plus importants ont été éliminés lors de coupes ultérieures intensives que lors de la première exploitation

En raison du succès limité de la régénération naturelle et des difficultés qu'elle a suscitées, ainsi que des résultats spectaculaires de certaines plantations forestières telles que celles d' Eucalyptus spp.. Gmelina arborea, Tectona grandis, Pinus caribaea, de nombreux forestiers ont avancé l'idée que la forêt naturelle devrait être remplacée par des peuplements artificiels en majorité monospécifiques. Cette proposition a été bien accueillie après le Congrès forestier mondial de Buenos Aires en 1972, et elle est appuyée par l'empressement des institutions financières internationales à accorder des prêts énormes pour des projets de reboisement, et leur réticence à financer des programmes de régénération naturelle.

Les conséquences de l'enlèvement, de la modification ou de la transformation de superficies importantes de forêt dense en Afrique sont largement commentées dans les conférences forestières nationales et internationales. De nombreuses publications attirent l'attention sur la nécessité de la prudence et de la modération dans l'exploitation et le traitement des forêts tropicales. Il reste à voir si les spoliateurs traditionnels des ressources naturelles du continent tiendront compte de ces avertissements.

Perspectives

Diverses études ont montré qu'à l'exception, peut-être, du Zaïre, du Cameroun et du Congo, les forêts naturelles de la plupart des pays africains ne seront pas en mesure de répondre à la demande intérieure de produits dérivés du bois au début du vingt et unième siècle La création de plantations forestières dans tous les types de végétation qui leur conviennent - pas nécessairement limités à la forêt dense humide - est un des moyens de satisfaire cette énorme demande. Les essences choisies doivent avoir une croissance rapide et un rendement élevé, et les bois produits doivent être homogènes en dimension et en qualité de façon à répondre aux spécifications d'industries déterminées. Les principaux inconvénients, toutefois, sont les dangers de la monoculture, et la perte de riches forêts naturelles si l'emplacement des plantations n'est pas choisi avec soin. Tout projet de reboisement à grande échelle qui ne tiendrait pas compte de la nécessité de diversifier les essences et de conserver une partie des forêts naturelles, aussi bien à l'état intact qu'en aménagement intensif, risquerait à long terme de s'avérer désastreux.

On avance souvent l'argument que l'accroissement de la population mondiale, y compris celle de l'Afrique, conduit à une demande de nourriture, d'espace et de matières premières si importante qu'elle ne pourra être satisfaite qu'en exploitant les superficies actuellement couvertes par la forêt afin de procurer aux populations un espace vital, des terres pour produire des aliments et des matières premières, et également installer des industries (Poore, 1976). Si l'on acceptait sans critique ce point de vue, cela signifierait que la disparition de la plus grande partie des forêts denses humides est inévitable. Cependant, une évaluation attentive des conditions de l'utilisation des ressources naturelles montre que la disparition des forêts n'est inévitable que si aucun effort n'est fait pour changer les facteurs et les politiques qui ont dans le passé conduit à l'exploitation abusive de ces ressources.

Les problèmes associés à la dégradation des forêts débordent les limites des frontières nationales, et seuls des programmes coordonnés à l'échelle internationale peuvent avoir quelque chance de succès. Tout d'abord, les politiques forestières qui mettent l'accent sur l'utilisation rationnelle des ressources devront être harmonisées sur toute l'étendue du continent. Ensuite, chaque pays devra améliorer l'aménagement du domaine forestier, ce qui comporte la protection légale des réserves forestières contre les empiétements, un inventaire de toutes les ressources forestières, une amélioration de la formation du personnel, et la mise en place d'une administration forestière efficace, appuyée par des dotations financières suffisantes et faites en temps voulu. En troisième lieu, la stratégie de mise en valeur des forêts tropicales doit être fondée sur un équilibre prudent entre considérations écologiques et économiques. Les principaux obstacles à une bonne gestion des forêts sont l'absence d'institutions nationales et locales capables de concevoir et d'appliquer des stratégies appropriées, et la méconnaissance du rôle de la forêt dans le développement.

En quatrième lieu, en dépit des événements récents au Tchad, au Niger, au Sénégal, en Gambie, et en dépit de l'implication d'éléments étrangers dans les récentes émeutes de Kano, il convient d'encourager les groupements économiques régionaux, et ce pour des raisons politiques aussi bien qu'économiques. L'intégration pourrait devenir un important instrument de croissance économique pour les sous-régions ou pour l'ensemble du continent africain. Supprimer les barrières à la libre circulation des biens, de la main-d'œuvre et des capitaux dans une région conduit presque invariablement à une expansion des échanges commerciaux, et par voie de conséquence à une amélioration des revenus et de l'emploi

Des unités économiques plus larges, avec des marchés plus importants, permettent des économies d'échelle et justifient la création d'entreprises forestières auparavant jugées trop coûteuses. Les ressources et les capitaux tendent à se porter librement vers les zones les plus productives et leurs marchés plus larges, et stimulent ainsi de nouveaux gains de production. De même, il peut en résulter des transports à meilleur marché et plus efficaces. Les marchés plus larges découlant de l'intégration devraient attirer des investissements étrangers plus importants (Eken, 1979). Particulièrement en Afrique, où les ressources forestières varient largement d'un pays à l'autre, la création de groupements économiques sousrégionaux est le seul moyen de renforcer l'indépendance collective et de garantir contre toute subordination aux grandes puissances et toute subversion venant de l'extérieur.

Enfin, les techniques de l'agroforesterie sont la clef qui permettra de juguler la culture itinérante, en remplaçant ses pratiques destructrices par un système de rotation des terres qui combine la production simultanée d'arbres et de cultures agricoles. De nombreuses recherches sur les divers aspects de l'agroforesterie sont en cours, mais jusqu'à présent sans points focaux bien nets, et le rôle du paysan illettré, ayant peu accès aux facteurs de production de l'agriculture et de la foresterie modernes, n'est guère défini dans les projets proposés.

En associant à la stratégie de la recherche, comme le suggère Lundgren (1979), la recherche socio-économique, on fera probablement de plus grands progrès. La stratégie proposée pour la recherche en matière d'agroforesterie est la suivante:

Pour une plus grande efficacité, ces programmes de recherche devront être coordonnés au niveau subrégional et régional grâce à la mise en place des rouages appropriés pour la consultation, la collaboration et la diffusion de l'information concernant la recherche. Une recherche coordonnée à l'échelle de la région Afrique, tout au moins en ce qui concerne la recherche sur les problèmes de conservation et d'agroforesterie, réduira au minimum les doubles emplois dispendieux, et produira des résultats qui reflèteront véritablement les conditions des écosystèmes étudiés.


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