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Systèmes agroforestiers traditionnels: Perspectives de développement

Le rôle des arbres dans les systèmes agricoles des tropiques humides
Stratégies de conservation des forêts en Afrique tropicale
Incidence des systèmes agricoles et du développement rural sur les forets du Nigeria
Cultures mixtes dans les systèmes traditionnels
Agriculture sans labour basée sur les cultures arboricoles
Systèmes agroforestiers traditionnels en republique Centrafricaine
Perspectives agroforestières au Bénin
Résumé de la discussion: Systèmes agroforestiers traditionnels

Le rôle des arbres dans les systèmes agricoles des tropiques humides

A. Getahun, G. F. Wilson et B. T. Kang
Institut international d'agriculture tropicale, Ibadan, Nigeria

Résumé

Le système de rotation cultures vivrières - jachère forestière est le système agricole le plus usité et le plus stable dans les zones tropicales humides d'Afrique. Sa stabilité est attribuée à laprésence dans la jachère de végétaux ligneux à enracinement profond qui jouent un rôle essentiel pour la restauration de la fertilité du sol. L'expansion démographique et le surcroît de pression sur les terres qui l'accompagne menacent la stabilité et la productivité de ce système. Au fur et à mesure que les superficies cultivées annuellement s'accroissent, la période de jachère se raccourcit, et les espèces ligneuses sont éliminées ou bien ne jouent plus leur rôle.

Une enquête récente effectuée dans le sud du Nigeria a confirmé que la rotation cultures vivrières - jachère forestière était toujours le modèle dominant d'utilisation des terres. D'autres types importants sont les cultures arboricoles permanentes (y compris banane plantain et banane douce), la taungya, et la culture permanente en clos dans laquelle les arbres sont les éléments principaux.

Le rôle des arbres dans le recyclage des éléments nutritifs, la formation de la matière organique du sol et la prévention de l'érosion a été reconnu par les agriculteurs traditionnels, qui ont identifié et favorisé les essences les plus utiles dans la jachère. Avec ces essences sélectionnées, la période de jachère peut être efficacement raccourcie. Afin d'exploiter plus à fond les potentialités d'essences sélectionnées dans l'aménagement des sols. nous avons perfectionné un système dénommé culture en allées. Ce système met en application le principe agroforestier de combinaison de cultures et d'arbres, et assure la dominance des essences forestières utiles durant la période de jachère.

Introduction

Les tropiques comptent environ 50 pour cent de la population mondiale, pour moins de 40 pour cent de la superficie de terres émergées. On estime que d'ici à l'an 2000 leur population aura presque doublé, alors que celle des pays développés n'augmentera que de 20 à 30 pour cent. Il faudra alors 60 pour cent de plus de denrées alimentaires pour nourrir la population mondiale (FAO, 1977). Accroître la production agricole pour répondre à cette demande pose un problème particulièrement ardu, étant donné que la plus grande part de l'accroissement de population se situera dans les pays tropicaux en développement où la production alimentaire est relativement faible et dans bien des cas reste en deçà des besoins de la population actuelle. Des solutions à ce problème peuvent être recherchées par une extension des surfaces productives, par un accroissement de la productivité des surfaces en exploitation, ou par une combinaison des deux.

Une extension des surfaces consacrées à la production alimentaire n'est possible que dans les régions où il y a des terres utilisables disponibles. Malheureusement, de nombreuses nations en développement utilisent déjà pleinement les surfaces considérées comme cultivables, et une nouvelle extension mettrait en exploitation des terres de productivité marginale (dans l'état actuel des techniques en usage localement).

Un accroissement de productivité par unité de surface peut être recherché par: - L'introduction de techniques d'exploitation à investissements élevés, fondées principalement sur l'emploi d'énergie fossile et d'engrais minéraux. Ces techniques ont donné de bons résultats dans certaines conditions de sol, de climat et de gestion. Les méthodes d'agriculture dite moderne n'ont pas été acceptées universellement dans les tropiques humides en raison de contraintes pédologiques, climatiques et socioéconomiques. Dans bien des cas ces techniques ont entraîné une sérieuse dégradation des sols (Uehara, 1976); - Le développement de systèmes à faibles investissements plus efficaces, fondés sur le recyclage biologique de l'énergie et des éléments minéraux par le moyen d'une jachère conforme à la tradition; cette méthode est susceptible de maintenir par des voies naturelles la productivité des sols dans de nombreuses régions tropicales humides (Wilson et Kang, 1980).

La jachère forestière, et le système de culture itinérante qui lui est lié, constituent encore de nos jours le système traditionnel de production vivrière dominant dans de nombreuses régions des tropiques, notamment en Afrique tropicale humide, qui comporte quelques années de culture alternant avec plusieurs années de jachère arbustive, le but principal de cette dernière étant la régénération de la fertilité du sol (Ruthenberg, 1971). Ce système a souvent été critiqué comme dilapidateur et peu efficace, et comme étant la cause principale de la dégradation des sols et du rapide déclin de la fertilité et du rendement des cultures (FAO, 1957). Cependant, tant que les terres disponibles étaient abondantes, la jachère forestière offrait aux agriculteurs traditionnels un système efficace, équilibré et stable pour maintenir la productivité des sols. Les problèmes ne surgissent que lorsque les superficies disponibles se trouvent limitées par rapport à une population croissante, comme on l'a déjà observé dans plusieurs pays d'Afrique tropicale humide où les périodes de jachère se sont progressivement raccourcies et où la restauration de la fertilité devient corrélativement moins efficace (Steiner, 1973). Grinnell (1975) déclare: « La culture itinérante, bien qu'apparemment dilapidatrice, a procuré à l'homme, lorsqu'elle n'était pas poussée à l'excès, ses moyens d'existence dans les tropiques humides pendant des siècles, et elle reste importante encore maintenant, alors qu'après un quart de siècle d'expérimentation en Afrique tropicale, nous n'avons pas réussi à introduire dans les régions forestières de méthode de production alimentaire supérieure au système de jachère spontanée ». En raison de l'importance des arbres et des arbustes dans les jachères ou en association avec des cultures vivrières pour l'aménagement des terres (CIRAF, 1979), et également de leur rôle de fourniture de combustible, de tuteurs, de denrées comestibles (Bene et al, 1977; Brewbaker et Hutton, 1979), on s'est depuis peu intéressé à l'amélioration du système de jachère forestière et au développement de systèmes de production améliorés pour les tropiques (Wilson et Kang, 1980).

FIG. 1 Zones humides et subhumides d'Afrique tropicale

Écologie des tropiques humides

La zone tropicale est la région du globe comprise entre les parallèles 23° 1/2 de latitude nord et sud de part et d'autre de l'équateur. Elle couvre près de 50 millions de kilomètres carrés, soit 38 pour cent des terres émergées du globe; 43 pour cent de cette superficie se trouvent en Afrique (Dudal, 1980). Parmi les zones agro-ècologiques d'Afrique tropicale, les tropiques humides et subhumides représentent 44 pour cent de la superficie totale, s'étendant entre 8° N et 8° S de latitude (fig. 1).

Les sols non inondés de basse altitude d'Afrique tropicale humide et subhumide sont en majorité des sols argileux de faible activité, caractérisés par une faible capacité d'échange de cations et une faible capacité de rétention en eau (Moormann et Kang, 1978). On peut les classer en deux groupes. Le premier groupe comprend les ultisols et les oxisols (sols ferralitiques selon la classification de l'INRA ou acrisols selon la légende de la Carte mondiale des sols de la FAO), et les sols associés. Ce sont des sols de zones exondées fortement acides et lessivés, se trouvant dans les zones perhumides à humides (pluviométrie > 1 800 mm). Les ultisols dominent dans les régions côtières; ce sont principalement des paleudults typiques à kaolinite, à texture grossière. Les ultisols (et certains oxisols) dérivés des roches du socle cristallin sont principalement des plinthudults et des tropudults à texture grossière. Le second groupe est celui des alfisols (sols ferrugineux tropicaux selon la classification de l'INRA ou luvisols selon la légende de la Carte mondiale des sols de la FAO). Ce sont des sols légèrement acides et moins lessivés des zones humides et subhumides. La plupart de ces sols sont dérivés de roches du socle cristallin ou de grès. Dans la zone forestière plus sèche, les paleustalfs oxiques sont les types de sols dominants.

Le milieu biologique de la zone humide, principalement constitué par des sols infertiles et fragiles ou facilement dégradables alliés à une humidité et une radiation abondantes, est favorable à une végétation continue des arbres, qui peuvent accumuler une quantité maximale de biomasse. Le système traditionnel de jachère forestière et d'aménagement correspondant du sol est une adaptation directe aux conditions des milieux physiques et biologiques. Toutefois ce système traditionnel, qui repose fortement sur la jachère boisée ou arbustive, subit des changernents importants par suite de l'accroissement de la population, de la pression sur les terres cultivables, et de la surexploitation des ressources forestières. Il en résulte une diminution constante du nombre d'arbres et d'arbustes dans les jachères, et une augmentation constante des graminées et adventices qui sont moins efficaces pour régénérer les sols.

Systèmes agricoles dominants

Une enquête récente dans les zones humides et subhumides du Nigeria (Getahun, 1979a; IITA, 1978 et 1979a) a montré que l'agriculture traditionnelle est d'une manière prédominante une agriculture en sec, comprenant principalement les types suivants: 1) rotation jachère forestière - cultures vivrières; 2) plantations arborescentes permanentes; 3) taungya; 4) cultures permanentes en clos dans le cas de l'est du pays.

Tous sont caractérisés par une composante ligneuse dominante. Dans la jachère forestière, le stade climacique de la jachère est indiqué par la présence et la taille de certaines espèces ligneuses. Ces végétaux ligneux, avec leur enracinement profond, jouent un rôle important d'enrichissement des horizons supérieurs du sol par la couverture morte qu'ils déposent en surface. Cette litière se décompose et libère les éléments nutritifs qui ont été remontés des horizons profonds. L'importance des arbres et autres végétaux ligneux dans la jachère ne saurait être trop soulignée. Partout ou la jachère a été raccourcie jusqu'à un point qui ne permet plus le développement des arbres, la productivité des sols, exprimée en rendement des cultures vivrières, a décliné. La culture itinérante, dans son sens classique de déplacement de villages entiers, peut encore être observée dans des cas isolés. Les raisons de ces déplacements n'ont pas été entièrement élucidées, et elles pourraient ne pas être liées directement aux facteurs influant sur la productivité du sol.

Les plantations arboricoles, y compris les bananes plantain et bananes douces (Musa spp.), représentent 67 pour cent des superficies cultivées, tandis que les cultures annuelles ne représentent que 25 pour cent. Les combinaisons d'arbres et de cultures annuelles en mélange sont courantes, mais elles sont généralement le fait d'agriculteurs cultivant de petites surfaces.

Le système taungya ne se rencontre que là où les services forestiers réalisent des reboisements. Les cultures vivrières se situent dans la période qui va du défrichement du terrain à l'installation définitive du peuplement. Ce système n'est pas attrayant pour les agriculteurs, et ne persiste que là où il y a une forte pression démographique, ou lorsque l'affectation de terrains au reboisement réduit les superficies disponibles pour une rotation telle que pratiquée dans le système de jachère forestière.

La culture permanente en clos représente un système d'aménagement intensif dans lequel la fertilité du sol est maintenue par apport de résidus de récoltes et de déchets ménagers. On trouve généralement en mélange dans ce système des arbres aussi bien que des cultures annuelles. Les bananes - plantain et douces - y ont une importance particulière, du fait que la teneur élevée en matière organique et l'effet de paillage des déchets accroissent le rendement et la longévité de ces cultures (Wilson et Braide, 1978). On trouve généralement dans ces jardins des arbres fruitiers, qui sont facilement accessibles pour les habitants.

Le tableau d'ensemble révèle qu'en dehors du clos familial chaque agriculteur pratique une culture labourée (en association multiple) et possède une plantation arboricole. La première fournit des aliments, et la seconde un revenu en argent. Le revenu en argent du travail dans les plantations arboricoles telles que le cacaoyer est souvent plus du double de celui fourni par les cultures vivrières (Grinnell, 1975). La terre et la main-d'ouvre, avec les disponibilités en argent liquide ou en crédit apportant une modification occasionnelle, sont les facteurs de production importants dans l'agriculture traditionnelle. Une pénurie de terres entraîne invariablement une réduction de la période de jachère et une extension de la superficie cultivée. La pénurie de main-d'œuvre accroît la superficie plantée en arbres, mais réduit la superficie des cultures labourées. La pénurie de terres apparaît donc comme le facteur qui menace le plus sérieusement la survie des arbres, et en définitive celle des humains dans les tropiques humides.

La productivité des cultures labourées dans l'agriculture traditionnelle est en corrélation positive avec la durée de la jachère forestière. En conséquence, lorsque celle-ci se raccourcit, il devient de plus en plus difficile de produire la nourriture nécessaire pour faire vivre la population.

TABLEAU 1. Densité et composition spécifique de jachères forestières de 3 et 7 ans au Nigeria oriental

Espèces

Akwa
Densité/ha (%)

Ikot-Ekpene
Densité/ha (%)

3 ans 7 ans 3 ans 7 ans
Dialium guineense 48,4 41,0 0.8 -
Anthonotha macrophylla 27,0 34,6 53,4 33,7
Pentaclethra macrophylla 2,4 - - -
Acioa barteri 12,7 23,9 - 3,6
Alchornea cordifolia 9,5 0,5 15,3 51,2
Napoleona imperialis - - - 3,6
MM (non identifiée) - - 30,5 7,8
Total 100,0 100,0 100,0 99,9
Total tiges/ha 1 008 1 504 1 048 1 328

Source Amaza, Akukwe, Getahun, Okafor, et al (non publié)

TABLEAU 2. Influence des techniques de défrichement sur le rendement en mais, l'érosion et le ruissellement

Méthode de défrichement Rendement en maïs (t/ha) Érosion (t/ha) Ruissellement (mm) Perte de sol/rendt en grain
Traditionnelle (défrichement partiel de la forêt secondaire) 0,5 0,01 2,64 0,02
Manuelle, défrichement complet 1,6 4,64 54,30 2,90
Mécanisée, défrichement complet 1,8 19,57 250,33 10,87

Ruissellement et pertes de sol avant défrichement de la foret étaient minimes
Source: ITA 1979b

Réduire le rôle des espèces ligneuses dans le maintien de la fertilité du sol et la prévention de l'érosion équivaut donc à réduire la production alimentaire du système traditionnel de cultures vivrières (Grinnell, 1975). Les systèmes de production arboricole sont bien adaptés aux tropiques humides, mais les denrées alimentaires sont indispensables à la survie humaine, et là où l'autosuffisance apparaît comme une nécessité, ce qui est le cas des économies de subsistance communes sous les tropiques, les cultures labourées sont un élément essentiel des systèmes agricoles.

L'enquête révèle que, lorsque la pression démographique est forte, il se développe des systèmes dans lesquels des espèces ligneuses particulières, susceptibles de restaurer la productivité du sol avec des périodes de jachère relativement courtes, sont favorisées dans une certaine mesure pour leur permettre de dominer la végétation de la jachère (tableau 1).

Les agriculteurs reconnaissent les potentialités de ces espèces, capables d'accomplir en deux à quatre ans ce qui demanderait six à huit ans dans le cas d'une régénération incontrôlée.

Il ne semble pas que les agriculteurs aillent jusqu'à planter délibérément certaines espèces dans leurs jachères (Benneh, 1972; Okigbo et Lal, 1978), mais il est encourageant de savoir qu'ils ont conscience de l'efficacité de ces espèces, et que cela peut leur faire accepter plus volontiers d'utiliser des espèces ligneuses pour réduire la durée de la jachère tout en accroissant la productivité de la terre dans ces régions tropicales humides.

La jachère spontanée

On considère comme jachère spontanée une jachère dans laquelle la recolonisation par la végétation se fait sans intervention humaine. La succession normale du développement de la jachère est déterminée par les facteurs édaphiques et climatiques, la flore locale, les techniques culturales en usage, et la durée de la jachère. Dans le schéma normal de régénération de la jachère dans les régions humides d'Afrique occidentale, on trouve des graminées et des dicotylédones dominantes durant les deux ou trois premières années, et qui sont alors entremêlées de semis, de drageons et de rejets d'arbres et de grands arbustes. Selon Okigbo et Lai (1979), lorsque la durée de la jachère excède quinze ans la végétation climacique comprend de grands arbres tels qu'Albizzia gummifera, Anthocleista vogelli. Diospyros confertifolia, Funtumia elastica, Nauclea (Sarcocephalus) diderrichii; Lophira alata, Brachystegia spp., Khaya ivorensis, Triplochiton scleroxylon. Ficus spp., Cola spp., Celtis spp, Antiaris spp. Elaeis guineensis se trouve fréquemment dans les espaces les moins encombrés de végétation. Ce type de jachère ne se rencontre que dans des zones à faible densité de population où la durée de la période de culture est courte, et celle de la période de jachère longue.

Là où la densité de population est élevée, la jachère est courte, et on trouve un nouveau cortège d'espèces dominantes dans ce qui peut apparaître comme une végétation climacique. Obi et Tuley (1973) notent comme espèces dominantes Alchornea cordifolia, Acioa barteri, Anthonotha macrophylla. Parmi les autres espèces abondantes on peut citer Harungana madagascariensis, Dialium guineense, Crestis ferruginea, qui sont mêlées à de nombreuses autres espèces.

Parmi les nombreuses espèces qui dominent dans les jachères spontanées, les agriculteurs ont reconnu la supériorité de certaines espèces pour restaurer la fertilité du sol, et ont cherché à les favoriser. La préférence donnée à certaines de ces espèces se traduit dans certaines jachères par des peuplements presque purs. Benneh (1972) et Okigbo et Lai (1979) nont noté des jachères plantées d'Acioa barteri, Anthonotha macrophylla et Alchornea cordifolia dans le Nigeria oriental. Des observations de Kang (non publié) à Onne dans le Nigeria oriental montrent des populations variables d'Anthonotha de densités atteignant 1 000 à 2 500 plants/ha. Dans l'État d'Oyo, dans le sud-ouest du Nigeria, Gliricidia sepium domine la jachère, et peut être considéré comme une jachère plantée indirecte.

L'efficacité des arbres pour régénérer la fertilité et la productivité du soi est attribuée à leur aptitude à absorber les éléments nutritifs dans les couches profondes du sol et à les incorporer aux horizons supérieurs par l'intermédiaire des feuilles mortes (Lundgren, 1978b; Nye et Greenland, 1960). La conclusion tirée de ces données est que les populations tropicales n'ont pas encore imaginé de systèmes pour domestiquer les éléments nutritifs tirés de la jachère sans détruire ou recéper celle-ci.

L'importance des arbres dans l'aménagement des terres et en particulier dans la lutte contre l'érosion est clairement démontrée par les résultats d'un essai de défrichement effectué à l'IITA (1979b) (tableau 2). L'élimination complète du couvert arborescent et le défrichement mécanique ont considérablement accru le ruissellement et l'érosion.

La jachère plantée

Les agriculteurs africains, qui sont réputés pour leurs cultures en mélange, n'enlèvent en règle générale de leurs champs aucune plante ayant une utilité potentielle. Ainsi un grand nombre d'espèces que l'on voit dans les champs ne sont pas plantées mais sont des espèces spontanées utiles qui ont été favorisées. Cette pratique s'applique non seulement à des plantes productrices d'aliments mais également à des plantes qui sont connues pour leur aptitude à restaurer la fertilité du sol. La faveur dont jouissent Acioa barteri et Anthonotha macrophylla dans les jachères arbustives sur ultisols acides au Nigeria oriental ne résulte pas d'une plantation directe mais du fait que les plants spontanés sont délibérément favorisés. Les agriculteurs ne détruisent pas les semis de ces espèces, et cette préférence aboutit à leur dominance dans la population végétale. Dans le sud-ouest du Nigeria, en particulier autour de la ville d'lbadan, les agriculteurs affirment que Gliricidia sepium est une espèce de jachère efficace qui restaure la productivité du sol pour les cultures vivrières après une jachère de deux ans seulement. Bien que cette espèce ait été introduite par les agriculteurs qui l'ont par la suite acceptée comme une plante amélioratrice efficace, rien n'indique qu'elle ait été délibérément plantée pour l'amélioration du sol. G. sepium s'installe généralement à partir de tiges vertes qui sont utilisées comme tuteurs pour les ignames; ces tuteurs prennent racine, constituant en définitive la jachère qui est maintenue par un système de coupes et de brûlis dans lequel la base de l'arbre n'est jamais complètement détruite. Étant donné qu'il rejette bien, G. sepium se réinstalle de lui-même lorsque la culture cesse.

Là où la forêt artificielle devient un élément de la rotation, comme c'est le cas des systèmes taungya en Afrique occidentale, les agriculteurs se sont déclarés disposés à faire des cultures vivrières après Gmelina arbores et Cassia siamea. mais ont évité les terrains qui étaient plantés en teck (Tectona grandis) (voir l'exposé de Kio, Bada et Okali dans le présent volume, p. 120).

Dijkman (1950) rapporte qu'en Indonésie on étale traditionnellement des émondes de Leucaena Ieucocephala dans les cultures pour apporter de l'azote, et qu'un hectare de Leucaena fournit une quantité d'azote équivalant à 1 tonne de sulfate d'ammoniaque. Des travaux réalisés à Hawai (Guevarra, 1976) ont montré qu'on pouvait récolter avec le feuillage de L. Ieucocephala 500 à 600 kg d'azote à l'hectare. Juo et Lal (1977) ont constaté que L. Ieucocephala était aussi efficace qu'une jachère régénérée naturellement pour restaurer le carbone organique et les cations échangeables du sol. Outre la fourniture d'azote, la matière sèche joue un rôle important de prévention de l'érosion lorsqu'on l'utilise comme paillis. L'azote fourni par les feuilles est le résultat de la fixation biologique, étant donné que ni la production de feuilles ni celle d'azote ne sont influencées par un apport d'engrais azoté (Kang et al., 1981). Dans une étude portant sur une seule récolte au début de la saison des pluies, on a montré que l'arbre Gliricidia sepium produisait beaucoup moins de matière sèche et d'azote par ses feuilles que les arbustes Cajanus cajan et Tephrosia candide (Wilson et Kang, 1980). Le faible rendement de G. sepium résulte de sa tendance à être décidu; en effet, il perd ses feuilles vers la fin de la saison sèche.

On trouve de nombreux rapports sur l'efficacité de la jachère herbacée sous les tropiques (Webster et Wilson, 1966), mais en revanche il existe très peu d'information scientifique sur l'emploi de la jachère forestière. Jaiyebo et Moore (1964) ont démontré qu'une jachère arbustive est plus efficace qu'une culture de légumineuses ou de graminées de couverture pour recycler les éléments nutritifs et accroître la teneur du sol en matière organique.

Guevarra (1976) examine la possibilité d'associer une plantation de L. Ieucocephala avec une culture de mars, et conclut que l'on peut obtenir des rendements satisfaisants en maïs en utilisant des émondes de L. Ieucocephala comme engrais. Deux des auteurs du présent mémoire (Wilson et Kang, 1980) ont développé l'idée de « culture en allées », dans laquelle les cultures vivrières, généralement céréales et légumineuses, sont installées dans des allées étroites formées par les espèces de jachère (généralement légumineuses arbustives ou arborescentes). Au cours de la période de culture, la végétation de la jachère est limitée par un émondage pratiqué à intervalles réguliers. Ce système peut être considéré comme une jachère forestière améliorée, dans laquelle la jachère est constituée par des espèces choisies et disposées de façon à faciliter le semis et l'entretien des cultures, notamment avec des machines. Les rendements en mais n'ont pas été aussi élevés qu'avec un apport d'engrais minéraux, mais en revanche les résultats obtenus montrent que l'on peut obtenir des rendements soutenus avec cette culture en allées, qui apparaît comme un système de culture relativement stable.

La culture en allées maïs - Leucaena à l'IITA a jusqu'ici démontré son efficacité sur les alfisols. Sur les ultisols acides, sur lesquels Leucaena ne pousse pas bien, on essaie actuellement d'autres espèces de jachère pour les introduire dans le système de culture en allées.

Bien que la culture en allées apparaisse comme praticable, on craint que les agriculteurs, habitués à avoir un terrain défriché, aient du mal à accepter des arbres dans leurs champs. En outre la mise au point d'équipements pour la mécanisation des opérations liées à la culture en allées pourra prendre un certain temps. Pour surmonter ces problèmes, l'llTA étudie le développement d'une nouvelle forme d'aménagement de la jachère, dans laquelle on planterait les espèces de jachère sur un terrain impropre aux cultures labourées. Les feuilles et branchages seraient récoltés à intervalles réguliers et transportés sur les terres de culture, pour y être utilisés comme paillis et comme engrais.

On peut aussi concevoir d'installer des arbres forestiers parmi les cultures vivrières et de continuer à cultiver les interbandes entre les arbres jusqu'à ce que ceux-ci ferment leur couvert, ce que l'on peut considérer comme une forme de culture en allées dans laquelle la suppression des arbres n'intervient qu'à intervalles de cinq ans ou dix ans, par exemple, et dans laquelle on ne pratique pas d'élagage régulier pendant la période de culture.

Avec la méthode de défrichement de la jachère forestière par cisaille de débroussaillement, et des techniques de culture avec travail minimal du sol, il est maintenant possible de récupérer une terre sous jachère boisée et d'installer certaines cultures sans remuer le sol. Avec ces innovations, les arbres dans la rotation ne sauraient plus être considérés comme une entrave sérieuse à la mécanisation et à une production agricole à grande échelle dans les tropiques humides.


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