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L'arboriculture en zone tropicale humide: Évolution récente

G. A. Watson
Consultant CRDI, Sussex, Angleterre

Résumé

Les systèmes basés sur l'arboriculture sont dans une phase de développement intensif dans les régions tropicales humides. Au Sri Lanka, au Nigeria et en Amérique latine, on se préoccupe de l'amélioration des cultures arborescentes vivrières traditionnelles. Dans les grandes plantations d'hévéas et de palmiers à huile la monoculture est toujours la règle, mais dans le secteur de la petite paysannerie on porte un intérêt croissant aux cultures vivrières intercalaires. Dans le cas du cocotier, l'introduction d'hybrides à haut rendement, associée au développement de systèmes de cultures multiples, amène à réviser fortement en hausse les potentialités de cette culture. Les études sur la taungya ont confirmé l'intérêt des cultures vivrières dans les jeunes peuplements forestiers.

Jusqu'ici la recherche s'est concentrée sur les cultures commerciales, et de nombreuses leçons en ont été tirées qui pourraient s'appliquer au développement futur de l'agroforesterie.

Introduction

Aiguillonnés par les pressions sociales, démographiques et économiques croissantes, les systèmes d'arboriculture dans les tropiques humides sont à un stade de développement très actif. Dans le secteur des cultures commerciales, les plantations d'hévéa, de palmier à huile, de cocotier et de cacaoyer s'étendent, on fait davantage appel à du matériel à haut rendement, à des méthodes de gestion plus productives, et à des cycles de régénération plus courts, cependant que l'intérêt s'accroît pour les cultures intercalaires. Dans le secteur de la polyculture traditionnelle, on s'efforce de réaliser des combinaisons de cultures plus productives, et l'amélioration et la culture des arbres producteurs d'aliments sont encouragées. Jusqu'à présent, la plus grande partie des recherches poussées sur les cultures arborescentes s'est concentrée sur les produits commerciaux, et on en a tiré de nombreuses leçons pouvant trouver une application dans les productions ligneuses et alimentaires.

Systèmes d'arboriculture traditionnels

Le système agricole traditionnel typique, dans les tropiques humides, comporte sur de petites parcelles n'excédant pas quelques hectares un mélange d'arbres en association avec toute une gamme de cultures pérennes et annuelles, fournissant ensemble au petit paysan nourriture et revenu en argent. En Indonésie on trouve la ferme familiale avec des cultures en plusieurs étages: un étage supérieur de cocotiers, un étage intermédiaire de girollier, agrumes, cannelier, jaquier, bananier et poivrier, et un étage bas de gingembre, arachide, mais, patchouli, courges, et autres. Dans la ferme mixte d'Afrique occidentale, l'élément arborescent comprend palmier à huile, cocotier, colatier, agrumes, arbres fruitiers et cacaoyer, sur un sous-étage de manioc, banane plantain, igname, arachide et légumes (Lagemann et al., 1975).

Le système d'arboriculture le plus intensif se trouve sans doute dans les jardins de Kandy, au Sri Lanka. Ce sont de petites fermes basées sur une association étroite de cocotier, kitul, aréquier avec giroflier, cannelier, muscadier, agrumes, manguier, durion, jaquier, ramboutan, arbre à pain, avec un étage plus bas de bananier et poivrier, et à la périphérie un étage bas de mais, manioc, haricots, ananas, et autres, souvent complétés par une rizière située audehors (McConnell et Dharmapala, 1978).

Ces jardins fournissent au paysan un mélange de produits alimentaires et commerciaux qui lui assurent un degré élevé d'autosuffisance. Les récoltes, et les revenus qu'il en tire, s'étalent tout au long de l'année et assurent une stabilité plus grande que ne le pourraient une ou deux cultures annuelles. En outre, le mélange d'arbres assure une protection quasi-totale du sol, maintient le cycle des éléments nutritifs, et élimine la nécessité de culture du sol liée aux cultures vivrières annuelles.

Au Sri Lanka, un important programme est en cours pour développer de tels jardins dans les plantations de théiers négligées et abandonnées, sur des terrains sensibles à l'érosion (Projet de diversification des cultures arbustives de la Banque mondiale, Théier 1). Les vieux plants de théiers sont sévèrement rabattus, et ensuite on creuse des trous de plantation qui recevront un mélange de cocotiers, girofliers, muscadiers, durion, ramboutan, avocatiers, arbres à pain, manguiers, jaquiers, caféiers et poivriers. Des lopins familiaux sont établis en même temps pour la production de légumes et l'entretien d'une vache laitière. Là où c'est possible, on utilise des variétés améliorées des diverses espèces cultivées, et en définitive la productivité de ces plantations devrait être élevée en comparaison des jardins traditionnels où une partie seulement de ces espèces fournit une production appréciable.

Arbres producteurs d'aliments

Les tropiques humides renferment des centaines d'espèces arborescentes qui pourraient devenir une source importante d'aliments, et qui fournissent traditionnellement aux populations indigènes des féculents, des sucres, des protéines, des huiles, des sels, des vitamines. Dans certaines régions, un nombre limité d'espèces fruitières a fait l'objet d'une sélection et d'une propagation en vue d'une production organisée, mais les potentialités d'autres espèces comme source d'aliments de base ont été le plus souvent ignorées. Avec la pression démographique croissante, cependant, et les limitations que l'on entrevoit à l'extension de cultures telles que le mars et le riz, on prête maintenant plus d'attention à ces espèces.

Un travail particulièrement remarquable a été accompli à cet égard au Nigeria, où Okafor (1977) a mis au point des techniques de propagation par voie végétative pour Irvingia gabonensis (manguier d'Afrique), Treculia africana (arbre à pain d'Afrique), Pentaclethra macrophylla (haricot à huile), et Chrysophytlum albidum (pomme-étoile). Des greffes des deux premières espèces ont produit des fruits viables en trois ans et demi et quatre ans respectivement. La population locale a bien accueilli ces fruits (voir dans le présent volume, p. 115, l'exposé d'Okafor).

Une action analogue est entreprise au Brésil, avec la noix du Brésil (Bertholletia excelsa), le guarana (Paullinia cupana) et le palmier pupunha (Bactris gasipaes), qui sont introduits dans des programmes d'amélioration et font l'objet d'essais dans des systèmes de cultures mixtes (Watson, 1980). En Amérique latine le palmier pupunha ou pejibaye pourrait jouer un rôle particulièrement important. Il est indigène dans toute la zone tropicale humide d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud, et fournit traditionnellement un aliment de base pour les Amérindiens. ll en existe une large gamme de génotypes, avec des teneurs variées en amidon, protéines et huile. Les cœurs de palmier ou palmitos sont fournis par les jeunes rejets de pied, et le bois est apprécié pour les parquets et pour la confection de cannes, cannes à pêche, etc. ll en existe environ 300 ha de jeunes plantations au Costa Rica, et il est prévu de les porter à 1 000-2 000 ha pour la production de palmitos en vue de l'exportation. Des recherches sur la propagation et la sélection du pupunha sont en cours tant au Brésil (Arkcoll, 1979) qu'au Costa Rica (Urpi, 1979), et l'on a enregistré des fructifications précoces à l'âge de deux ans. La production annuelle de fruits a atteint dans certains cas 35 t/ha, et si elle pouvait être maintenue à ce niveau dans des plantations à grande échelle ce palmier pourrait devenir une importante culture vivrière de base pour les tropiques. ll offrirait alors, de même que tous les arbres producteurs d'aliments, des avantages majeurs par rapport aux cultures vivrières annuelles. On peut le semer directement sur une terre non travaillée, et maintenir une production continue pendant de nombreuses années sans aucune culture du sol, éliminant ainsi l'un des principaux facteurs limitatifs auxquels se heurte le petit agriculteur sous les tropiques.

TABLEAU 1. Prévisions de revenu total à l'hectare d'une association typique de cultures avec l'hévéa à Ouro Preto (Brésil) (en cruzeiros*). L'association comprend: hévéa avec caféier et rotations riz-haricots, maïs-haricots au cours des première, deuxième, troisième et quatrième années suivant la plantation.

   

Année

1 2 3 4
Sacs/ha Café - 15 35 25
(Cr/ha)     (30 000) (75 000) (50 000)
Sacs/ha Riz 30 - 15 -
(Cr/ha)   (15 000)   (7 500)  
Sacs/ha Haricots 6 4,5 3 2
(Cr/ha)   (24000) (18000) (12000) (8000)
Sacs/ha Maïs - 25 - 10
(Cr/ha)     (17 500) - (7 000)
Total Cr/ha   39 000 65 500 94 500 65 000

* Taux de change NU en juillet 1979 1 $US = 26 Cr; en juillet 1981 : 1 $US = 87 Cr

Plantations commerciales

Avec les plantations commerciales, on se heurte tant dans le secteur public que dans le secteur privé à de sévères contraintes. Dans de nombreuses régions il y a pénurie de main-d'œuvre pour les travaux de plantation. Les coûts de main-d'œuvre, de préparation du terrain, de plantation, augmentent, tandis que les prix doivent rester alignés sur ceux des produits concurrents. Les contraintes financières croissantes et les fluctuations du marché doivent être compensées par une grande souplesse et un raffinement poussé des pratiques culturates. Pour améliorer la productivité, les agriculteurs doivent accroître leurs investissements, et accepter les difficultés techniques et administratives accrues qui en résulteront. ll est probable que l'on rencontrera une situation analogue dans le développement des projets d'agroforesterie.

Hévéa

Dans le cas de l'hévéa, la recherche d'une productivité accrue se fait principalement par un raccourcissement du temps qui s'écoule avant que l'arbre puisse être saigné. On y parvient par l'utilisation de plants plus âgés, la culture de légumineuses de couverture. et des apports d'engrais basés sur une évaluation des besoins du sol en éléments nutritifs. On recourt également à des variétés à haut rendement, à des composés chimiques qui stimulent la sécrétion de latex, et on applique des rythmes de replantation plus rapides qui permettent de tirer profit des matériels de reproduction améliorés au fur et à mesure qu'ils deviennent disponibles (Lim et al., 1973; Abraham, 1978; Mobamed Nor, 1980).

Les cultures vivrières intercalaires sont possibles dans les premières années d'une jeune plantation d'hévéas, mais ne sont pas appréciées dans les plantations à grande échelle en raison des problèmes de gestion. Dans ce cas, l'approvisionnement local en denrées alimentaires se fait à partir de zones réservées à cet effet: lopins familiaux, ravins et terres en friche, ou rizières s'intercalant dans les zones d'hévéas mais ne convenant pas aux plantations arborescentes.

Dans le secteur de la petite exploitation, en revanche, les cultures intercalaires sont une pratique traditionnelle, avec ananas, bananier, courges, et autres cultures de rente, et maïs et riz de montagne comme cultures de subsistance. On dispose de données pour l'Afrique occidentale (Mellis, 1978), la Malaisie (Wan et Chee, 1976; anon., 1973) et la Thaïlande (Templeton, 1974; de Vries, 1974; Speirs, 1974; anon., 1974), mais les informations les plus détaillées sont sans doute celles de Reed et Sumana (1976) pour l'Indonésie. Ces auteurs rapportent les résultats d'une enquête effectuée sur 100 exploitations dans un projet de développement organisé du petit paysannat (NSSDP), et sur 20 agriculteurs indépendants d'un village voisin, Babussalam. Toutes les exploitations du projet NSSDP avaient 1 ha d'hévéas plantés à la densité de 500 arbres/ha, avec des cultures intercalaires pendant la saison des pluies, et seulement sur une portion de la surface pendant la saison sèche.

Les rendements du riz de saison des pluies et du riz associé au mais étaient satisfaisants, mais on constatait une variation importante entre les exploitations. Le rendement moyen en maïs dans 45 parcelles du projet n'était que de 462 kg par hectare d'hévéas, alors que des rendements de 1,5-2 tonnes auraient normalement été possibles. Le rendement moyen en haricot doré (Phaseolus aurea) était de 261 kg/ha dans les parcelles du projet et seulement 114 kg/ha à Babussalam; on aurait pu obtenir 400-600 kg/ha. Reed et Sumana ont calculé que pour rentrer dans leurs frais les agriculteurs devraient obtenir des rendements en mais de 942 kg/ha, en latex de 1 077 kg par hectare de culture intercalaire, et pour le haricot doré 449 kg par hectare d'hévéas à Babussalam, 342 kg dans le projet NSSDP. De tels rendements devraient pouvoir être atteints si les agriculteurs utilisaient des semences de bonne qualité et des doses suffisantes d'engrais.

Dans le projet de développement de la petite agriculture d'Aek Nebara à Sumatra, on a montré qu'avec une assistance consistant en un travail mécanique du sol entre les rangs d'hévéas la culture intercalaire de riz peut être réalisée avec succès à grande échelle. Dans ce projet, au cours des années 1974-1977, la superficie d'hévéas avec culture intercalaire de riz chaque année est passée de 447 à 8 133 ha, pour une production totale de 25 555 tonnes, le rendement moyen des dernières années étant d'environ 1 500 kg/ha (Matondang et Rangtuki, 1978). Ce projet luimême, toutefois, n'était pas exempt de problèmes; après les cultures de riz, les paysans délaissaient la zone pour faire leurs cultures vivrières ailleurs, et une invasion massive de lalang (Imperata cylindrica) menacant le peuplement d' hévéas obligeait à recourir largement aux herbicides.

Cet incident met en lumière un problème qui risque de se poser avec les cultures intercalaires dans les plantations d'hévéas et autres cultures arborescentes de longue durée: la culture principale est négligée en faveur des cultures vivrières. Dans des projets de développement en Côte d'lvoire, par exemple, on applique une politique de monoculture de l'hévéa avec des légumineuses rampantes comme plantes de couverture. Cependant les agriculteurs non familiarisés avec l'hévéa ont insisté pour faire des cultures intercalaires de tomates, aubergines, mais, et même canne à sucre. Le sol est sableux et infertile, et le résultat sera que la croissance des hévéas sera moins bonne que prévue, la récolte de latex sera retardée, et la viabilité d'ensemble du projet en sera affectée.

Au Brésil, un grand projet de nouvelles plantations d'hévéas est en cours d'exécution, mais la plupart des agriculteurs ne sont pas familiarisés avec cette culture, et expérimentent des systèmes dérivés des cultures traditionnelles. A Belem, par exemple, où le poivrier constitue traditionnellement une monoculture, les plantations ont subi de graves attaques de Fusarium, de Phytophtora et de nématodes. Afin de maintenir la production, on a fait des essais de cultures associées de poivrier et hévéa; on a constaté une moindre incidence des maladies, mais les potentialités économiques de cette association restent à évaluer (Viegas et a/, 1980).

En réalisant des projets de colonisation des jungles du nord-ouest du Brésil, les agriculteurs, afin de se procurer un revenu précoce et un complément aux subventions officielles, font dans les plantations d'hévéa des cultures intercalaires de riz de montagne, mais, haricots et ananas, ainsi que de caféier. Des essais systématiques sont en cours avec des caféiers en association avec les hévéas à différents espacements, et ils semblent assez prometteurs. Mais, dans les champs des agriculteurs, la concurrence entre la culture annuelle, le caféier et l'hévéa, alliée à l'absence d'engrais et au manque de compétence des intéressés, laisse penser que tous les avantages à court terme que l'on pourra obtenir auront peu de chances de compenser la diminution de rendement à long terme des hévéas.

Une pratique courante, dans les projets de colonisation, consiste à cultiver du riz en rotation avec du mais et des haricots, entre les caféiers et les hévéas. Le revenu tiré de cette association de cultures au cours des quatre années suivant la plantation des hévéas a récemment été estimée à 264 000 cruzeiros par hectare (= environ 7 000 $US) (tableau 1). Ce revenu sera cependant sans doute conditionné par un effort de coopération entre plusieurs exploitations, en raison du manque de main-d'œuvre dans la région. En outre, l'observation visuelle des plantations d'hévéas de la région indique qu'il faudra sans doute au moins huit ou neuf ans avant que la saignée puisse commencer, ce qui laisse de sérieux doutes sur la viabilité des cultures mixtes dans les conditions locales.

Palmier à huile

La grande majorité des plantations de palmier à huile sont des monocultures, à rendements élevés grâce à des variétés très productives, une pollinisation assistée. et des apports massifs d'engrais. En Afrique occidentale le palmier à huile est un élément important des exploitations mixtes, et il faudrait l'introduire dans tout développement de cultures associées dans cette région. On a montré que sur les bons sols les cultures vivrières intercalaires dans les plantations de palmier à huile sont parfaitement possibles, et peuvent même être avantageuses. Sparnaaij (1957) indique que, dans un essai important, des cultures intercalaires avec un mélange d'igname, mais et manioc, poursuivies aussi longtemps que possible et suivies de taro lorsque le couvert des palmiers se développe, ont donné un net accroissement de rendement en fruits des palmiers en même temps qu'une production appréciable des cultures vivrières. Les cultures intercalaires ont stimumé la croissance des palmiers dans les premières années après la plantation, et ensuite procuré une augmentation du rendement en noix de palme pendant douze années de récolte.

Le niveau de fertilité des sols impose toutefois certaines limitations aux possibilités de cultures intercalaires dans les palmiers à huile. Dans un essai réalisé à Nkwele, dans l'est du Nigeria, sur un sol dégradé, un des traitements comportait une culture intercalaire continue d'igname et de taro, avec application de déchets ménagers et autres matières fertilisantes aux première, cinquième et septième années suivant la plantation. Au cours des trois premières années de production les parcelles avec culture intercalaire continue produisirent deux fois plus que les parcelles témoins, mais cet effet ne dura pas. Alors que le rendement des parcelles témoins continuait de s'accroître lentement, celui des parcelles avec culture intercalaire diminua.

Il semblerait que les réserves limitées d'éléments nutritifs contenues dans le sol et dans la végétation originelle, libérées par le défrichement et le travail du sol, aient été rapidement épuisées. Il en est résulté un abaissement de la fertilité du sol tel que les palmiers avec culture intercalaire, malgré une hauteur et un développement supérieurs à ceux des palmiers témoins, ne purent maintenir leur niveau de production.

La conclusion à tirer de ces essais est que la culture intercalaire dans les palmiers à huile est parfaitement possible sur les bons sols - et ainsi est en accord avec les traditions locales - mais que sur des sols pauvres il y a un risque évident d'épuisement des réserves nutritives, et finalement une baisse de rendement des palmiers.

Cocotier

Traditionnellement culture de subsistance à faibles investissements, le cocotier entre actuellement dans une phase de développement actif. La productivité des vieilles cocoteraies est augmentée par l'introduction de cultures intercalaires, et de nouveaux hybrides issus de croisements entre les variétés asiatiques naines et certaines variétés hautes d'Afrique occidentale et d'Asie permettent d'espérer que la rentabilité du cocotier pourra être portée au niveau de celle du palmier à huile.

Le cocotier se prête particulièrement bien à la culture intercalaire pour le petit agriculteur. Dans les premières années suivant la plantation, et ensuite vers l'âge de huit à douze ans lorsque l'ombrage s'éclaircit avec la croissance en hauteur, les cocotiers n'utilisent pas pleinement les ressources disponibles en sol, eau et lumière. En conséquence la culture intercalaire est traditionnellement pratiquée dans certaines régions d'Indonésie, de Malaisie, de Sri Lanka et de l'Inde; des études systématiques de combinaisons de cultures ont été réalisées en Inde (Nair et al., 1975).

Les cultures essayées comprenaient des plantes à tubercules et à rhizomes, le riz de montagne, les courges, le bananier et les ananas. Les plus prometteuses étaient les plantes à rhizomes, tandis que les légumineuses à graines ne donnaient pas de bons résultats, sans doute en raison d'une pénétration insuffisante de la lumière. Parmi les cultures pérennes le cacaoyer, le cannelier, Ie muscadier, le giroflier et le poivrier poussaient bien, Ie cacaoyer se montrant le plus prometteur.

L'association favorable entre cacaoyer et cocotier a été signalée par ailleurs, et elle résulte probablement de l'élimination des mauvaises herbes et de l'amélioration des conditions de nutrition dues à l'introduction du cacaoyer. En Malaisie l'association cacaoyer-cocotier est considérée comme la plus profitable de toutes les combinaisons de cultures (Yaacob Tunku Mansur et Saint-Clair-George, 1979), et elle est rapidement adoptée tant par le secteur étatique que par les petits agriculteurs.

Les cultures intercalaires dans les cocoteraies présenteront certaines des limitations rencontrées avec le palmier à huile, mais le cocotier est plus plastique que ce dernier, et a une aire de culture beaucoup plus étendue. C'est ainsi qu'il pousse souvent sur des sols de sables littoraux où aucune autre culture rentable ne pourrait être pratiquée. Dans ces conditions l'anacardier, la passiflore, Ie jaquier, le goyavier peuvent fournir des cultures de sousétage appropriées (Denamany et al., 1978), et on peut entretenir des bovins et des moutons sur le gazon clairsemé qui se développe. Avec l'amélioration des conditions de sol et d'humidité, la culture peut être intensifiée jusqu'à atteindre une productivité maximale, comme avec les associations cacaoyer-cocotier de Malaisie, généralement situées sur des alluvions marines argileuses fertiles.

Le cocotier est particulièrement intéressant pour l'agroforesterie du fait qu'il fournit traditionnellement des fibres, des palmes et du bois qui sont la base d'un artisanat local varié. Aux Philippines un vaste programme de replantation de cocotiers a stimulé la mise au point et la fabrication de scies susceptibles de débiter de grandes quantités de bois de cocotier, qui en raison de sa dureté était jusqu'à présent perdu. L'intensification de la production de caoutchouc en Malaisie a de même amené à utiliser le bois d'hévéa pour la fabrication de charbon de bois, la construction, et la confection d'articles ménagers ou décoratifs,

Cacaoyer et caféier

La production de café s'est dans l'ensemble stabilisée, en raison des craintes de surproduction, et les seules innovations techniques dignes de mention sont la création d'hybrides « arabusta » et de variétés résistantes à la rouille en Amérique latine. Pour le cacaoyer, on recherche des rendements élevés grâce à l'utilisation de semences hybrides sélectionnées et au développement préalable de matériel clonal à haut rendement. Caféier et cacaoyer sont souvent cultivés avec des arbres d'ombragé, leur rendement étant largement conditionné par la lumière incidente. Un travail particulièrement intéressant a été effectué au Costa Rica, où l'on a étudié les pratiques traditionnelles de culture du cacaoyer. et surtout du caféier, en association avec une légumineuse arborescente, le « poro » (Erythrina poeppigiana). comme arbre d'ombragé fournissant en même temps du paillis, ainsi qu'avec le freijo (Cordia alliodora), essence à bois d'œuvre qui se régénère naturellement. Les caféiers caturra et autres variétés basses sont normalement plantés à raison de 7 000-8 000 plants/ha, les variétés hautes à 3 0004 000 plants/ha. Le poro est planté à environ 200 arbres/ha, tandis que les pieds de freijo spontanés se trouvent à une densité allant jusqu'à 300 arbres/ha. Cette combinaison s'avère extrêmement favorable; le poro est émondé chaque année, et les branches et le feuillage coupés restituent au sol jusqu'à 80 kg d'azote à l'hectare à chaque taille (Molleapaza, 1979). Le freijo est un arbre à croissance rapide qui s'élague naturellement; le fût est rectiligne, avec une cime étroite et ouverte. Il n'a pas une ombre épaisse, mais par ses racines il concurrence les caféiers. Il fournit un bon bois, et étant donné que les forêts naturelles se trouvent maintenant éloignées des zones de culture de cacaoyer et de caféier, le prix des bois est élevé, de sorte qu'un peuplement moyen de freijo a une production annuelle dont la valeur est estimée à 644 $US/ha (Combe et Gewald, 1979). Les arbres sont généralement abattus par petites quantités au fur et à mesure des besoins de l'agriculteur, soit pour la vente soit pour le bois de construction.

Comme autres essences d'arbres se rencontrant souvent dans les caféières d'Amérique centrale, poussant parfois en pieux de clôture vivants, le long des berges de ravins abruptes ou en haies, et utilisées pour la construction ou comme bois de chauffage, on trouve Alnus acaminata, espèce fixatrice d'azote, également plantée dans les pâturages montagnards, Inga spp., Iéqumineuses fournissant de l'ombre et du bois de chauffage, Erythrina berteroana, E. costaricensis et Gliricidia sepium, tous trois utilisés comme pieux de clôture vivants et fixateurs d'azote. Le freijo (Cordia alliodora) et le cedro (Cedrela odorata) se rencontrent souvent dans les plantations de caféier et de cacaoyer où ils sont entretenus; tous deux fournissent un bois très estimé. Le palmier pejibaye (Bactris ou Guilielma gasipaes) est également conservé pour la production d'aliments et l'ombrage. Des recherches sont actuellement menées par le CATIE au Costa Rica sur toutes ces associations, afin de déterminer les interactions entre espèces et pouvoir ainsi définir les combinaisons optimales.

Culture taungya

Le système de reboisement par taungya est pratiqué dans de nombreuses régions tropicales humides, notamment en Extrême-Orient pour les plantations de teck et en Afrique occidentale avec Gmelina Arborea. Mis à part le fait que ce système est plus extensif, il a de nombreuses similitudes avec les systèmes de culture intercalaire dans les plantations d'hévéa, palmier à huile ou cocotier, les ouvriers introduisant des cultures vivrières annuelles entre les rangs de plantation et contribuant à éliminer les mauvaises herbes.

Ball (1977) décrit en détail le système en usage au Nigeria, et estime que, tandis que la plantation directe sans cultures vivrières coûte au Service forestier 525 N/ha (1 naira = 1,80 $US), avec la taungya traditionnelle, lorsque les cultures vivrières sont faites par l'agriculteur et lui appartiennent, ce coût peut se réduire à 212,5 N/ha Si le Service forestier conserve la récolte et paie simplement aux cultivateurs leur travail, il n'est plus que de 117 N/ha (voir l'exposé plus récent de Ball et Umeh dans le présent volume, p. 81).

Au Costa Rica, les chercheurs du CATIE étudient les systèmes de taungya depuis 1962; ils concluent que la production d'une culture vivrière pratiquée pendant une ou deux années suivant la plantation peut compenser pour une large part le coût du reboisement, notamment si l'on n'utilise pas d'engrais et que l'on fait des cultures annuelles de valeur élevée, telles que mais et haricots (Combe et Gewald, 1979).

Dans une étude de recherche appliquée au Surinam, Vega (1979) constate également que les cultures vivrières pratiquées dans les premières années suivant la plantation ont un intérêt réel, mais il fait une distinction entre les périmètres où les agriculteurs ont la propriété de la récolte et ceux dépendant d'un service d'État où ils interviennent simplement comme ouvriers salariés. Il conclut, en accord avec Ball, que cette dernière formule est économiquement la plus satisfaisante pour l'État.

On constate une analogie intéressante avec le secteur des cultures industrielles en Malaisie, où l'Administration fédérale de remembrement des terres et de restauration des sols conduit des projets de mise en valeur agricole. On a constaté que dans les zones périphériques à infrastructure relativement faible, il faut allouer à chaque colon 4 hectares d'hèvéa pour assurer un niveau de revenu satisfaisant. Cette surface est toutefois trop grande pour pouvoir être entretenue convenablement par la maind'œuvre familiale, au moins durant la phase d'installation, et il est par conséquent recommandé d'adopter pour les plantations d'hévéa une formule de métayage, les familles recevant une rémunération pour leur travail plutôt qu'un droit de propriété (Ti, 1977; Mustapha Juman et Gan Teng, 1980). On pourrait concevoir un système analogue pour d'autres zones écartées de plantations arboricoles comme on en rencontre dans de nombreux pays.

L'agroforesterie et son développement

Dans toute la gamme de systèmes culturaux des tropiques humides, allant de la culture itinérante primitive aux plantations industrielles intensives, la taungya traditionnelle représente sans doute le premier pas vers une agriculture rationnelle, et l'agroforesterie son stade d'évolution le plus avancé et le plus intensif. Avec l'intensification, les dépenses aussi bien que la production augmenteront, et l'on peut s'attendre à voir s'accroître en proportion les problèmes agronomiques et les difficultés de gestion. Il est intéressant à cet égard de considérer l'expérience acquise dans le secteur des cultures industrielles.

Tout d'abord, l'organisme de gestion ne peut s'occuper avec compétence que d'un petit nombre de cultures principales. La fourniture de matériel à haut rendement, la mise au point des techniques de pépinière, l'entretien des plantations, les plans de récolte se trouveront simplifiés si l'on se concentre sur un petit nombre d'espèces.

Les soins apportés dans la phase d'installation, notamment en ce qui concerne le degré d'ombragé admissible, l'utilisation d'engrais, les désherbages, peuvent avoir un effet favorable durable sur la culture principale. La nécessité d'apports d'engrais suffisants pour répondre aux besoins de production et d'immobilisation par les cultures arborescentes est d'une importance capitale, notamment durant les années d'installation et sur les sols pauvres (Watson, 1964; Baule et Fricker, 1970; Ng 1977; Sanchez, 1979).

L'emploi de légumineuses de couverture durant les premières années après la plantation peut avoir un effet favorable marqué sur les conditions de sol et sur la croissance des arbres, tout en permettant une économie appréciable d'engrais azotés (Soong et Yap, 1976; Ng, 1977). La culture de légumineuses alimentaires à cycle court, par contre, ne saurait guère apporter les mêmes avantages car elle exige une fumure complète, y compris des engrais azotés, pour donner des rendements satisfaisants (Oelstigle et al., 1976).

Pour obtenir de bons rendements des cultures vivrières intercalaires, sans nuire aux arbres, il faut les maintenir suffisamment loin des jeunes arbres, utiliser des variétés améliorées, leur apporter des engrais aussi bien qu'à la culture principale; il peut également être nécessaire de lutter contre les parasites (anon., 1974; Templeton, 1974; Wan et Chee, 1976; Reed et Sumana, 1976). En outre, si les surfaces à planter en cultures intercalaires sont importantes, la culture mécanisée est indispensable pour assurer une bonne exécution des travaux de semis et de récolte, et lutter efficacement contre les mauvaises herbes.

Étant donné que lorsque le couvert des arbres se développe, l'ombrage interdit de continuer les cultures vivrières, il faut prendre les dispositions nécessaires pour éviter l'envahissement par les adventices. Le moyen le plus efficace et le moins coûteux pour s'en protéger consiste à favoriser une croissance vigoureuse des arbres par une bonne conduite de la culture et par l'apport d'engrais.

Dans le cas de renouvellement de plantations arboricoles, on peut maintenir la production grâce à un abattage échelonné, en introduisant les jeunes arbres de remplacement sous le couvert éclairci (Black et Hubbard, 1977).

De même que dans certains projets de plantations industrielles on a réservé des terrains pour les cultures vivrières, Ball (1977) prévoit, dans tout projet agroforestier, une affectation de surfaces permettant d'intensifier séparément la production des arbres, de l'élevage et des cultures vivrières. Les sols humides des fonds de vallée pourront être cultivés de manière permanente en riz et en légumes. Les pentes raides et les bassins versants devront être maintenus sous forêt naturelle, servant de source de produits traditionnels, y compris la viande de brousse. Les sols superficiels sur pentes modérées peuvent porter des plantations forestières à courte révolution, et les pentes douces à sols profonds seront cultivées mécaniquement, avec des jachères de courte durée. Les sols dérivés de dépôts sédimentaires en terrain plat conviennent pour la production forestière, avec de courtes périodes de cultures agricoles.

On peut voir qu'une telle évolution peut aboutir à l'établissement de systèmes culturaux relativement intensifs pour chaque unité de sol dans un périmètre donné. Egger (1978) prévoit le même type de mise en valeur à plus long terme mais en mettant l'accent sur les techniques de culture écologique, fondées pour une large part sur les arbres, avec seulement le minimum nécessaire de facteurs de production provenant de l'extérieur, tels que les engrais (voir l'exposé de Behmel et Neumann sur un sujet très voisin, dans le présent volume (p. 103).

Au Costa Rica et au Brésil, entre autres, on tente de comparer différents traitements culturaux dans des essais à petite échelle. Ces essais comportent diverses cultures arborescentes associées à un étage bas de cultures annuelles et pérennes ou de pâturage. Bien que susceptibles de donner des indications utiles sur l'effet de différents systèmes culturaux vis-à-vis des conditions de sol, leur application sera, par ailleurs, sans doute très limitée. Il est en effet extrêmement difficile de reproduire les conditions réelles de terrain sur de petites parcelles; l'effet de bordure est important, et les effets microclimatiques dus au vent et à l'insolation diffèrent de manière appréciable. Il est pratiquement impossible d'extrapoler les coûts du désherbage, de l'élevage, de la récolte, et autres opérations, de petites parcelles aux conditions de terrain; il n'y a pas d'interaction entre parcelles de pâturage et animaux, et ainsi de suite.

Ces essais demandent à être complétés par des études en vraie grandeur, axées sur la production, des systèmes les plus prometteurs, sur un certain nombre de stations, si l'on veut qu'ils soient utiles à l'agriculteur et au planificateur. Ces études n'exigent pas que l'on réapprenne toutes les données fondamentales des relations arbre-culture annuelle-sol. Beaucoup de ces données sont déjà connues, ou peuvent être déduites des études faites sur les cultures industrielles en cause. Les recherches sur le terrain doivent plutôt se concentrer sur le choix des associations les plus appropriées dans chaque cas, et ensuite sur les méthodes propres à maximiser la production à partir des ressources disponibles.


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