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Quelques problèmes relatifs à la gestion des terres arides en Haute-Volta

Sié Adolphe Kambou et O. D. Ouedraopo, CNRST, Ouagadougou

Si la notion d'aridité, comme celle de sécheresse et de Sahel, fait l'objet d'un accord tacite de tous quant aux caractéristiques (pluviométrie, bilan hydrique, etc.) générales des domaines auxquels elle est appliquée, I'unanimité est plus difficile quand il s'agit d'en définir les indices limitants. En d'autres termes, les limites géographiques des terres arides varient selon les préoccupations essentielles des uns et des autres. L'Unesco a tenté une clarification générale des types d'aridité'.

En Haute-Vdta, I'identification de limites géographiques bien précises de terres arides est encore plus difficile pour deux principales raisons. D'abord, ce pays, situé à l'intérieur de l'Afrique occidentale, est en partie dans le domaine sahélien au nord, en partie dans le domaine soudanien au sud. Aussi est-il particulièrement difficile de déterminer avec précisions la limite entre ces deux domaines climatiques; il en est de même pour les terres arides. Par ailleurs, certaines régions, comme le plateau Mossi à fort taux d'occupation du sol, montrent une nette tendance à la désertification, compte tenu des conditions de la pression démographique sur des terres très vuinérables.

Ainsi existerait-il en Haute-Volta une variété de conditions dans laquelle on peut reconnaître des terres relativement humides comportant des ;lots de terres arides dans la partie sud du pays et des terres arides comportant des secteurs humides en des sites privilégiés au nord du 12 parallèle. Cela étant, I'analyse qui suit tient essentiellement compte des principales formes de production, c'est-à-dire l'élevage et l'agriculture.

Dans l'extrême nord du pays 114°30') à la veille de la période coloniale, les terres étaient essentiellement gérées sous l'ordre politique et socio-économique des pasteurs-guerriers touareg de la province de l'Oudalan. L'exploitation des terres était le fait des imrad Ihommes libres) et des bella (esclaves) qui constituaient une forte clientéle placée sous l'autorité de l'aristocratie. En rapport avec les conditions écologiques, la production était basée essentiellement sur le pastoralisme nomade avec de grands mouvements articulés autour des points d'eau, des terres salées et des pâturages.

Entre 14°30' et 13°30', la pluviométrie étant relativement meilleure, les pasteurs peul, sous l'ordre desquels étaient exploitées les terres, effectuaient un élevage nomade, seminomade ou transhumant laissant à la charge de leurs rimaibé (esclaves) la culture du mil.

Enfin, entre 13°30' et 12°, soit grosso modo sur tout le plateau Mossi, les terres étaient cultivées en sorgho, mil, niébe, maïs, avec quelques tubercules Ipatates). Les secteurs particulièrement humides étaient sous-exploités en raison de la présence des simulies, vecteurs de l'onchocercose, et de la difficulté présentée par ces terres lourdes et marécageuses aux méthodes et techniques culturales. Quelques Peul infiltrés dans cette zone avaient àcharge la conduite des troupeaux des agriculteurs sur ces terres dont le système de gestion et d'appropriation reposait sur une organisation sociale minutieuse et hiérarchisée.

Toutes ces formes d'activités lélevage nomade, élevage transhumant et agriculture itinérante) étaient bien adaptées aux conditions écologiques dans la mesure où la population n'excédait pas une certaine charge et vivait dans une économie d'autosubsistance. Les crises épisadiques Iguerres, famines, épizooties), elles existaient quand même, trouvaient une certaine solution dans des mouvement migratoires, mouvements de masse de population en quête de nouvelles terres de culture et d'élevage.

Depuis la période coloniale, cependant, la situation écologique et socio-économique des terres arides se transformera. Dans les zones d'élevage, une certaine sédentarisation par l'établissement et la cristallisation des frontières politiques et administratives, la multiplication de points d'eau, I'accroissement des besoins, I'institution de l'impôt, I'amélioration des conditions sanitaires du cheptel ont réduit l'efficacité des stratégies locales d'adaptation à ce milieu fragile. Pendant ce temps, aucune action d'envergure n'a cependant été entreprise afin de permettre au milieu de répondre aux nouvelles sollicitations.

Si dans les zones agricoles du sud des actions ont été menées, la situation n'est pas pour autant meilleure. En effet, I'accroissement des besoins des populations en rapport avec les contraintes administratives et économiques (impôt, cultures de rentes, etc.) s'est traduit par: a) des défrichements excessifs liés à la satisfaction des besoins en bois de chauffe pour une population urbaine croissante et à la nécessité de dégager des terres de culture pour une population de plus en plus nombreuse; b) la réduction et la disparition de la jachère et l'extension inconsidérée des cultures sur des sols sensibles à l'érosion Iterres marginales, pentes fortes).
L'agriculture itinérante bloquée, les populations trouvent de nouvelles ressources par la migration de travail vers l'extérieur ICôte-d'lvoire principalement), mais, aussi, et de plus en plus, dans des migrations internes vers les régions relativement humides du pays (Ouest et Sud-Ouest).

Cette brève présentation de l'évolution de situation des terres arides en Haute-Volta permet de mieux comprendre le niveau d'analyse de la situation et d'apprécier les actions entreprises.

Au niveau des analyses, au moins deux séries de facteurs concourent à l'identification des terres arides: les facteurs édaphiques et les facteurs humains. Si les facteurs édaphiques sont assez bien connus parce que étudiés de façon plus systématique, les facteurs humains le sont moins.

En effet, la plupart des études en vue de la connaissance des terres arides procèdent par une collecte des données physiques et biophYsiques et, lorsqu'elles prennent en compte les facteurs humains, ceux-ci ne sont abordés que sous leurs aspects biologiques: effectifs des populations, répartition, impact de leurs activités sur le milieu biophysique dont l'équilibre « théorique » est préalablement défini. Ces études aboutissent «logiquement » alors à ces propositions dont le caractère malthusien ne fait aucun doute: mise en défens, délestage, capacité de charge, etc.

Dans le domaine de la préservation des ressources naturelles, diverses actions sont actuellement menées avec plus ou moins de bonheur: reboisements industriels coûteux et dont la protection, notamment contre les feux de brousse, n'est pas assurée, reboisements villageois auxquels la participation des villages n'est pas obtenue, constitution des réseaux anti-érosifs, fermeture de la chasse, etc.

Mais ces actions sont généralement peu intégrées aux opérations de développement entreprises ces dernières années en vue d'accroître notamment la production agricole (I'autosuffisance alimentaire est la priorité des plans de développement). Ces opérations (aménagements des vallées des Volta, aménagements de plaines rizicoles) qui s'intéressent surtout aux poches humides et vallées, bénéficiant d'un apport considérable de capitaux et de force de travail (migration «contrôlée»), privilégient i'accroissement de la production et réduisent à peu de chose les actions tendant à conserver le milieu. Par ailleurs, de nombreux barrages de retenue d'eau, coûteux et techniquement bien conçus, sont sous-exploités et posent de nombreux problèmes sanitaires et de dégradation de l'environnement parce qu'ils ne sont pas intégrés à un véritable plan d'aménagement.

En réalité les modèles d'aménagement et de gestion ainsi définis et appliqués n'atteignent généralement pas les objectifs escomptés, I'approche étant sectorielle et ne situant pas suffisamment les populations utilisatrices ou responsables dans leur contexte socio-économique. Ainsi l'échec de la lutte antiérosive dans le Yatenga (1961-1965) et de la politique des petits barrages.

Outre la question fondamentale de la prise en conscience des problèmes par les populations et de leur participation àl'effort de développement, il est évident qu'il ne suffit pas d'intervenir au niveau de la production agricole et pastorale, ni au niveau strict de la préservation du milieu écologique, mais d'entreprendre une action intégrée. L'objectif ultime est de parvenir à l'accroissement de la production agricole et pastorale et à l'amélioration des conditions de vie des populations tout en préservant, et si possible en améliorant, les potentialités du milieu écologique.

Quelques principes de gestion en milieu soudanien : l'action du service forestier en Gambie

Bye Mass Taal, directeur adjoint des forêts (Gambie)

Introduction

La Gambie est le plus humide des pays soudano-sahéliens réunis dans le cadre du Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel, puisque les précipitations moyennes annuelles varient entre 600 et 1 200 mm, sur une période de cinq mois (de juillet à octobre). Il s'agit donc d'un climat tropical sec de type soudanien. La végétation dominante est la savane. La région occidentale peut néanmoins être considérée comme savane boisée.

Comprenant le besoin immédiat de gérer correctement, de développer et de protéger la végétation naturelle de la Gambie, le gouvernement a créé, en 1977, le Département des forêts; c'est la seule agence responsable des forêts. Il existait auparavant une Division des forêts, dans le cadre du Ministère de l'agriculture.

Quels sont les principes et les actions entreprises par le Département des forêts ?

Principes pour la conservation et la production

Protéger la nature et la végétation naturelle; maintenir la stabilité des sols; améliorer et développer les ressources naturelles, terres, sols, eau et couverture du sol; mettre en œuvre les dispositions législatives voulues en matière d'aménagement du territoire pour maximiser les possibilités; encourager une utilisation multiple des sols; développer l'agrosylviculture pour accroître la production alimentaire, celle du bois de feu et de fourrage; faire connaître le concept de conservation en milieu rural; intégrer la gestion de l'eau et celle du sol; maximiser les avantages retirés du développement rural.

Quelles stratégies appliquer pour la réalisation des principes ci-dessus ? Elles doivent être réalistes, pragmatiques et attrayantes pour la population rurale. Celle-ci doit participer àleur formulation.

En Gambie, il existe, en milieu rural, diverses commissions: Commission de la conservation; Commission des feux de brousse; Commission des pepinières.

Chaque commission comprend, comme participants, le commissaire de district, le chef local, les conseillers de village, les anciens de village, les mouvements de jeunesse et les clubs

Programmes

Programme de reboisement

Ce programme est divisé en trois opérations.

Établissement des phonations. C'est le principal programme de reboisement lancé par le Département des forêts pour la période prévue de cinq ans. On envisage de planter 3000 hectares dans la région occidentale où les précipitations sont en moyenne de 1200 mm. Au cours des années récentes, on observe pourtant une baisse continue des précipitations.

Gmelina arborea est la principale espèce plantée, car c'est un arbre à croissance rapide bien adapté aux conditions propres à la Gambie. L'objectif initial était d'alimenter les scieries, de produire des pieux et du matériel de clôture. Étant donné que la crise énergétique frappe aussi les masses pauvres, il est impératif que la diversification des espèces soit assurée. Les espèces suivantes seront intégrées aux plantations: Cassia siamea, Eucalyptus camaldulensis, Leucaona leucocephala ( Hawaii), Azadirachta indica, Khaya senegalensis et Anacardium occidentale.

Semaine nationale des arbres. La deuxième semaine de juillet est la « Semaine nationale de l'arbre »; elle est lancée par le président de la république ou, en son absence, par le ministre de l'agriculture et des ressources naturelles. Pendant cette semaine, chaque citoyen est encouragé à planter un arbre. Les jeunes plants sont fournis par le Département des forêts et distribués par l'intermédiaire des chefs locaux, des organisations collectives, des anciens de village, etc. Des prix sont accordés, à diverses institutions, sur la base de la survie des plants et d'autres facteurs.

Les arbres sont plantés en alignement, le long des routes, sous forme de haies, dans les cours et dans les bantabas, qui sont les places de village où les habitants se réunissent pour discuter.

Azadirachla indica et Gmeiina arborea sont les principales espèces plantées. Du fait du petit nombre de pépinières en milieu rural, les jeunes plants sont transportés depuis la seule pépinière, située dans la région occidentale. Azadirachta, du fait de sa résistance, peut supporter de longues heures de transport et même attendre quelques jours avant d'être planté. Cependant, la création de quatre pépinières en milieu rural permettra la plantation d'autres espèces dans le cadre du sousprogramme.

Création de bois de village. Les bois de village jouent un rôle important puisqu'ils constituent une source de bois de feu aussi proche que possible des villages. La Gambie a lancé un programme de création de bois de village en 1980, en créant deux parcelles d'un hectare chacune. On prévoit d'en créer 50 au cours de la période du plan. Le facteur déterminant est la mobilisation des habitants des villages. A titre d'incitation, le Département des forêts fournit gratuitement de jeunes plants, des matériaux de clôture et le service de moniteurs. La main-d'œuvre est fournie par les habitants eux-mêmes, sur la base du tesito (autonomie). On envisage également d'y inclure des arbres fruitiers, à la demande des villages intéressés.

Programme de stabilisation des sols

Il s'agit d'un effort massif destiné à encourager les agriculteurs àplanter des arbres autour de leur exploitation.

La croissance rapide de la population (plus de 2,5 % par an), la quantité limitée de terres arables, I'extension des cultures aux sols marginaux, le surpâturage sont tous des éléments d'une situation qui semble s'aggraver, de sorte que le système de gestion des sols doit devenir plus productif. L'agrosylviculture peut aider à donner un dynamisme nouveau à ces zones tout en mettant un terme à la dégradation de l'environnement.

A l'heure actuelle, Gmelina arborea est planté conjointement avec l'arachide, et cela pour une période de deux ans. Un projet de recherches, déjà élaboré, comprendra, quand il sera financé, les tentatives de plantation d'arbres répondant à des objectifs multiples: bois de feu, bois d'œuvre, fourrage, ainsi que le mélange des arbres et des cultures fourragères. Par ces caractéristiques multiples, on espère pouvoir réussir à maintenir la couverture supérieure du sol, très précieuse.

Mesures pour intégrer la gestion du sol et celle de l'eau

Il y a peu de temps un nouveau Ministère des ressources hydriques et de l'environnement a été créé, comprenant la création de services de gestion du sol et des eaux. Le Département des forêts est désormais placé sous l'égide de ce nouveau ministère; il était auparavant au sein du Ministère de l'agriculture et de ressources naturelles.

Le Département des ressources hydriques explorera le potentiel de la nappe phréatique et des eaux de ruissellement, pour tout le pays, àdes fins d'irrigation. On admet désormais que les pays soudano-sahéliens ne peuvent continuer à faire dépendre leur agriculutre de l'eau de pluie. C'est pourquoi le gouvernement gambien s'emploie àdévelopper rapidement ses ressources en eau.

Dans la partie orientale du pays, où les précipitations sont moindres et où les points d'abreuvement du bétail s'assèchent à un rythme inquiétant, il est indispensable, pour la survie du bétail, de puiser dans la nappe phréatique. Dans cette optique, la plantation d'Acacia albida autour des points d'eau sera entreprise par le Département des forêts, en collaboration avec le Département de la santé animale et de l'élevage.

Utilisation multiple des sols pour mieux assurer leur exploitation

C'est un autre domaine que le gouvernement gambien examine avec soin. La diminution des précipitations, leur incertitude, leurs fluctuations, dans la zone, rendent non profitable la culture d'arachide. Le gouvernement gambien encourage ainsi des exploitants àabandonner progressivement cette culture pour des cultures précoces comme le millet, le mais et les autres céréales. Au cours des deux dernières années, la production d'arachide a ainsi baissé de 120000 à70000 tonnes du fait du manque de pluie. Bien que celle-ci soit une culture d'exportation permettant de précieuses entrées de devises, il importe de donner la priorité, désormais, à la sécurité alimentaire, et la Gambie n'hésite pas à aller dans ce senste feu Enfin, le principal ennemi de la végétation, dans les terres arides, est le feu.

La protection contre le feu bénéficie désormais d'une priorité dans l'ensemble de la gestion des ressources. Des commissions anti-incendie ont déjà été mises en place. Elles choisissent des jeunes de la région pour assurer leur formation, localement, à des techniques simples de lutte contre l'incendie, de comportement en cas d'incendie et d'utilisation d'équipements simples.

Tous les parcs forestiers sont bien délimités et des pare-feu sont mis en place.

Les habitants des villages sont tenus pour responsables de tous feux de brousse autour du village si le responsable ne peut être identifié. La Gambie apporte beaucoup de soin à éviter ces feux de brousse. Pendant la conférence des chefs de janvier 1980, le feu de brousse était ainsi le thème principal. Les chefs locaux connaissent le problème. Le Département des forêts diffuse très fréquemment des émissions sur les feux de brousse à la radio nationale. Des unités cinématographiques mobiles font le tour du pays pour familiariser les habitants des villages avec les effets possibles des feux de brousse. Ce type de programme donne des résultats encourageants.

En conclusion, la population rurale doit se poser les questions suivantes: La gestion des terres arides: pour qui, par qui, pourquoi ?

Si ces questions reçoivent une réponse appropriée, les programmes auront pris la bonne direction.

La politique d'aménagement dans la partie aride de la vallée du Niger au Mali, région de Gao

Mamadou Traore, directeur général de l'École normale supérieure, Bamako

La zone que nous proposons d'étudier' constitue la septième région administrative de la République du Mali, située dans le nord-est du pays. Elle se caractérise par une extrême pénurie de terres cultivables et la forte pression foncière qui en résulte. Les seules terres exploitables sont en effet celles situées dans le lit majeur actuel du Niger, totalement ou partiellement inondées selon l'importance de la crue.

Les données du milieu naturel

Régime pluviométrique. Parmi les données climatologiques, la plus contraignante est la faible pluviométrie. La saison des pluies est unique et courte: Gao reçoit en moyenne 270 mm d'eau par an de mai-juin à septembre-octobre, mais, en réalité, seuls les mois de juin à septembre comptent et les totaux mensuels sont extrêmement variables d'une année à l'autre. Des périodes séches de plusieurs semaines peuvent couper cette saison des pluies. Nous sommes dans la zone subdésertique du Mali.

La température est caractérisée par de fortes variations diurnes avec, au cours de l'année, deux périodes distinctes: une période fraîche de décembre à février suivie d'une période chaude le reste de l'année avec des vents desséchants (harmattan).

Régime hydrologique. Sur la rive droite du Niger, il n'existe pas d'affluent et sur la rive gauche les affluents sont des oueds aux apports trés faibles. Les apports sont donc uniquement ceux du fleuve avec sa crue annuelle qui commence au cours du mois de juillet, atteint son maximum en janvier-février et décroît jusqu'à l'étiage (mai-juin). Il peut y avoir cependant de grandes fluctuations annuelles dans le niveau atteint, ce qui entraîne des variations importantes dans les superficies cultivées.

Données pédologiques. La vallée présente un relief morcelé dans le détail, mais, au total, très homogène. On trouve les formes suivantes: a) formations alluviales (bancs de sable, terrasses, levées) normalement inondées en périodes de hautes eaux; b) lit mineur variable d'une rive à l'autre avec de nombreux bras défluents.

Les structures agraires

L'organisation sociale et familiale, la hiérarchisation qui prévaut dans la zone, les rapports existant entre les différents groupes socio-ethniques sont déterminés par la pression foncière particulièrement forte et c'est la pénurie des terres, principal moyen de production des populations, qui détermine à la fois les structures agraires et les rapports entre les différents groupes sociaux.

L'agriculture n'étant possible que dans les plaines, les terres peuvent être regroupées en trois catégories: a) les terres basses toujours inondées appelées gorou (en sonray); b) les terres moyennes généralement atteintes par la crue ou diarakaré; c) les terres hautes qui ne sont pas toujours atteintes par la crue ou barbandou.

La valeur des terres dépend de leur hauteur par rapport au lit mineur. Les champs les plus recherchés sont ceux situés sur les zones moyennes, car ils sont à l'abri des crues précoces et sont presque chaque année inondés: on y cultive le riz semiflottant. Les terres basses portent le riz flottant et les récoltes y sont souvent compromises par les crues précoces. Les terres hautes peuvent rester exondées ou trop peu inondées; elles portent le sorgho de décrue, le riz dressé, le petit mil et le haricot.

Le régime foncier. Ii s'applique dans un contexte de rareté de terres cultivables, celles qui sont atteintes par la crue. Traditionnellement il existe deux types d'appropriation:

La maîtrise familiale: elle se fonde sur le droit du premier occupant ou «droit de hâche» ou d'«antériorité» qui remonte souvent à la fondation du village; ces terres constituent les kagafari. Ce droit est transmissible par succession patrilinéaire et les terres sont en principe inaliénables. La maîtrise communautaire: les terres qui appartiennent col
lectivement à toute la communauté villageoise sont le Beit-el Mal, alimenté par les terres de ceux qui disparaissent sans héritiers. Ce régime foncier, on le voit, s'appuie sur une hiérarchie sociale stricte. La maîtrise familiale ne concerne que les familles fonda I'École normale supérieure de Bamako par l'lnstitut d'êconomie rurale. trices du village, c'est-à-dire les Sonray nobles ou les Arma dans notre zone d'étude. Lorsque ces terres ne sont pas directement exploitées par leurs propriétaires, elles sont soit données en fermage, soit prêtées à d'autres nobles. Quant àla maîtrise communautaire, seuls les nobles ont des droits sur le Beitel-Mal.

Il y a donc là une division nette de la société en deux classes bien distinctes: d'une part, les nobles, propriétaires terriens, d'autre part, les hommes libres et les captifs. Il faut s'attendre à ce que les changements socio-économiques, le mouvement de libération des esclaves et l'apparition d'une vie politique remettent en question le régime foncier traditionnel et multiplient les litiges.

Les modes de faire-valoir. On distingue trois grands modes de faire-valoir variables selon la nature du sol, son degré de sécurité, le statut de la parcelle et la position sociale du propriétaire.

L'exploitation directe. C'est le mode de faire-valoir le plus répandu. Tous les groupes sociaux le pratiquent aujourd'hui en raison de la pression foncière entraînée par la poussée démographique, de la multiplication des litiges entre propriétaires et métayers, enfin de la sécheresse des années 1972-1975. Une des conséquences de l'extension du faire-valoir direct a été le développement du salariat agricole payé en nature ou en monnaie.

Le prêt. Les grands possédants prêtent des parcelles àceux qui n'en ont pas ou en ont peu. Dans la plupart des cas, le prêt s'effectue entre parents, mais des étrangers peuvent également en bénéficier. En principe, le prêt ne comporte aucune contrepartie, mais l'emprunteur fait toujours «un geste» après les récoltes.

La location. Elle est assez fréquente. Ici le contrat porte sur la durée d'une campagne agricole, mais peut être renouvelé. Il reste que le contrat est toujours limité dans le temps, ce qui diminue les risques de voir l'exploitant essayer de s'approprier la parcelle en invoquant le droit d'usage.

Les activités de production

L'agriculture est de loin la principale activité de production, I'élevage occupe la deuxième place, suivi par les activités secondaires comme la pêche, la cueillette et l'artisanat.

Agriculture. La sécheresse a complètement inversé le rapport agriculture-élevage: le troupeau ayant été décimé à environ 80 %, tous les agriculteurs de la vallée reportent aujourd'hui leurs efforts principalement sur la riziculture de submersion et les céréales de décrue. La problème primordial des populations de la vallée est d'assurer leur équilibre vivrier étant donné que les ressources du troupeau (lait, viande) sont devenues très rares. Dès lors le problème de la maîtrise de l'eau se pose.

Maîtrise de l'eau. Les cultures étant de type pluvio-fluvial, la maîtrise plus ou moins partielle de l'eau est obtenue par un système traditionnel de digues et diguettes. Les digues sont construites sur les parties les plus basses des plaines et sont d'un intérêt collectif. Souvent, toutes les terres d'un village ou d'une plaine sont protégées par une seule digue maîtresse. A l'intérieur des terres endiguées par cette digue maîtresse, on trouve une multitude de diguettes enserrant les parcelles individuelles. Les digues sont construites en terre compacte, renforcée par de la paille. Des brèches y sont aménagées pour l'entrée de l'eau et aussi pour arrêter les poissons rizophages.

Techniques culturales. Les paysans, établis depuis fort longtemps dans la vallée, ont progressivement et empiriquement défini des modes de faire-valoir et les aménagements adaptés aux conditions locales. Tout le travail se fait avec la houe à long manche, le couteau, la faucille, un bâton taillé pour le repiquage; la pirogue est utilisée en hautes eaux pour le désherbage. La culture attelée reste totalement inconnue.

Deux systèmes culturaux sont pratiqués: a} les rizières en semis directs: le riz est semé au cours de la saison des pluies; le relais de l'alimentation hydrique est assuré par l'arrivée de la crue; le riz flottant croît en même temps que la montée de l'eau; le semis est effectué à la volée et les semences sont recouvertes immédiatement à la daba; la récolte se fait au fur et à mesure de la maturité des épis; b) les rizières avec repiquage: la pépinière est localisée près du champ à repiquer au bord d'un marigot; les plants sont repiqués sur la frange exondée et boueuse en suivant le retrait de l'eau.

Compte tenu des techniques culturales rudimentaires et des conditions pluviométriques, les rendements sont très faibles: de 800 kg à 1 tonne à l'hectare.

Élevage. Il est le principal moyen d'investissement pour les agriculteurs sédimentaires et il constitue aussi la principale source de revenus monétaires. Economiquement, c'est une activité complémentaire de l'agriculture; mais, malheureusement, le cheptel de la zone a été décimé par la sécheresse si bien qu'aujourd'hui l'élevage du petit bétail l'emporte de loin sur celui des bovins.

Activités secondaires. La pêche est le fait des pêcheurs professionnels saisonniers. La cueillette n'a pris de l'importance que pendant les années de disette. En revanche, I'artisanat, activité exclusivement féminine, est très florissant: tissage de nattes, de filets de pêche et de paniers.

Pour une stratégie de développement régional

Il est clair que les aménagements traditionnels sont adaptés aux conditions locales, mais ils laissent subsister l'aléa principal dû au délai qui sépare les premières pluies utilisables de l'arrivée de la crue. La culture du riz, et même du sorgho de décrue, reste donc aléatoire et les paysans font chaque année un pari risqué. En outre, I'absence d'opération de développement rural, I'éloignement considérable du reste du Mali, le mauvais état des communications font que la région de Gao est la plus démunie du pays.

La réforme de 1950. L'État est propriétaire et gestionnaire de toutes les terres, seulement un droit d'usage est accordé aux exploitants, droit transmissible par succession. On a alors pro
cèdé à un recensement des terres. Mais, dans la plupart des cas, I'objectif que visait la réforme, à savoir un minimum de justice dans la répartition foncière, n'a été que partiellement atteint parce que les notabilités des villages ont réussi àinscrire à leur nom non seulement les terres qu'ils exploitent, mais aussi celles de leurs serviteurs. Autrement dit, la réforme a légalisé sur une base juridique les privilèges des nobles.

Les aménagements. Dans le cadre d'une amélioration des aménagements traditionnels, le génie rural a construit un certain nombre d'ouvrages sur les digues maîtresses (endiguement submersible, approfondissement et recalibrage de chenaux,) ce qui permet de retarder l'entrée de l'eau dans le périmètre arrosé quand arrive la crue. Ainsi, il y a une montée d'eau qui est retardée globalement par rapport à la crue et cela permet de retarder les dates des semis et de mieux profiter des pluies. Certains paysans aisés, des maraîchers et des commerçants utilisent des pompes. L'effet direct le plus important est l'augmentation de la production locale de céréales vivrières (possibilité de deux cultures par an} et l'accroissement des productions maraîchères et fourragères. Il s'agit avant tout, dans une zone connaissant un déficit céréalier permanent, de satisfaire partiellement les besoins locaux. Cette augmentation de la production locale se traduira certainement par une amélioration du résultat brut d'exploitation, un accroissement du revenu monétaire et une meilleure valorisation de la journée de travail des agriculteurs. A cela il faut ajouter des effets induits: assainissement du marché, régularisation de la commercialisation et impact sur l'économie régionale par l'utilisation des revenus créés. Il est alors indispensable que les différents amènagements soient prévus dans un plan de développement de l'ensemble de la région. Une association étroite des populations à tout projet d'aménagement est souhaitable. La coordination des différentes actions en vue d'un développement intégré de l'ensemble de la zone ne peut se faire qu'au niveau régional. Quelles sont les possibilités 7

Depuis 1973, fonctionne dans la région 1'« Opération rizsorgho ». Elle a pour objectif l'amélioration de la production de riz grâce à l'utilisation de variétés améliorées de semences et leur traitement, la réparation des digues. Il est impérieux que cette opération de développement, pour être efficace, mette en place des structures capables de rationaliser l'utilisation des aménagements existants par la gestion de groupes de motopompes, I'organisation du crédit et de l'approvisionnement et qu'elle vulgarise les thèmes techniques. Afin de protéger parfaitement les terres actuellement exploitées qui ne sont abritées actuellement que par des digues traditionnelles, la construction d'une digne insubmersible est indispensable. Il est aussi impératif d'amènager les terres non exploitées actuellement parce que trop hautes pour être endiguées par les moyens traditionnels. On gagnerait là de nouvelles superficies exploitables qui seraient redistribuées aux moins possédants ou à ceux qui n'en ont pas. Toute la zone doit être protégée par la construction d'une digue riveraine tout au long du lit mineur du fleuve. Cet aménagement permettra une redistribution des terres sur une base sociale plus large que ne l'a réalisé la réforme de 1950.


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