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Deuxième partie :Les problèmes d'application des connaissances à la gestion des terres arides. Problèmes généraux soulevés


Les applications de la recherche àl'aménagement dans les zones arides et sub-arides. Références à la Mauritanie et au Sénégal
Les obstacIes à l'application des connaissances: l'insuffisante coordination des pouvoirs de gestion au Sénégal
Désertification et crise des oasis. Définition des traumatismes pour un traitement approprié


Les applications de la recherche à l'aménagement dans les zones arides et sub-arides. Références à la Mauritanie et au Sénégal

Charles Toupet, professeur à l'Université de Lyon

L'avancement des recherches pouvant être directement applicables à un aménagement intégré et harmonieux des régions arides et sub-arides est inégal. Cela est dû à des raisons conjoncturelles (la guerre par exemple) et structurelles.

Les recherches ont le plus souvent été effectuées en ordre dispersé sans plan de concertation; d'où de multiples doubles emplois et de nombreuses lacunes. Cette dispersion n'est que le reflet d'une division du travail qui s'est traduite dans les plans de développement par une juxtaposition de programmes sectoriels. Ce n'est que récemment, sur le constat des échecs répétés qui sanctionnaient les aménagements partiels, que la nécessité d'une conception d'ensemble s'est imposée. Il convient de souligner à ce sujet l'effort considérable fourni par la Délégation générale à la recherche scientifique et technique du Sénégal qui a réalisé, d'une part, un fichier des recherches effectuées et des chercheurs recensés au Sénégal et, d'autre part, un plan concerté de développement qui intègre les programmes de recherches des différents instituts et laboratoires.

Il subsiste enfin trop souvent sinon une incompréhension, du moins des réticences entre naturalistes et spécialistes en sciences sociales, les uns ignorant les problèmes humains, les autres dédaignant les contraintes du milieu naturel. Cela est d'autant plus grave que l'aménagement du territoire est lié, dans ces pays où l'équilibre naturel est si fragile, à une connaissance objective des rapports de l'homme et du milieu et à une appréciation honnête de ce qu'il convient de préconiser dans le double respect de l'homme et de la nature.

La diffusion des travaux scientifiques parmi les chercheurs est mal assurée. Trop souvent le spécialiste ignore les travaux effectués par d'autres organismes que le sien et surtout écrits dans une langue étrangère. D'autre part, beaucoup de rapports fort précieux ont une diffusion confidentielle.

Ne pourrait-on envisager soit la création d'une revue internationale qui reproduise-in extenso ou en résumé-les articles scientifiques susceptibles d'applications, soit plutôt l'ouverture d'une banque de données scientifiques sur le tiers monde que l'Université des Nations Unies aurait vocation àgérer?

Le bilan des recherches, du fait même de l'extrême diversité des organismes est difficile à établir.

Il convient de rappeler que le milieu naturel est beaucoup mieux connu que les sociétés humaines. Plusieurs raisons peuvent être évoquées:

L'antériorité des recherches en sciences naturelles. Dès le xv'''. siècle au Sénégal avec Michel Adanson.

L'utilisation dans ces recherches de méthodes et techniques déjà éprouvées.

Les difficultés propres aux sciences sociales: a) nécessité d'inventer de nouvelles approches pour comprendre les sociétés des pays tropicaux; b) danger que la démarche scientifique ne soit « portée » par une idéologie sous-jacente, consciente ou inconsciente, qui en vicie les interprétations; c) obstacle de la langue et de ta traduction; d) exigence de l'étalement des travaux sur le terrain pendant une longue période.

Il semble néanmoins que, depuis quelques années, I'écart entre ces deux branches de la science soit en voie de se combler grâce à l'apparition de jeunes chercheurs africains.

Pour mieux délimiter les domaines dans lesquels des recherches sont encore souhaitables, il convient de rappeler brièvement les grands traits de la mise en valeur de ces régions: a) I'opposition, mais aussi la complémentarité, entre les vastes espaces dépendant des caprices de la pluie et les terres inondées; b) la dégradation fréquente des genres de vie anciens; c) I'incapacité de reconstruire de nouveaux modes de vie en harmonie avec le milieu naturel et en fonction de l'ouverture du monde. Cette incapacité est due en grande partie à quatre raisons.

1. L'absence d'une vision écologique animant la recherche et l'aménagement et permettant de retrouver avec des techniques modernes cette adaptation de l'homme à la nature que nomades et sédentaires ont pratiqué pendant des siècles avec habileté. Les terres du Sahel sont d'autant plus fragiles qu'elles ont supporté le poids d'une surcharge démographique, agricole et pastorale et subi une sécheresse qui dure depuis dix ans: elles ne peuvent être aménagées que dans le cadre d'un nomadisme rénové.

2. Une volonté, jamais officiellement affirmée, mais toujours sous-jacente, de réduire le nomadisme. Tous les plans de développement sont conçus dans une double applique de sédentarisation et d'urbanisation. Les crédits sont affectés en priorité aux activité tertiaires, puis 3 I'industrie et 3 I'agri culture. L'organisation des services de santé et d'enseignement sont copiés sur des modéles de sociétés sédentaires. L'expérience des écoles nomades en Mauritanie, qui avait honorablement commencé dans les années cinquante, a été abandonnée.

3. Le danger d'une conception sectorielle. L'exemple de l'élevage est caractéristique, trois secteurs sont concernés: le troupeau, I'eau, les pâturages. La valorisation et l'expansion démographique du cheptel sont dues aux remarquables progrés effectués en zootechnique, en particulier la généralisation de la vaccination. De même, une politique d'exploration hydrogéologique et un programme de forage des puits a permis une extension considérable de l'élevage. Mais les travaux agrostologiques, 3 part d'heureuses exceptions, ont été moins poussés: le résultat est qu'aucune politique d'amélioration des pâturages n'a été entreprise que ce soit par la régénération des espèces locales arborées ou herbacées ou par l'introduction d'espèces exotiques (par exemples, les acacias australiens inermes). La lutte contre les feux de brousse par le moyen des pare-feu n'a été que faiblement poursuivie. Il y a là tout un domaine de recherche et de vulgarisation à défricher.

4. L'absence d'une recherche prospective qui tienne compte des impératifs écologiques, mais aussi des besoins et des revendications des paysans et des éleveurs qui ont su résister aux aléas du climat et aux pressions bureaucratiques et qui se sont forgés une conception de leur devenir.

Les obstacles à l'application des connaissances: l'insuffisante coordination des pouvoirs de gestion au Sénégal

Louis-Albert Lake, attaché de recherche à l'IFAN, Dakar

Nous partons de l'idée que le manque de coordination entre les multiples pouvoirs concernés par la gestion des espaces ruraux serait un frein à l'application cohérente des connaissances. Le renforcement des services nationaux de conception semble souhaitable. Le séminaire pourrait recommander les études nécessaires.

L'application des connaissances acquises dans la gestion des terres arides concerne le Sénégal si l'on adopte la recommandation de la Conférence des Nations Unies de 1977 sur la désertification: la prise en compte des actions menées dans les franges semi-arides et subhumides pour optimiser tout plan de lutte contre la désertification.

Si le terme de « désertification » semble approprié pour définir les problèmes écologiques et socio-économiques des espaces ruraux sénégalais, ceux-là n'en demeurent pas moins caractéristiques à bien des égards de l'environnement sahélien.

Enfin, pour éviter le débat peu constructif sur la suffisance ou l'insuffisance des connaissances acquises, on peut aussi adopter le point de vue réaliste de la conférence qui estime les connaissances suffisantes pour agir et insiste plutôt sur l'importance de la «volonté politique » et des «compétences techniques ».

Les remarques proposées ici tentent de fournir quelques éléments de réponse aux questions: « Qui produit les connaissances... qui les applique... c'est-à-dire quels sont les pouvoirs concernés par la gestion des espaces ruraux ? »

Le terme «connaissance» est employé au sens large: les données et l'information, les savoir-faire. Le terme « applique »renvoie aux personnes morales et physiques investies de pouvoirs directs ou indirects sur des hommes, des groupes sociaux et des espaces culturaux et pastoraux (en y comprenant les pouvoirs sur la collecte, la création et la circulation des données et des savoir-faire).

Hypothèse sur les pouvoirs et la gestion

Le Sénégal dispose d'un stock important de données et de savoir-faire fiables concernant son espace et de pouvoirs diversifiés pour les utiliser. Ces connaissances ne forment pas un ensemble identifiable, mais une masse éparpillée par la nécessaire diversité des pouvoirs. La typologie des pouvoirs impliques dans la gestion des espaces doit donc faire ressortir quelques-uns des obstacles à l'application des connaissances. On en avance un: I'organisation trop approximative, au niveau national, des relations entre les pouvoirs (y compris les pouvoirs exogènes) aboutissant souvent à une juxtaposition des actions au lieu de leur intégration, à une certaine anarchie dans la gestion globale des espaces.

Les lignes suivantes se limitent à signaler le nombre croissant des pouvoirs et la diversité des interventions dans l'espace.

Inflation numérique

Les pouvoirs intervenant sur l'espace sénégalais, nombreux dès les années soixante du fait du rôle ancien de Dakar dans l'exploitation des territoires coloniaux français, se sont stabilisés puis diversifiés ou multipliés.

Ces pouvoirs sont plus ou moins contrôlés, dans leur action locale, par- I'administration centrale nationale. Mais, d'une manière générale, la part des processus exogènes dans l'action des pouvoirs locaux semble importante et autorise àdifférencier l'inflation numérique des pouvoirs selon qu'elle procède du contexte interne ou externe, encore que cette différenciation ne soit pas toujours évidente.

Au niveau national

Depuis quelques années le pouvoir central a créé ou suscité de nouveaux pouvoirs provenant soit de créations effectives, soit de la démultiplication ou de la transformation d'anciennes institutions, soit de «projets» qu'il finance partiellement. A titre d'exemples:

Dans les domaines technique et économique: le développement des services de l'équipement, la création de la SONAFOR,, le déploiement des activités de la SAED, de la SODESP, le remplacement sectoriel de l'ONCAD par la SONAR, etc. Dans le domaine social: le développement des services de la
promotion humaine et des projets comme ceux du BIT ou de la COSOC, la mise en place des conseils ruraux.

Dans le domaine de la recherche et de la formation: I'apparition de bureaux d'étude comme la SONED, la création de la DGRST puis du SERST où l'ISRA déploie ses multiples recherches, I'implantation de l'ELSMV, de l'lnstitut de l'environnement, etc.

Au niveau externe

On peut distinguer plusieurs origines à l'inflation des pouvoirs. La diversification des sources traditionnelles de financement. Les financements, dont le Sénégal bénéficiait dans le cadre presque exclusif de la coopération avec l'ancienne métropole, se sont diversifiés non tant du fait de la volonté du pouvoir central que du déploiement du réseau financier capitaliste depuis les années soixante-dix: a) le réseau étatique: aux apports financiers de l'ancienne métropole se sont ajoutés ceux d'autres puissances industrielles ou pétrolières; b) le réseau continental et transcontinental qui comprend le réseau central (le STABEX de la CEE et des États ACP, la Banque mondiale...), et un réseau périphérique lanimé notamment par les subventions dégagées par l'OPEP).

La diversification des modéles, des méthodes, des techniques et du matériel importés pour l'étude ou l'implantation locale d'un projet.

La diversification des sources de connaissances: aux antennes locales des organismes français anciennement implantés comme l'IGN, le BRGM ou l'ORSTOM se sont ajoutées de multiples structures d'étude et de recherche, essentiellement celles qui gravitent autour des grands projets (OMVS), comme le BCEOM, sous des formes diverses: bureaux d'étude, sociétés, experts-consultants, etc., auxquelles il faut adjoindre celles des organismes internationaux (FAO, PNUE, OCDE, CILSS...).

Inflation spécifique

On peut classer les pouvoirs évoqués plus haut en se fondant: a) sur leur capacité à décider pour le cadre national, ce qui permet de les hiérarchiser; b) sur le caractère direct ou diffus de leur emprise territoriale, ce qui permet de distinguer les pouvoirs verticaux (de décision) des horizontaux (de réalisation).

Pouvoirs verticaux

lls sont en général responsables des prises de décision (ou y sont étroitement associés). On peut distinguer: a) les pouvoirs politiques nationaux: I'administration centrale (le chef de l'État, le premier ministre, les ministères) qui organise la pénétration des décisions en s'appuyant, outre sur l'administration générale et les services, sur les ramifications de l'administration territoriale (sous-préfets), le parti, les chefs religieux et les conseils ruraux les plus politisés; b) les pouvoirs financiers exogènes évoqués plus haut qui conditionnent largement les modalités du flux de matériel et d'assistance technique.

Pouvoirs horizontaux

S'ils dépendent administrativement et financièrement des pouvoirs verticaux, dans la réalité ils constituent souvent des pouvoirs autonomes chargés de la réalisation des décisions, de l'application des connaissances, il s'agit surtout: a) des antennes régionales et locales des services étatiques, par exemple la santé animale, les eaux, forêts et chasse; b) des organismes d'intervention et sociétés qui se définissent de plus en plus comme des entreprises de rentabilisation et d'intégration des espaces ruraux à l'économie de marché: la CSS, la SAED, I'ancien ONCAD, la SODEVA, la SODESP...

Pouvoirs intermédiaires

lls constituent théoriquement la source principale des données et de l'information et disposent de pouvoirs faibles (pour la décision et la réalisation): a) les institutions et organismes locaux chargés de la recherche et de la diffusion des connaissances (ISRA, université, centres de documentation...); b) les structures sociales de base permettant aux populations rurales d'exprimer leur point de vue quand il est sollicité (autorités traditionnelles, chefs de carré, producteurs et, parfois, conseillers ruraux).

Conclusion

Les pouvoirs constituent un champ de diversité, de relations, technique, thématique, où il devient difficile de trouver des différenciations cohérentes, un système. Cette impression est renforcée par les tensions faciles à percevoir dans les services ou sur le terrain, qui s'expliquent moins par la multiplicité des pouvoirs que par leurs interférences inorganisées ou leur juxtaposition pure et simple. Par ailleurs, la position des pouvoirs horizontaux semble difficile, car ils sont parfois gênés par une grande dépendance vis-a-vis des pouvoirs centraux ou, au contraire, jouissent d'une dangereuse liberté d'action. Enfin, il faut souligner l'insuffisance de la prise en compte des pouvoirs intermédiaires dans les processus de décision et de réalisation.

Ces obstacles pourraient peut-étre disparaître avec le renforcement considérable des pouvoirs de quelques grands services étatiques de conception (par exemple l'aménagement du territoire, I'environnement ou la promotion humaine). Libérés de tâches administratives et répressives, dotés d'importants moyens de conception et de contrôle, en collaboration avec les pouvoirs intermédiaires, ces services pourraient, au niveau vertical, coordonner les projets de gestion de l'espace et, au niveau horizontal, promouvoir une politique systématique de rajustement des réalisations.

Le séminaire pourrait recommander à l'Université des Nations Unies d'organiser l'installation de petits programmes nationaux d'étude des pouvoirs dans la gestion des espaces,
qu'elle se chargerait ensuite de formaliser en plans d'action àtransmettre aux pouvoirs politiques d'Afrique francophone...

Sigles cités
ACP Afrique, Caraïbes, Pacifique.
BCEOM Bureau central d'études pour les équipements d'outre-mer.
BIT Bureau international du travail.
BRGM Bureau de recherche géologique et minière.
CEE Communauté économique européenne.
CILSS Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel.
COSOC Communication sociale.
DGRST Délégation générale à la recherche scientifique et technique.
FAO Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agricul ture.
IGN Institut géographique national.
IEMVT Institut d'élevage et de médecine vétérinaire des pays tropicaux.
ISRA Institut sénégalais de recherches agricoles.
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques.
OMVS Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal.
ONCAD Office national de coopération et d'assistance au développement.
OPEP Organisation des pays exportateurs de pétrole.
ORSTOM Office de la recherche scientifique et technique outre-mer.
PNUE Programme des Nations Unies pour l'environnement.
SAED Société d'aménagement et d'exploitation des terres du Delta.
SERST Secrétariat d'Etat à la recherche scientifique et technique.
SODESP Société de développement de l'élevage dans la zone sylvopastorale.
SODEVA Société de développement et de vulgarisation agricoles.
SONAFOR Société nationale de forage.
SONAR Société nationale d'assistance au monde rural.
SONED Société nationale des études de développement.
STABEX Stabilisation des produits d'exportation.

Désertification et crise des oasis. Définition des traumatismes pour un traitement approprié

Michèle Mainguet, professeur à l'Université de Reims

La désertification

En décembre 1980, le groupe de travail réuni par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), chargé de réfléchir sur la cartographie de la désertification,, I'a définie de la façon suivante: « La dèsertification est la diminution ou la destruction de la productivité pouvant conduire à des conditions de type dèsertique, impliquant une baisse du rendement des terres à la suite d'actions humaines. » Cette définition, ne mettant en cause que l'homme, n'a pas été acceptée par l'ensemble de l'assistance, aussi la deuxième partie de la phrase est-elle devenue: « â la suite d'actions humaines en liaison avec des phénomènes naturels ».

A. Davy, représentant de l'Organisation météorologique mondiale, reprenant les vues de la Commission for Agricultural Meteorology a introduit le point de vue suivant auquel nous adhérons pleinement: « La désertification est un concept large et complexe décrivant la dégradation des paysages comme résultat de la combinaison d'un large éventail de processus se produisant dans des règions où les données climatiques, géomorphologiques, pédologiques et biogéographiques sont en équilibre fragile. » A la notion de fragilité, nous préférons celle de précarité. C'est ce caractère de précarité des données naturelles qui nous parait l'essentiel dans le contexte de la désertification.

Toutes les définitions de la désertification que nous avons rencontrées décrivent des conséquences de rupture d'équilibre. Or nous estimons indispensable de définir la désertification à trois niveaux: celui des causes, celui des mécanismes, celui des conséquences, car comment guérir une maladie dont on ignore les causes de l'évolution ?

Parmi les causes nous voyons: a) le milieu naturel et ses paramètres de fragilisation; b) le climat et ses fiuctuations; c) l'homme et ses modes de vie.

Parmi les mécanismes: a) les agressions que subit la couverture végétale (pâturages, bois pour chauffage, agriculture); b) la majoration des mécanismes naturels de la dynamique externe (érosions hydrique et éolienne); c) la détérioration de la structure des sols (minéralisation rapide de l'humus, perte en matière organique, destruction de la structure et ameublissement exagéré}; d) la détérioration résultant d'irrigations et de technologies traumatisantes Isalinisation, alcalinisation, saturation en eau. excès de substances toxiaues).

Travaillant depuis plus de dix ans sur la dynamique éolienne, nous pensons qu'avec l'abaissement des nappes aquifères l'érosion éolienne constitue l'un des mécanismes majeurs de la désertification, point de vue qui rallie de plus en plus de suffrages.

La dégradation due au vent peut être classèe en deux rubriques essentielles.

Excès d'apport sableux. Cet excès est responsable d'un ennoyage par des sables mobilisés des oasis au milieu des déserts et d'un ennoyage par des sables mobilisés des villages et des terres cultivées en lisière des déserts.

L'ennoyage, dans le premier cas, résulte d'un effet d'obstacle introduit par les amènagements humains sur les trajectoires de transport de sable, dans le deuxième cas, le dépôt des particules transportées par le vent hors du désert par suite de l'essouflement des flux éoliens ou l'envahissement par des dunes de type barkhane ou linéaires résultant de la réactivation de manteaux sableux fixés.

Exportation éolienne. L'exportation éolienne des particules les plus fines et de la matière organique, qui constituent la partie du sol responsable de sa structure et de ses qualités, aboutit àune perte de productivité et à une destruction de la structure pouvant favoriser la réactivation des dunes fixées. L'érosion éolienne devient plus traumatisante lorsque la couverture végétale est dégradée, la structure du sol détruite par le piétinement animal ou le labourage humain, par le vannage èolien ou le lavage hydrique. Lorsque les pressions dues àl'occupation autour des points d'eau, le long des pistes ou dans les anneaux de culture autour des villages endommagent le tapis végétal sur les couvertures sableuses ou sur les dunes, on constate, à l'aide des photographies aériennes et des images de satellites, mieux qu'au sol, qu'en ces points le sable est exporté par le vent. Le long des axes de transport, sous le vent des premières aires traumatisées, apparaissent d'autres traumatismes sur les sols nus, les champs et les pâturages. Cela aboutit à une mobilisa
tion sans cesse accrue de matériel, qui pourra, plus en aval dans le sens du vent, aboutir à une dégradation par simple accumulation excessive de sable.

La crise mondiale des oasis

`Définition de la notion d'oasis

« Aire apte à la végétation et à l'occupation humaine au cœur ou en lisière des zones arides. » Le nom d'oasis a été utilisé d'abord par les Egyptiens, puis par Hérodote pour les îlots de verdure du désert Libyque à l'ouest du Nil. De nos jours, le terme d'oasis est appliqué à tous les points de la planète là où l'existence d'émergences locales de nappes aquifères, ou la présence d'eau superficielle amenée par des cours d'eau allochtones ou descendus de montagnes plus ou moins proches, ou encore d'un inféroflux (sous-écoulement dans les nappes alluviales de lits d'oueds), permettent, au milieu ou en lisière des aires arides, I'installation de sédentaires et de cultures. L'eau peut émerger naturellement lorsque affleure le contact d'une série perméable sur un substrat imperméable, ou artificiellement, grâce à des puits, le plus souvent artésiens, ou à des conduites de types foggaras et rettaras. Ainsi, s'expliquent les trois sites des oasis.

Le long d'oueds à écoulement accidentel, par exemple: a) Sarmakand et Boukhara, sur le Zeravchan, dans le Turkestan russe; b) dans l'oued Ghir du Sahara algérien; c) In Gall sur l'oued In Gall au Niger; d} le long de l'oued Draa, I'oued Ziz et l'oued Rhéris au Maroc.

Les oasis de lisière saharo-sahélienne ou en couronne sur les pièmonts montagneux périphériques des dépressions arides, par exemple: les oasis au pied de l'Aïr (Agadès) et celles du Maroc méridional, de l'Algérie et de la Tunisie méridionales. Les oasis au cœur des déserts, souvent au pied des escarpements: en Égypte, Kargha; Bilma, Fachi, au Niger.

Comme l'a montré W. Meckalein,, la crise mondiale des oasis est un problème de désertification dans les milieux extrêmement arides.

Causes de la désertification des oasis

Les causes naturelles de la désertification des oasis ne sont pas encore parfaitement définies et l'étude en reste à faire. Mais nous savons déjà que la crise mondiale des oasis est àimputer: al aux fluctuations du climat; b) aux modifications du bilan hydrologique (abaissement des nappes aquifères); c) àl'aggravation des mécanismes géomorphologiques éoliens (majoration de l'arrivage de sable et de l'exportation de l'horizon superficiel du sol); d) aux changements texturaux des sols sableux; e) à l'accélération des mécanismes de salinisation.

Les causes humaines historiques et économiques déjà perçues restent aussi à préciser. Comment est-on passé d'un Maghreb méridional, grenier à céréales de l'Europe sous l'occupation romaine, à la région semi-aride actuelle, à peine mise en valeur ? Comment le Fezzan des Garamantes dont parlent Pto
lémée et les historiens romains est-il devenu un désert à peine occupé? Comment expliquer que la bande de terre, entre le pied des Andes et le littoral péruvien et chilien, où les photographies aériennes révèlent la superposition de plusieurs systèmes d'irrigation très élaborés, soit aujourd'hui un désert ?

Enfin, alors qu'en Chine, dans la région du Lobnor, les images de satellites, même au 1 /500 000, permettent de déceler les traces d'une ancienne occupation humaine dans des oasis, comment n'a-t-on de nos jours qu'un désert non cultivable, d'où l'installation en ce lieu d'une partie de l'industrie atomique chinoise ?

Parmi les causes humaines socio-économiques de la crise citons:

La variation dans la composition et la quantité des troupeaux: par exemple, à Bilma, les caravanes de chameaux n'étant plus assez nombreuses, certaines familles doivent stocker la récolte de sel d'une année.

Les changements de niveau technologique dans tous les domaines (culture, irrigation, transport, etc.).

La baisse de la productivité de certaines cultures. L'aggravation et l'état de dénutrition des hommes.

L'augmentation de l'exode rural modifiant la distribution des groupes d'âge, avec un déficit du groupe d'âge moyen (surtout chez les hommes).

Le passage de l'économie d'échange à l'économie semi ou totalement monétarisée.

Le changement des besoins, des situations sociales et politiques (nouveaux régimes, nouvelles frontières, intervention du pouvoir étatique).

La crise mondiale des oasis soulève des problèmes qui dépassent les oasis elles-mêmes. En effet, leurs populations migrent vers les régions marginales semi-arides dans une première étape, puis vers les régions subhumides et même humides, accroissant la pression démagraphique et les dangers potentiels de dégradation des sols pour ces régions.

Conclusion

Découlant de ce bref exposé, les deux points qui pourraient être abordés par un programme de recherches de l'Université des Nations Unies sont:

Des études globales de cas précis locaux ou régionaux de désertification au cours des vingt dernières années. Elles devraient envisager tous les mécanismes naturels ou humains de désertification, en faire un inventaire qualitatif et quantitatif précis et être choisies dans chacune des zones climatiques arides et semi-arides définies précédemment.

Des études de sauvegarde des oasis devraient être entreprises afin de participer à la lutte contre leur disparition définitive.
l. W. Meckelein, « Desertitication in extremely arid environments, » UGI, Working Group on Desertification in and Around Arid Lands, Stultgarter Geogr. St. (Special issue, Japan, 1980), vol. 95, 203 p.


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