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Pêche et énergie au Sénégal

Laurence Bobo
Chargée de recherche à Altersial/Gret, 1 avenue des Olympiades, 91305 Massy Cedex, France

Introduction

L'activité halieutique maritime constitue, au Sénégal, un secteur très important, tant d'un point de vue économique qu'au niveau alimentaire. En 1980, elle est devenue le premier secteur exportateur avec US$100.333.000, se substituant aux produits arachidiers (US$72.594.000) et aux phosphates (US$3.661.000), lesquels étaient jusqu'alors les principaux produits d'exportation.

Elle permet actuellement de payer près de la moitié de la facture pétrolière, ce qui est important dans le contexte de crise que connaît actuellement l'économie sénégalaise et notamment le déficit continuel de la balance commerciale: le taux de couverture (importations/exportations) est ainsi passé d'une moyenne de 75 pour cent depuis 1970 à 56 pour cent, 62 pour cent, et 44 pour cent pour les années 1978, 1979, et 1980 respectivement.

D'un point de vue alimentaire, les produits halieutiques contribuent pour 60 pour cent à l'apport en protéines animales des populations et jusqu'à 30 pour cent de l'apport total en protéines à Dakar.

L'alimentation au Sénégal est traditionellement à base de mil, d'arachide, et de poisson, d'origine locale, mais le riz, en grande partie importé (la principale région productrice au Sénégal est la Casamance où le riz est, pour l'essentiel, autoconsommé), tend à se substituer aux céréales traditionnelles, dans les zones urbaines et parfois même en milieu rural, la consommation de poisson devenant, par ailleurs, très faible.

A cause de leur disponibilité, les produits de la mer peuvent donc apparaître comme un apport nutritionnel très important (même si cela peut paraître paradoxal de satisfaire des besoins en calories par un aliment à fort contenu protéique).

Traditionnellement, on distingue deux grands types de pêche au Sénégal: la pêche artisanale et la pêche industrielle (tableau 1).

La pêche artisanale

Elle a débarqué en 1982, 141.907 tonnes de poissons (pour un parc piroguier de 4,526 embarcations), ce qui correspond aux deux tiers du volume total de mises à terre, ayant contribué pour 40 pour cent aux exportations en équivalent frais et ayant assuré pendant toute l'année la quasi-totalité dur ravitaillement en poissons du marché local, tout en alimentant, à l'occasion, les usines de transformation.

La modernisation de cette activité (qui a permis un quadruplement de la production dans les 25 dernières années) a pris sa véritable ampleur en 1966 avec la vente hors taxe des moteurs et du carburant et a abouti, en 1980, à une motorisation à 90 pour cent du parc piroguier. La pêche à la senne tournante, qui représente 15 pour cent environ de l'activité artisanale, contribue pour plus de 50 pour cent a l'ensemble de la production traditionnelle (71.316 tonnes pêchées en 1982).

Enfin, la filière artisanale, dans son ensemble, absorbe une main d'œuvre relativement importante (55.000 personnes), tant au niveau de la pêche proprement dite que de ses activités annexes, transformation (secteur principalement contrôlé par les femmes) et commercialisation.

La pêche industrielle et semi-industrialle

Effectuée par quatre types de bateaux (chalutiers, sardiniers-senneurs, thoniers et cordiers) pour un ensemble de 206 embarcations, elle a produit, en 1982, 94.777 tonnes de poissons, destinés pour 80 pour cent aux usines situées à Dakar, qui exportent, pour la plus grande part, leur production.

Secteur moderne aux perspectives se voulant optimistes, le pêche industrielle est à l'origine de la création de la plupart des entreprises de traitement des produits de la pêche, utilisant une main d'œuvre abondante. Malgré ce dynamisme, il apparaît que certains éléments peuvent remettre en question l'évolution, jusqu'alors très rapide de la pêche en mer:

1. L'état de la ressource: alors que les eaux sénégalaises étaient parmi les plus poissonneuses du monde, on assiste actuellement à une baisse du rendement que l'on ne peut imputer au seul facteur d'incertitude lié à la pêche en mer ("bonnes" ou "mauvaises" saisons) en raison du caractère continu du ralentissement de la production depuis les cinq dernières années. On peut donc penser que la pêche maritime est parvenue à un niveau de surexploitation. La dégradation du stock que en découle peut être due à une concurrence exacerbée entre les deux formes de pêche et plus particulièrement les sardiniers industriels et la technique de pêche artisanale à la senne tournante, ces deux pêches puisant dans le même stock. Un signe évident de cette évolution est l'importance croissante de l'effort de pêche (temps de travail par rapport à la quantité de poissons pêchés), ceci par un allongement de la durée des sorties en mer et/ou de la distance parcourue. Si, actuellement, on ne peut pas encore parler d'épuisement du stock de poissons dans les eaux maritimes sénégalaises, il est clair que le problème se posera en ces termes dans les prochaines années.

2. L'évolution de la crise énergétique: la pêche est un secteur assez fort consommateur d'énergie. La pêche industrielle dépense 13 pour cent de l'énergie commerciale consommée au Sénégal, et la pêche artisanale, avec l'introduction des moteurs hors-bord est devenue sensible à une variation des prix du pétrole. Ceci peut être aggravé par l'introduction d'une chaîne de froid tout au long de la filière, certainement nécessaire à un développement de l'activité artisanale. De plus, la crise du bois de feu, que connaissent actuellement les pays du Sahel, peut compromettre l'activité de transformation du poisson (fumage, braisage...) et peut poser des problèmes lors de la construction des pirogues.

3. L'évolution des revenus des pêcheurs: les revenus monétaires des pêcheurs se situent actuellement entre 50.000 et 125.000 FCFA par an (1 FCFA = 0,50 FF) selon le type de pêche pratiqué, et n'ont que peu bougé en dix ans.

La question qui se pose est de savoir si un mécanisme d'entraînement entre un développement de la pêche et une amélioration de ces revenus est possible. En d'autres termes, une augmentation de revenus peut-elle être réinvestie en vue d'un accroissement de productivité, et une production plus importante aura-t-elle une répercussion sur les revenus des pêcheurs?

Par exemple, on peut remarquer que ce sont les pêcheurs utilisant la sonne tournante, technique la plus récente, qui ont la plus forte rémunération. De même, une amélioration de la pirogue, notamment par une adaptation du moteur à bord, qui consomme beaucoup moins de carburant, pourrait permettre une rémunération plus importante, les revenus étant fonction des prises, déduction faite des dépenses de carburant, de nourriture à bord et d'entretien courant du moteur. Or, actuellement, un tel processus semble difficile à mettre en place, car même s'il est délicat de raisonner en termes d'insuffisance ou non du revenu des pêcheurs, ii est clair que ceux-ci sont juste suffisants pour faire face à l'achat de vêtements, d'aliments (surtout du riz) et aux autres dépenses tels que les impôts. D'où une tendance éventuelle à l'augmentation du prix du poisson, qui a peu bougé ces dernières années, qui aurait cependant une répercussion inévitable et sûrement catastrophique pour les populations, le poisson étant, comme nous l'avons déjà dit, la source principale en protéines animales.

4. Enfin, le dernier problème qui se pose est celui de l'approvisionnement en produits halieutiques des populations. En effet, une concurrence peut se manifester entre d'une part la satisfaction des besoins alimentaires nationaux, trés certainement grandissants du fait d'un taux de croissance démographique élevé, et d'autre part la volonté manifeste de faire de la pêche le premier secteur exportateur (tableaux 2, 3).

TABLEAU 1a. La pêche maritime au Sénégal

  Pêche industrielle et semi-industrielle Pêche artisanale Total
Chalutiers Sardiniers senneurs Thoniers Cordiers Pirogues
Numéro de bateaux 144 21 29 12 4526  
Prises (tonnes) 49754 31786 12349 888 141907 236684
Valeur (milliers de francs) 8 673 1 362 3 754 232 28951 42 972

Source: Statistiques de la pêche maritime sénégalaise en 1982 (Centre de Recherches Oceanagraphiques de Dakar, Dakar, Sénégal, 1982)

Evaluation énergétique

Pour mieux appréhender le thème de la pêche au Sénégal, nous avons choisi une analyse énergétique, qui devrait nous permettre, à travers une évaluation des consommations d'énergie de la production/captures à la commercialisation (principalement transport) en passant par la transformation/conservation, de définir quels sont les stades susceptibles d'être affectés par l'environnement international (augmentation des prix des produits pétroliers, évolution du marché mondial du poisson) et par les conditions propres au Sénégal (balance commerciale déficitaire, main d'œuvre abondante) et à travers eux, les différentes alternatives technologiques d'amélioration de la filière pêche.

Par exemple, dans quelle mesure la pêche peut-elle être affectée par une hausse des prix de l'énergie, en tenant compte des divers points précédemment cités?
- Etat de la ressource: une dégradation du stock halieutique entraîne un allongement du temps des sorties en mer et/ou de la distance parcourue. Ceci a un effet direct sur la consommation de carburant.
- Rémunération des pêcheurs: une part croissante attribuée à l'approvisionnement en carburant dans le chiffre d'affaires des pêcheurs peut avoir deux conséquences possibles, une diminution des revenus ou une augmentation des prix du poisson. - Satisfaction des besoins alimentaires des populations: ces deux éléments, état de la ressource et rémunération des pêcheurs, peuvent aboutir à une dégradation de l'approvisionnement en produits halieutiques, l'un par une stagnation, voire une diminution, de la production (à mettre en relation avec le taux de croissance démographique élevé), l'autre par un prix trop élevé pour les populations.

TABLEAU 1b. Taux de satisfaction des apports recommandés en divers nutriments, dans les régions alimentaires dans cinq régions du Sénégala

  Dakar Louga Linguere Kedougou Casamance Diourbel
Calories 96 95 93 78 87 99
Protéines 154 158 129 114 137 169

a. Le calcul des besoins selon les recommandations du Comité d'experts FAO-OMS est effectue individu par individu en prenant le poids ''idéal" correspondant à la taille.
Source: S. Chevassus-Agnes et A.M. N'Diaye, Enquëtes de consommation alimentaire de l'ORANA de 1970 à 1979: Methodologie et résultats (Archives de l'ORANA, Daker, Sénégal, 1980).

Mais cette analyse devrait également nous permettre d'aborder des problèmes qu'une analyse économique traditionnelle passerait sous silence et qui pourtant peuvent avoir un impact considérable sur l'avenir de la pêche:

- analyse de processus exogènes, tels que l'action de la déforestation sur la fabrication des pirogues ou l'approvisionnement en bois pour la transformation;
- analyse du secteur transport qui est présenté sans distinction des biens transportés dans la comptabilité nationale et qui nous permet, à travers une vision énergétique, d'aborder le problème de l'aménagement du territoire national.

La première étape de notre travail a consisté en une comptabilisation des dépenses énergétiques, rapportées en kilocalories (kcal) par tonne de poissons, des différentes phases de la pêche artisanale et industrielle, capture, transformation, commercialisation. En effet, cette évaluation ne se limitera pas à la seule phase de production car la pêche suppose un ensemble d'activités qui, tout en étant hétérogènes de par leurs productions, n'en sont pas moins liées pour leur fonctionnement et dans leur dynamisme.

Cette évaluation a omis volontairement le contenu énergétique des outils de production, bateaux, filets, machines utilisées pour la transformation industrielle du poisson.... ceci principalement pour des raisons d'ordre méthodologique, puisque notre prétention n'était pas d'aboutir à une modélisation, sous l'angle énergétique, de la pêche.

TABLEAU 1c Consommation de poisson frais et de poisson transformé par personne et par jour dans cinq régions du Sénégal 14.978 personnes)

Regions Total
poisson(g)
Poisson frais (g) Poisson sec (g) Apport protéique poisson frais (g) Pour cent total protéines Apport protéique poisson sec (g) Pour cent total protéines
Dakar 147,2 138,1 9,1 14,9 25,2 2,8 4,7
Louga 104,0 93,6 10,4 9,9 20,0 3,8 7,7
Linguere 53,8 44,3 9,5 4,8 10,9 3,4 7,7
Kedougou 2,2 1,6 0,6 0,2 0,3 0,3 0,5
Casamance 66,6 62,7 3,9 6,2 11,7 1,8 3,4
Diourbel 13,9 3,8 10,1 0,8 1,2 6,0 9,5

Source: S. C Chevassus-Agnes et A. M. N'Diaye, Enquêtes de consommation alimentaire de L L'ORANA de 19 70 a 19 79: Méthodologie et résultats Archives de L'ORANA, Dakar, Sénégal, 19801.

TABLEAU 2. Evolution des importations de trois principaux produits de 1977 à 1980

  1977 1978 1979 1980
Poids Valeur Valeur Poids Valeur Poids Poids Valeur
Combustible minéraux 814521 95483 920366 106231 855948 136931 680285 184 170
dont pétrole brut 765 467 85 088 852 016 92 084 794 741 123 022 597 355 157 083
Alimentation, boissons, tabacs 537 451 174 172 606 379 177 845 545 200 186 741 534 243 214 093
dont céréales 416 445 79 706 468 489 81 024 402 111 80 844 434 908 106 919
dont riz 248018 45886 238996 55990 240476 49569 280429 75821
Total importations - 763 936 - 756 123 - 887 938 - 942468

a. Les poids sont exprimès en tonnes.
b. Les valeurs sont exprimées en milliers de US$

Source: "Statistiques des échanges extérieurs du Sénégal," Annuaire statistique (FAO, Rome, 1981).

TABLEAU 3. Evolution des exportations de trois principaux produits de 1977 à 1980

  1977 1978 1979 1980
Poidsa Valeurb Poids Valeur Poids Valeur Poids Valeur

Produits arachidiers

672145 309812 228989 106117 393711 191628 172430 72594
Poissons et preparation   66824 53619 78648 56169 88972 71381 100333

Phosphates et engrais phosphatés

1 951 862 66 355 1 802 460 63 539 1 506 439 61 324 1 350 361 73 661

Total export

  623 823   420 809   460 592   414 257

a. Les poids sont exprimés en tonnes.
b. Les valeurs sont exprimées en milliers de US$
Source: Annuaire statistique (FAO, Rome, 1981)

Par contre, au niveau de la pêche artisanale, il nous est apparu intéressant, en tenant compte de la crise du bois de feu que cannait actuellement le Sénégal, comme d'autres pays du Sahel, de voir si la construction des pirogues est un facteur notable de déforestation. Or, la Direction des Eaux et Forêts a estimé à environ 72 arbres, en moyenne, le prélèvement pour la construction de pirogues, contre 10.000 arbres par les forestiers et beaucoup plus pour la construction et le charbon de bois. En 1981, on a estimé à10. 000 tonnes le charbon de bois transporté et consommé à Dakar, ce qui représente 1 million de tonnes de bois et 60.000 hectares de forêts.

Mais il n'en est pas moins vrai que la relation inverse peut devenir critique dans les prochaines années: les charpentier trouveront-ils assez de bois approprié pour la fabrication des pirogues? Le caïcédra, par exemple, très apprécié, semble en voie de disparition.

Production

Dans la première phase qui nous intéressait, phase de production/captures, la dépense énergétique comprenait le carburant pour les moteurs et l'énergie consommée pour la conservation du poisson à bord des embarcations. Cette dépense a été calculée en fonction du type de pêche pratiqué.

Dans la pêche artisanale, la consommation d'énergie varie de 500.000 à l.900 000 kcal par tonne de poissons débarqués, la technique la plus moderne, la senne tournante, étant la plus énergivore. Mais la consommation de carburant dépend beaucoup des habitudes de pêche, qui différent selon les régions. A Joal, sur la Petite Côte, au sud de Dakar, les pêcheurs ont des habitudes de "chasseurs," en ce sens où ils "traquent" le poisson, ne restant jamais au même endroit et parcourant plusieurs milles s'ils ne trouvent pas de poisson. A St. Louis, sur la Grande Côte, au nord de Dakar, les pêcheurs seraient plutôt "sédentarisés" et ils ont tendance à ne pas beaucoup bouger.

Pour l'activité industrielle, la variation s'établit entre 1.600.000 et 19.000.000 kcal mais il faut préciser que ces chiffres comprennent la dépense de calories dans les chambres froides pour la conservation du poisson (deux tiers de la consommation d'énergie), tandis que la conservation est peu fréquente dans la pêche artisanale mises à part quelques exceptions où des caisses isothermes ont été installées dans les pirogues.

Donc, si dans son ensemble, lors de la phase de capture, la pêche artisanale consomme moins d'énergie (le rapport est du même ordre de grandeur en valeur monétaire) que la pêche industrielle, on peut remarquer que les sardiniers entrent en concurrence avec la pêche artisanale à la senne tournante (rappelons que ces deux techniques de pêche puisent dans le même stock de poissons) puisque la première dépense 176 litres de carburant par tonne de poissons et la seconde 210 litres.

continue


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