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Modèle d'évaluation micro-économique d'une méthode de conservation post-récolte de légumes tropicaux par saumurage

T. L. Adambounou, F. Castaigne

Centre de Recherche en Nutrition et Département de Sciences et Technologie des Aliments, Université Laval, Sainte-Foy, Québec G1 K 7P4, Canada

S. M. Thiam

Institut de Technologie Alimentaire de Dakar, B. P. 2765, Dakar, Hann, Sénégal

EDITOR'S NOTE

Preservation of vegetables by brining is feasible, as this well-conducted study demonstrates, and can help in controlling food price fluctuations during periods of scarcity. However, it should be recognized that there is some damage to their content of ascorbic acid and possibly other water-soluble vitamine. This does not affect their caloric or protein content, and sufficient ascorbic acid for the prevention of scurvy remains.

INTRODUCTION

La méthode de conservation des denrées alimentaires périssables par saumurage date des temps immémoriaux. De telles méthodes, comme d'ailleurs beaucoup d'autres méthodes de conservation, sont habituellement le fruit de l'imagination des gens qui, face à certains impératifs imposés par le contexte social géographique ou écologique, trouvent des solutions à plus ou moins long terme pour contourner le problème. Mais malheureusement, dans l'élaboration de ces solutions "miracles" l'aspect économique est souvent négligé.

De nouvelles techniques de conservation ont été mises au point au cours de l'évolution de l'industrie alimentaire. Depuis la crise d'énergie qui s'est amplifiée ces dernières années en une crise générale, certains technologistes alimentaires ont de plus en plus recours aux méthodes traditionnelles tout en V apportant cependant certaines améliorations. Adambounou et al. (1983a et b) ont mis au point et étudiée les différents paramètres d'une méthode de conservation des légumes par saumurage. Afin d'en évaluer l'efficacité, toute méthode nouvelle doit être soumise à une analyse économique et technique. Adambounou et ai. (1983c) ont étudié l'influence de la méthode de conservation de quelques légumes par saumurage sur la teneur en oligo-éléments de ces légumes.

L'objectif de ce travail est de dresser un profil de coût de conservation des légumes par saumurage en période d'abondance (récolte), afin de pouvoir faire une comparaison avec les prix des légumes frais en période de disette. Le Sénégal a été choisi comme pays test, car il a l'avantage d'appartenir à ce groupe de pays africains qui ont un circuit de commercialisation des légumes maraîchers légèrement plus organisé que les autres pays du continent.

METHODOLOGIE

Les données sur le circuit de commercialisation et le système des prix des légumes horticoles au Sénégal ont été fournies par le Centre pour le Développement de l'Horticulture (CDH) de Dakar à Cambérène.Une estimation des profits bruts des intermédiaires et la fluctuation du prix du kilogramme de légumes frais (prix consommateur) ont été étudiées à la suite des enquêtes faites en 1980 sur les marchés Kermel, Castor, Sandagua, les zones legumières périurbaines de Dakar et le marché de Thiès.

Le processus de transformation des légumes frais en légumes saumurés est schématisé à la figure 1 et se résume comme suit:

FIG. 1. Les différentes étapes de la production de légumes saumurés

Apprêt des Légumes

Des légumes frais achetés au marché Castor de Dakar ont été lavés et débarrassés de leurs parties non comestibles. Les aubergines (Solanum melongena L.) et les tomates (Solanum Iycopersicum L.) ont été coupées en deux dans le sens de la longueur, les gombos (Abelmoshus esculentus (L.) Moench), et les piments (Capsicum pubescens) sont restés entiers.

Préparation de la Saumure

Une saumure de 26.6% de NaCl a été préparée en ajoutant graduellement à de l'eau potable, du gros sel de Bargny (Sénégal) en sac de 50 kg, jusqu'à saturation. L'agitation de la saumure se fait à l'aide d'une grande palette propre en bois.

Mélange Saumur Légumes

Le mélange se fait dans un rapport de 1/5 de légumes pour 4/5 de saumure saturée (26.6% NaCl).

Traitement

Les légumes sont partiellement déshydratés par osmose en les maintenant submergés dans de la saumure à l'aide d'une bille de bois ou de sacs de polyéthylène doublés et remplis d'eau à moitié.

Conservation

Après 2 semaines de traitement, les légumes sont transvidés et recouverts de saumure dans des seaux en plastique de 20 litres ou dans des bocaux en verre ou en plastique et ensuite hermétiquement fermés à l'aide de couvercles appropriés jusqu'à utilisation. Les légumes peuvent ainsi être conservés à la température ambiante (25°C) jusqu'à 3 mois et plus (Adambounou et al., 1983b).

Utilisation des Légumes Saumurés

Dans un autre travail, Adambounou et al. (1983d) ont étudié l'utilisation de ces légumes saumurés dans deux plats sénégalais: le "tiebou Dienn" ou riz au poisson et le "Mafé Kandia" ou "Mafé" au gombo.

Estimation des Coûts de Transformation

Une estimation des coûts de conservation du kilogramme de légumes frais sous forme de légumes saumurés se fait à l'aide d'une équation qui peut se résumer de la manière suivante, en considérant que le procédé de transformation est le même que celui de la figure 1:

CC = CA + CS + ME + A + AD (1)

où:
CC:Coût de conservation d'un kilogramme de légumesfrais (F.CFA)*
CA:Prix-consommateur du kilogramme de légumes en période d'abondance (F.CFA)
CS:Prix de la quantité nécèssaire de sel pour conserver un kilogramme de légumes frais (F.CFA)
ME:Main-d'oeuvre nécessaire pour transformer un kilogramme de légumes frais en légumes saumurés ( F.CFA)
A:Coût d'amortissement des contenants servant à la conservation des légumes (F.CFA)A = PC/(Q x N) (2)

où:
PC:Prix du contenant (F.CFA)
Q:Capacité du contenant en poids de légumes saumurés (kg)
N:Nombre de fois d'utilisation possible du contenant pour la conservation de légumes avant qu'il ne soit plus réutilisable
AD:Autres dépenses encourues durant le procédé

RESULTATS ET DISCUSSION

Circuit de Commercialisation et Système des Prix des Légumes Horticoles au Sénégal

La commercialisation des légumes horticoles est soumise à deux grands circuits: le circuit traditionnel et le circuit moderne (Sow, 1978).

Le Circuit Traditionnel

Le circuit traditionnel qui dessert surtout les différentes zones locales englobe:
-Les ventes directes où les maraichers prennent l'initiative individuelle ou collective de vendre directement le fruit le leur récolte aux consommateurs qui sont souvent les écoles, les hôpitaux, les restaurants et les acheteurs au détail.
-La vente par les simples intermédiaires. Les simples intermédiaires, constitués aussi bien d'hommes que de femmes, achètent les légumes en gros ou demi-gros, soit directement des maraichers, soit d'autres intermédiaires pour les vendre au détail sur le marché.
-La vente par les intermédiaires "bana-banas". Les bana banas son des ramasseurs-distributeurs expérimentés dans 1e commerce des légumes, disposant parfois d'un système de transport structuré et qui ont souvent beaucoup d'influence sur la spéculation du marché légumier. Ces intermédiaires font la navette entre zones de production et centres de distribution et de consommation, récupérant ainsi les récoltes pour les distribuer aux grossistes et aux détaillants.

Le Circuit Moderne

Le circuit moderne, beaucoup plus structuré, est consacré surtout au commerce extérieur. Ce circuit est sous le contrôle de sociétés d'État et de coopératives qui sont beaucoup plus exigeantes quant à la qualité des légumes achetés à cause des normes imposées par les pays acheteurs. Ce circuit désorganise tout le système de la production légumière, car les paysans ont de plus en plus tendance à orienter leur culture vers les légumes d'exportation dont les prix sont beaucoup plus avantageux que ceux des légumes à consommation locale. Cette situation a comme conséquence secondaire un changement dans les habitudes alimentaires des gens. Comme exemple, nous citerons la consommation de plus en plus fréquente de pommes de terre par le peuple sénégalais.

Fluctuation des Prix

On comprend évidemment que le système des prix des légumes horticoles sénégalais n'obéit plus seulement aux règles de l'offre et de la demande, mais aussi 3 celles des circuits de commercialisation. On peut donc facilement réaliser que plus il y aura d'intermédiaires, plus les prix de détail au consommateur final seront élevés. Il n'est donc plus étonnant que le prix d'un kilogramme de légume donné soit multiplié par 3 et parfois par 5 entre le stade producteur et le stade consommateur final. Le tableau 1 nous donne une estimation des marges brutes des prix de commercialisation. On remarquera que dans ce système de commercialisation, les intermédiaires sont les plus grands bénéficiaires.

Le prix d'un même légume au stade consommateur peut varier beaucoup au cours d'une même année et parfois au cours d'un même mois. Ici intervient alors la loi de l'offre et de la demande: en période d'abondance les marchés sont saturés; par conséquent, les prix sont plus bas. En période de disette par contre, le kilogramme du même légume peut coûter jusqu'à quatre fois plus cher. Au tableau 2, on peut observer la fluctuation du prix du kilogramme de certains légumes durant l'année 1980. De tous ces légumes, le chou vert accuse l'écart le plus marqué entre le prix le plus bas et le prix le plus élevé non seulement à cause de sa demande, mais aussi à cause de sa difficulté de conservation post-récolte. Il est suivi de près de la tomate. Le gombo a l'écart le moins marqué, car même en période de disette, on trouve beaucoup de gombos conservés sous forme séchée et qui complètent dans les recettes le peu de gombos frais qu'on retrouve sur le marché. À partir de cette constatation, nous serions portés a croire que la vulgarisation et l'introduction de la méthode de conservation des légumes à l'aide de la saumure (Adambounou et al., 1983a et b) dans le milieu sénégalais et peut-être même africain, peut permettre la stabilisation des prix de certains légumes.

Remarquons en outre au tableau 2 que le piment est le légume qui coûte le plus cher à cause de sa forte demande tout au cours de l'année. Les aubergines et les navets sont les moins chers. Ici interviennent alors les facteurs coût de production des légumes et demande.La représentation graphique (figure 2) de la fluctuation des prix des quatre légumes étudiés dans ce travail, nous donne une idée de la période idéale de l'année où l'aplication de la méthode de conservation post-récolte expérimentée serait plus efficace au point de vue économique. Pour le piment, le plus cher des quatre légumes, cette période va de janvier jusqu'à la mi-juin. La période idéale pour la conservation du gombo va de novembre à mai; celle de la tomate va de mi-janvier à mi-juillet et finalement, celle de l'aubergine va de janvier à août. Il est évident que ces périodes correspondent à celle d'abondance (récolte).

TABLEAU 1. Estimation des Profits Bruts des Intermédiaires au Cours d'une Même Période

Légumes (a) Producteur (F CFA/kg) Consommateur (F.CFA/kg) Intermédiaire (F.CFA/kg)
Oignon B 25 95 70
H 40 200 160
Carotte B 30 80 50
H 45 150 105
Aubergine B 30 80 50
H 45 150 105
Navet B 20 60 40
H 40 95 55
Tomate B 15 80 65
H 40 150 110
Piment B 50 300 250
H 295 810 515
Gombo B 100 360 260
H 290 515 225

Source: I.T.A., enquête sur les marchés Kermel, Castor, Sandagua, les zones légumières péri-urbaines de Dakar et le marché dé Thiès, 1980.
(a) B: le prix le plus bas. H: le prix le plus élevé,

TABLEAU 2. Fluctuation du Prix du Kilogramme de Légumes Frais (Prix-Consommateur) au Cours de l'Année 1980

Légumes Prix Moyen du Kilogramme/Mois(F.CFA)
Jan-vier Févr-ier Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept Oct Nov Déc
Piment 300 469 537 412 318 686 902 854 783 852 1,083 779
Aubergine 67 51 52 63 51 50 49 75 80 140 150 160
Gombo 281 290 352 295 318 362 515 358 380 380 349 317
Tomate 165 135 73 71 79 87 125 213 255 249 328 178
Navet 97 95 67 58 49 81 92 125 159 153 144 118
Carotte 124 92 83 87 67 131 150 234 264 252 247 219
Chou vert 132 85 75 61 43 70 98 281 227 248 286 244

Source: I.T.A., Dakar, Enquête sur les marchés Kermel, Castor et Sandagua, 1980,

FIG. 2. Fluctuations des prix des légumes durant l'année 1980.

Profil des Coûtes de Production des Légumes Saumurés

L'estimation des coûts de production des légumes saumurés représentée au tableau 3 a été faite à partir de l'équation (1) et en estimant à 31 F.CFA (prix 1981) le coût de la quantité de sel nécessaire à la conservation d'un kilogramme de légumes frais dans une saumure à 26.6% de sel; le coût de la main-d'oeuvre pour la préparation de la saumure et l'apprêt des légumes (figure 1) a été estimé à 30 F.CFA en nous basant sur le salaire des manoeuvres de l'I.T.A. en 1981 (180 F.CFA de l'heure). L'amortissement a été calculé à partir de l'équation (2) en estimant le prix du seau (PC) en plastique avec couvercle à 1,300 F.CFA (prix 1981): la capacité Q du contenant à 10 kg et le nombre de fois d'utilisation possible (N) du contenant à 5 fois. Les autres dépenses (AD) encourues durant le procédé sont estimées à 0 dans notre cas, car on considère comme négligeable le coût des sacs de polyéthylène remplis à moitié d'eau ou de la bille de bois servant de lest durant le traitement.

D'après les résultats du tableau 3, on remarquera que la conservation des légumes a l'aide de la saumure en période d'abondance revient nettement moins chère que l'achat du légume frais sur le marché en période de disette. La comparaison du coût de conservation des légumes au prix consommateur moyen (moyenne de 12 mois de prix consommateur) des légumes frais, nous montre une différence nette pour le piment et la tomate, la différence est négligeable pour le gombo. Par contre, pour l'aubergine, le coût de conservation est légèrement supérieur au prix-consommateur moyen. Ceci s'explique par le fait que le prix de l'aubergine reste bas, bon an mal an comparative" ment aux autres légumes. On pourrait dès lors conclure que la méthode de conservation étudiée serait économiquement plus avantageuse pour les légumes à prix-consommateur plus élevé que pour les légumes à prix-consommateur plus bas. Mentionnons que la méthode reviendrait encore moins chère en utilisant des contenants locaux et en achetant les légumes à prix-producteur.

TABLEAU 3. Estimation des Coûts de Conservation d'un Kilogramme de Légumes Frais dans de la Saumure

Légumes Prix-Consommateur du Kilo de Légumes Frais(F.CFA) Coût de Conservation du kg de Légumes Frais(F.CFA)
CDa CAa CMa
Gombo 515 281 349.00 ± 62.33 350
Piment 1,083 300 664.58 ± 252.51 369
Tomate 328 71 163.17 ± 83.90 140
Aubergine 160 49 82.33 ± 42.26 118

aCD: Prix-consommateur de kilogramme de légumes en période de disette.
CA: Prix-consommateur du kilogramme de légumes en période d, abondance.
CM: Prix-consommateur moyen (moyenne du prix-consommateur de vannée 1980, 12 mois).

CONCLUSION

L'évaluation micro-économique de la méthode de conservation à l'aide de la saumure nous a révélé qu'il serait beaucoup plus avantageux de conserver soi-même les légumes pendant les périodes d'abondance et de les consommer en période de disette que de les acheter frais sur le marché pendant les périodes de manque où les prix sont exhorbitants. Ce faisant, on contribuerait beaucoup à minimiser l'écart des prix entre la bonne et la mauvaise saison. La méthode reviendrait encore moins chère si l'on utilisait des contenants locaux et si l'on se procurait les légumes directement chez les producteurs, sans passer par les intermédiaires qui sont les plus grands catalyseurs du système des prix des légumes au Sénégal. La méthode serait également beaucoup plus avantageuse avec les légumes qui coûtent plus chers qu'avec des légumes qui coûtent moins cher.

REMERCIEMENTS

Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier de l'Université des Nations-Unies par le programme "Faim dans le monde".

RÉSUMÉ

A partir des données recueillies sur les marchés des grands centres légumiers du Sénégal, les auteurs ont comparé le coût de transformation (cc) de légumes frais en légumes saumures au prix des légumes frais des marchés sénégalais. Le cc est nettement inférieur au prix des légumes frais en période de disette si le saumurage se fait en période d'abondance (récolte). L'introduction d'une telle méthode dans les milieux ruraux sénégalais permettrait de contrôler les fluctuations des prix qui, jusque-là, sont soumises à la loi de l'offre et de la demande et à la spéculation des "intermédiaires" du système de commercialisation légumière sénégalais.

SUMMARY

Based on data collected in important vegetable markets in Senegal, we compared the cost of brined (CB) vegetables to that of fresh vegetables. When brining was performed during the period of abundance, CB was markedly lower than the price of fresh vegetables during the period of scarcity. Introducing such a method in rural Senegal would permit to control price fluctuations, which are submitted to the supply and demand law and to the speculation conducted by intermediaries in the Senegalese system of vegetable marketing.

BIBLIOGRAPHIE

Adambounou, T. L., F. Castaigne et J.C. Dillon. 1983a. Mise au point d'une méthode de conservation post-récolte de légumes tropicaux par abaissement de l'activité de l'eau". Sciences des Aliments (sous presse).

Adambounou, T. L., F. Castaigne et J.C. Dillon. 1983b "Conservation des légumes tropicaux dans de la saumure." Sciences des Aliments (sous presse)

Adambounou, T. L., G.J. Brisson et F. Castaigne. 1983c. "Influence de la méthode de conservation de légumes dans de la saumure sur la teneur en nutriments du produit fini." Ann. Nutr. Metab. (sous presse).

Adambounou, T. L., F. Castaigne, J.C. Dillon, M. Ndiaye et A. Ndiaye. 1983d. "Tentatives d'introduction des légumes saumures dans deux plats sénégalais: le Tiebou Dienn ou riz au poisson et le Mafé Kandia ou Mafé au gombo." Cahiers do Nutr. (sous presse).

Sow, L 1978. "Les circuits de commercialisation des légumes au Sénégal." Centre pour le développement de l'horticulture. Cambérène-Dakar, République du Sénégal. Ministère du Développement Rural et de l'Hydraulique. Direction Générale de la Production Agricole.

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